Une vie chaotique
Sept ans, donc. C’était à la fin de ma première année scolaire. La tradition voulait – et veut toujours d’ailleurs – que les élèves de toutes les classes défilent déguisé selon un thème choisi par les enseignants. Je ne me souviens plus du thème de l’époque, mais me rappelle avec délice que ma classe devait défiler en jupe et chemisier blanc. On avait bien entendu différencié les filles des garçons. Ces derniers avaient collés sur le visage de grosses moustaches en carton. Je n’avais qu’une envie, la retirer et me mettre avec les filles. Par la suite, comme la plupart d’entre nous, j’ai commencé par mettre les vêtements de ma mère en cachette ; joies furtives, délicieux danger d’être prise en flagrant délit. Puis est venu l’adolescence, la découverte de la sexualité. Comme la plupart des ados de l’époque, mes copains et moi lisions les New-look, Playboy et autres Penthouse en cachette. Tandis que mes potes fantasmaient sur ces belles sirènes, moi j’avais tout simplement envie d’être elles, de porter leurs sous-vêtements, d’être aussi belle. Quand nous dégotions un film X – véritable trésor à une époque où internet n’existait pas – je me visualisais toujours à la place de la fille. J’ai très vite compris que mes amis ne partageaient pas les mêmes fantasmes que moi et peu à peu la honte s’est insinuée sournoisement dans mon être. A l’époque, l’homosexualité – c’est comme ça que je suis « étiqueté » alors qu’étant femme, je me perçois comme hétéro – n’était pas tolérée comme elle l’est à présent. Et puis j’habitais un petit village – petit pays, petit esprit, comme le disait ma défunte grand-mère - où les quelques homos présents avaient particulièrement mauvaise presse et je pense qu’à ce moment-là mes parents n’auraient pas compris. J’ai toujours été timide de nature et eu de la peine à m’affirmer alors, je suis passé en mode survie, en mode camouflage et je me suis menti. L’adolescente que j’étais s’est transformée en homme, qui voulait être plus mec que les autres. Un homme qui a erré sur les chantiers est devenu en colère et homophobe, hypocrite aussi parce que le soir venu il se glissait dans une robe, se lovait dans un col roulé, mettait du rouge à lèvre… Toujours cette volonté d’être comme les autres, de ne surtout pas être rejeté. Une créature pathétique qui mettait des collants sur des jambes poilues, du rouge à lèvres alors qu’il avait une barbe de trois jours. Puis les premiers joints, l’alcool, la marginalisation, le chômage, les services sociaux, la solitude, la dépression… Pauvre Sonia !!!
Prise de conscience, premier essai, petit rayon de soleil
Je me retrouve dans le bureau de mon assistante sociale. Elle me propose d’intégrer un programme de réinsertion qui est un petit journal de rue. Le but est d’écrire des articles- Tant mieux, j’aime écrire, me dis-je – et de les illustrer avec des photographies. J’accepte et prend rendez-vous avec le responsable qui m’accepte dans son programme. C’est le début d’une merveilleuse aventure qui va durer presque quatre ans. Je découvre l’informatique, la photo numérique, j’écris des articles, rencontre des gens intéressants, tombe amoureuse folle de la photo et de Photoshop et découvre les joies d’internet. Je m’épanoui et la femme que je suis peut enfin s’exprimer à travers l’image et l’écriture sous le camouflage d’un mec en perfecto, tatoué et barbu portant souvent une paire de collants sous son attirail de métalleux dopé par Iron Maiden. Le patron me fait vite confiance, je commence à le tutoyer et peu librement naviguer sur internet pour mes recherches d’articles et… pour d’autres recherches disons plus intimes. Le temps passe et le marginal fais la place à un jeune homme aux cheveux courts, bien rasés et propre sur lui. Un look plutôt androgyne. Sur internet, je commence à parcourir les petites annonces d’un site gay parce que voyez-vous je me suis toujours empêchée d’avoir une relation avec un garçon, toujours le regard des autres…
Je fais la connaissance de Jean-Jacques, un homme de dix ans mon aîné. Nous nous écrivons quelques mails, convenons d’un premier rendez-vous dans un endroit public. Le courant passe, il me ramène chez moi et je suis enfin touchée par un homme doux, respectueux de mon absence d’expérience. Moment délicieux que je n’oublierai jamais. Nous devenons donc amants et je le reçois dans mon appart tel que j’ai envie de paraître, femme. Quel délice de se faire belle, d’ouvrir sa porte à quelqu’un avec qui l’on ne triche pas. Il m’apportait de petits cadeaux et me traitait comme l’on doit traiter une femme, avec douceur et respect. Cette petite aventure se déroulait dans le plus grand secret, il était marié et personne de mon entourage ne connaissait l’existence de Sonia qui, à l’époque s’appelait Helena. Ma garde-robe s’agrandissait de jour en jour. Je ne savais pas encore me maquiller et n’avais pas de perruque, chose que je n’avais pas les moyens de me payer en ce temps-là. J’arrangeais mes cheveux de façon féminine. Avec le recul, je me dis avec humour que j’étais encore un prototype, Jean-Jacques m’acceptait comme cela, c’était le principal. Cette jolie aventure, a duré six mois, puis j’y ai mis fin brutalement et le mensonge a recommencé.
