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« », une petite histoire imaginée par marietherese2

1 AMELIE jeanne jeanne.claude@femme.net 14-10-2004, 6:52 "MADELEINE" partie 5 de 12

"AMELIE"

Le colonel se réveilla après un petit quart d'heure. Il se réveilla doucement, un peu étonné de se retrouver là, dans cette position. Ses traits détendus le rajeunissaient. Son regard avait changé. Il n'était plus le froid colonel, mais un être humain qui venait de redécouvrir quelque chose qu'il avait connu il y a longtemps, bien trop longtemps, et qu'il ne croyait plus connaître un jour.

Il se leva doucement, non plus à cause de sa blessure, mais pour quitter cet endroit, cette position, un peu plus tard. Il se mit debout, prit sa canne, et d'un regard, me demanda de lui offrir mon bras.

Nous sommes rentrés lentement dans le salon. Le colonel allait bien mieux, mais il n'était pas pressé. Les gouvernantes, probablement mises au courant par Geneviève, me regardaient d'un air peut-être un peu surpris, mais certainement approbateur et même un peu admiratif. Pour s'asseoir, le colonel dut mettre son bras autour de ma taille. En s'asseyant, d'un mouvement lent, il s'arrangea pour frôler du visage mes cheveux tombants et mes rubans. Une fois assis, il rouvrit lentement les yeux.

Plus tard, au moment de nous quitter, le colonel échangea quelques phrases avec Geneviève. Celle-ci me regardait. Les gouvernantes et Françoise, en prenant congé, me saluèrent gentiment, et, l'une d'un geste de la main, l'autre d'un sourire me firent comprendre leur complicité grandissante. Geneviève me dit sa surprise et sa satisfaction. Jamais le colonel n'avait été aussi bien soigné par une gouvernante. C'est ce qu'il venait de lui dire.
"Le colonel est quelqu'un d'important. Il convient qu'il soit content de nous. Nous en sommes bien conscientes. Jusqu'à présent, nous nous sommes prêtées à ses petits jeux à tour de rôle. Tu sembles bien être la première à réussir à ce point la et à y prendre plaisir toi-même. Il te demande de passer chez lui un après-midi. Il aimerait inviter quelques amis à prendre le thé. Il désire que tu t'occupes du service. C'est à toi de voir si tu es d'accord."

Le lendemain, je suis allé voir comment allait Daniel. Il s'était mis au régime. Mais c'était un régime un peu spécial. Il n'avait rien changé à sa façon de s'alimenter, mais, comme il me l'avait expliqué, il mettait de l'ordre dans sa tête. Je trouvais cela un peu bizarre, mais comme il m'affirmait avoir ainsi perdu déjà deux kilos, je me suis empressé de l'encourager.

Geneviève, ayant su me convaincre, je suis allé chez le colonel pour servir le thé. Le colonel habitait un appartement dans un grand immeuble. Celui-ci était situé sur le boulevard, le long du parc ou j'avais l'habitude de me promener avec madame. Depuis les fenêtres du salon, on avait une vue magnifique sur le parc et le trajet habituel de nos promenades. Arrivé dans l'appartement, j'ai voulu vérifier. Au sourire malicieux et à l'air un peu penaud que prit le colonel, je sus qu'il observait nos promenades.

Le colonel m'apprit que ses autres invités n'avaient malheureusement pas pu venir. Il m'a demandé de bien vouloir rester et de faire le service pour lui tout seul. Il avait son air de petit garçon plein d'espoir. Son regard était doux, fixe et admiratif. Son sourire, encore un peu timide, ne demandait qu'à s'épanouir. Ses mains, que d'habitude il contrôlait si bien, tremblaient un peu et dessinaient des courbes. J'ai accepté de rester.

Il attendait de moi de revoir ces visions et d'entendre à nouveau ces musiques qui l'avaient troublé et enchanté la première fois. J'attendais de lui de revivre ces nouvelles émotions que ce vieux petit garçon m'avait procurées. Je corrigeai ma tenue, mit tout en place à la cuisine et annonçai à monsieur que tout était prêt. Il me fit signe d'avancer, et comme avant un défilé militaire, inspecta soigneusement tous les détails de ma tenue, me faisant tourner sur moi-même, devant lui. Satisfait, il hocha la tête et fit tinter la clochette. En lui versant son whisky, je sentais le poids léger et lourd à la fois de son regard voilé mais attentif. En passant près de lui, je le savais à l'écoute de toutes ces petites musiques vestimentaires que je provoquais, souvent involontairement, mais pas toujours.