Retour vers le passé
Normale, je voulais être normale. Pour moi c’était d’être un homme responsable avec une famille à charge, un boulot. Je considérais mon envie d’être femme comme une maladie guérissable. Lors d’une soirée, j’ai connu la femme avec qui j’allais passer quatre ans de mon existence. J’ai jeté tous mes vêtements, plaqué mon amant qui n’a rien compris et qui m’a dit que je me planterais lamentablement. Bien entendu, je ne l’ai pas écouté. J’aurais dû…
J’ai quitté mon canton de Neuchâtel et plaqué mon petit journal pour m’installer à Lausanne. J’ai cherché du travail et exercé mille petits métiers. J’ai été tour à tour vendeur dans un kiosque, téléphoniste, collaboré à la création d’un petit journal satirique qui malheureusement a planté au bout de trois numéros, travaillé dans l’isolation, la livraison de meubles de cuisine, le nettoyage, bref je n’ai pas chômé mais n’arrivais pas à trouver de boulots fixes. Cela a commencé à mettre du désordre dans mon couple. Et puis, il y avait une immense frustration qui me rongeait, celle de ne pas pouvoir m’exprimer en tant que femme. Ma compagne n’était pas au courant et elle me reprochait souvent d’être trop féminin dans ma gestuelle et mon caractère. Peu à peu nous nous sommes éloignés loin de l’autre et elle a commencé à aller passer ces week-ends chez ses parents. J’en profitais pour lui piquer ses vêtements et passais de délicieux moments au féminin. Nous avons eu une petite fille que nous avons nommée sous mon initiative, Helena, ce prénom si cher à mes yeux. N’ayant pas de travail fixe, je me suis occupé de ma fille et je me rends compte à présent que j’ai été à cette période la maman de ma petite. Je pense que nous avons tout fait pour éviter le naufrage de notre couple, nous n’y sommes pas parvenu et je pense à présent que c’est la meilleure chose qui me soit arrivée...
La naissance de Sonia
Un soir ma compagne et moi nous sommes violemment disputés pour un minuscule détail. L’accumulation de petits détails est devenue une véritable bombe. Nous ne nous sommes pas parlé pendant deux semaines et au terme de ce long silence, nous avons décidé de notre séparation. Elle voulait déménager à la campagne, moi rester en ville nous avons décidé de vivre sous le même toit jusqu’à qu’elle trouve un logement. Cela permettait aussi à notre fille d’avoir ses deux parents et de vivre une séparation le plus en douceur possible. Puis ma compagne est partie en vacances en Italie avec la petite. J’avais trouvé un travail fixe en tant qu’agent de train, mon travail me permettait d’oublier quelque peu les tristes événements se déroulant.
C’est à partir de là que Sonia est sortie au grand jour. Etant seule, je pouvais enfin m’exprimer, ayant enfin un bon salaire, je pouvais m’acheter des vêtements. Ayant internet, j’ai passé une annonce pour trouver quelqu’un qui m’apprendrait à me maquiller correctement. Une certaine Lana (prénom fictif, la personne voulant conserver la confidentialité) m’a répondue presque tout de suite. Lana est une travestie ayant une solide expérience du maquillage. Après avoir échangé quelques mails, nous nous sommes rencontrées dans un endroit qu’elle avait loué pour la journée. Elle m’a demandé de ne pas regarder pendant tout le temps qu’elle me maquillait. Une heure et demie plus tard, elle m’a mis une perruque et j’ai enfin pu me voir. Le choc, j’ai été totalement bouleversée. La femme que je voyais dans le miroir, c’était moi tout simplement, la personne que j’avais toujours rêvée d’être. Lana et moi nous sommes revues plusieurs fois. Elle m’a donné des produits de maquillage, des perruques, des vêtements, je lui dois beaucoup. C’est une période où j’ai rattrapé le temps perdu. J’ai collectionné les aventures avec de charmants partenaires. Ma désormais ex compagne étant revenue de vacances, je me faisais discrète et était souvent absente sois pour le travail ou soi-disant pour le travail. Je brûlais de tout lui dire, j’en avais besoin mais me retenais attendant que nous ne soyons plus sous le même toit. Le destin en a décidé autrement…
La brutale vérité et l’exil
Je cachais mes affaires dans un gros sac à dos, planqué dans mon armoire. Un jour, mon ex compagne rangeant un de mes jeans qui trainait s’est demandé ce qu’il y avait dans ce sac. Elle l’a ouvert, le choc a été brutal. J’ai subi un interrogatoire en règle. Je lui ai tout avoué. Mon homosexualité, mon besoin de m’habiller en femme ; j’ai tout de même omis un point, mon désir d’être femme. Je lui ai dit aussi que je ne l’avais jamais trompée, ce qui était vrai. Elle m’a dit que cela expliquait beaucoup de choses dans l’échec de notre relation. Elle m’a dit aussi qu’elle préférait que je sois homo plutôt que je sois tombé sous le charme d’une autre femme. Elle m’a demandé de me voir habillé en femme, sans maquillage ni perruque, ce qu’elle n’aurait pas supporté. Quand elle m'a vu, elle m’a dit : effectivement c’est toi, la féminité te va bien. Elle m’a donné deux semaines pour partir, arguant que c’était malsain pour notre fille. Je ne me suis pourtant jamais permise de me montrer en femme quand j’étais seule avec ma fille. J’ai très vite compris que je dégoûtais mon ex qui depuis lors m’a traitée avec mépris. Trouver un logement à Lausanne en deux semaines est quasiment impossible. Je suis allée à l’office du tourisme qui m’a donné une liste de chambre chez des particuliers. J’en ai visité une ou deux mais ne les ai pas prises parce que Sonia n’aurait pas pu s’y exprimer. J’avais peur de me retrouver à la rue, jusqu’à ce que je trouve une annonce pour un bed and breakfest gay friendly...
Sonia s’exprime peu à peu, le monde explose engendrant le chaos.
Je visite la chambre qui me plaît, je discute avec le propriétaire que je trouve éminemment sympathique, je lui dis que je suis gay, il est heureux parce que lui aussi, je lui dis que j’aime vivre au féminin, ce n’est pas un problème pour lui. La chambre est un peu chère, mais je gagne bien ma vie et l’immeuble est situé dans un endroit touristique de la ville et justement cet endroit, je l’adore.
Mis à part au travail, je suis femme la plupart du temps. Tantôt androgyne, le plus souvent entièrement femme. Il y a d’autres clients et la plupart que j’ai côtoyé, surpris au début, m’ont bien acceptée et je suis peu à peu devenue la chouchou de cet endroit haut en couleur. Mon proprio était adorable et disait souvent, je la chouchoute ma Sonia ! Nous sommes sortis quelques fois ensemble pour souper dans un bar gay et j’ai découvert les joies de prendre le métro en fille et de manger en bonne compagnie, belle de nuit enfin libre. Lana me rendais visite et parfois elle m’emmenait me promener en fille la nuit à Montreux, au bord du lac. J’étais alors à Disney Land. Sonia vivait enfin. Un tableau sympa me direz-vous, pas tout à fait...
Sous cet extérieur très « people » on va dire, il y avait une souffrance. La séparation, ma fille que je ne pouvais pas voir souvent, mon boulot qui m’emmenait aux quatre coins du pays à des horaires - genre se lever à deux heures du mat pour commencer la journée ou terminer sa journée à 1 heure du mat – pas faciles, le fait de ne pas vivre chez moi et d’avoir une chambre dans un lieu très fréquenté, le fait que Sonia prenait de plus en plus de place et que mon dernier bastion masculin ne pouvait le tolérer, ont fait que j’ai pas mal bu pour tenir le coup. J’étais entre Disney Land et une éminente catastrophe que je pensais pouvoir éviter. J’allais droit dans le mur. Je me disais jusqu’ici ça va, jusqu’ici ça va tout en sachant, sans vouloir l’admettre, que j’allais me prendre une baffe monumentale et que mon univers s’écroulerais et effectivement, il s’écroula…
Vol au-dessus d’un nid de coucou
Je ne gérais plus mon boulot, je ne gérais plus ma vie. Je vais voir mon chef qui me dit de me mettre à l’assurance un certain temps, je suis tout à fait d’accord avec ça. Je vais voir un médecin qui me mets à l’arrêt pendant un mois et qui me prescrit – grave erreur – des Xanax retards pour me calmer un peu. Je rentre « chez moi », prend un comprimé, bois un verre… Trou noir. Je me suis réveillée à l’hôpital psychiatrique de Prangins, on m’a dit que j’avais passé deux jours aux urgences, je n’en avais aucun souvenir. J’ai passé trois semaines là-bas et j’ai tout mis à plat. J’ai parlé aux psys de mon besoin d’être femme, de mes problèmes d’alcool et, lentement mais sûrement, je me suis reconstruite. J’en ai parlé à ma mère aussi et bien que cela ait été un choc pour elle, elle m’a comprise et me soutien à présent. Lana, mon désormais ex logeur et quelques-uns de ses amis sont venus régulièrement me rendre visite et m’ont soutenue aussi. Mon ex compagne, n’est jamais venue me rendre visite et n’a pas pris de nouvelles Je ne mentais plus, cela m’a énormément aidée à me rétablir. Puis je suis sortie de l’hôpital, ait démissionné d’un travail qui ne me convenait plus, j’ai quitté Lausanne et suis revenue à Neuchâtel refaire ma vie.