Le verre versé, la bouteille remise en place, j'allai me poster derrière l'un des fauteuils situés en face de lui, en attente de la suite de mon service. Il me fit signe de me déplacer quelque peu sur ma droite. Placé là, il me voyait mieux. Il m'observait. Son regard, lorsque je ne bougeais pas, glissait sur moi et inspectait l'un après l'autre tous les endroits, tous les détails, toutes les formes, toutes les courbes qu'il trouvait charmants, et il y en avait beaucoup. Il me regardait de face, mais aussi pour varier son plaisir, suivant plusieurs angles, grâce aux différents miroirs de la pièce, qu'il avait adroitement agencés pour correspondre à l'endroit précis où je me trouvais. Lorsque je bougeais, même légèrement, même rapidement, son regard se fixait aussitôt sur la partie en mouvement, comme le font les enfants lors des feux d'artifice. Il buvait son whisky à très petites gorgées. En replaçant son verre sur la table basse, il fit tomber une petite cuillère, et me regarda, un éclat amusé dans le regard. Je m'approchai aussitôt, me penchai et d'un geste adroit et élégant, ramassai la cuillère. En me relevant, je tournai sur moi-même. J'allai porter la cuillère à la cuisine et revins me placer à ma position d'attente. Une autre cuillère était disposée près de son verre. Il en fit ainsi tomber trois, l'une après l'autre. Il aimait à me voir bouger, me baisser, ramasser, et me déplacer dans son salon. J'aimais le voir se détendre et profiter pleinement de ce bonheur un peu inattendu, un peu tardif. J'aimais le voir heureux. Nous ne retenions pas nos sourires amusés, signes de notre joie partagée.

Après la troisième cuillère, il pencha la tête, mordit sur sa lèvre inférieure, mit sa main sur sa jambe gauche et me demanda du regard de pouvoir s'allonger. J'attendis quelques instants avant d'acquiescer en fermant les yeux, afin de faire durer son plaisir. Il eut un sourire de gamin au matin d'une grande fête. Je m'approchai de lui, me plaçai à côté de son fauteuil, me penchai et l'aidai à se relever. Il s'appuyait encore sur moi pour marcher, mais d'une manière différente de l'autre fois. L'appui était moins fort, il avait besoin de moins d'aide, mais il y en avait plus. Il mit ses mains et le poids de son corps un peu partout où il y avait moyen de s'appuyer sur moi. Je m'assis sur son canapé, il s'allongea. Sa joie m'était bien visible. Son sourire, son regard le rajeunissaient énormément. Lorsque je posai ma main sur sa poitrine, lorsque mes cheveux caressèrent son visage, je percevais ses soupirs, j'entendais son bonheur. J'étais heureux de le lui donner. Lorsque je posai ma main sur sa jambe meurtrie, je le sentis se détendre. Lorsque je caressai sa jambe, il s'endormit.

Lorsque le service du thé chez le colonel fut achevé, je me préparai à partir. En prenant congé de lui, il me tendit un petit paquet.
"En souvenir de ces bonheurs que vous m'avez gentiment offerts, je vous offre ce pendentif et cette chaînette en argent, qui sont de vieux bijoux de ma famille. J'y ai ajouté deux clefs. Ce sont les clefs d'un bureau et d'une armoire qui n'ont plus été ouverts depuis très longtemps. Si tout se passe comme je le prévois, un jour vous ouvrirez ces meubles et prendrez connaissance d'une vieille histoire qui s'est déroulée, il y a bien longtemps, au temps de ma jeunesse."

Nathalie avait tenu à m'accompagner pour le premier essayage de Daniel chez Françoise. Je trouvais cela gentil de sa part, nous serions ainsi les deux sœurs aînées accompagnant leur petite sœur à un endroit important, à une étape importante de sa vie.

Daniel avait fait de gros efforts. Il disait qu'il avait déjà mis beaucoup d'ordre dans sa tête. Il avait déjà perdu un peu plus de cinq kilos. Françoise nous reçut très aimablement. Elle était visiblement très contente d'aider Daniel. Elle était un peu comme la troisième sœur de Daniel. Françoise nous a préparé un thé que nous avons bu ensembles, en bavardant. Daniel ne participait que peu à la conversation, du moins au début. Puis il se tut tout à fait. Lorsque notre thé fut bu, Françoise se tourna vers Daniel et lui dit joyeusement :
"Y allons-nous ?" Daniel restait immobile.
Après un moment d'attente, Françoise nous dit :
"Ce doit être l'émotion. Je propose que celle qui connaît le mieux Daniel, donc toi Suzanne, l'accompagne à la salle de bain. J'y ai préparé quelques sous-vêtements adéquats. Après vous nous rejoindrez dans la chambre de mes parents ou j'ai préparé des vêtements à essayer."

Daniel ne disait mot, mais son regard s'animait. Il me regarda et je lus sa confiance et sa joie dans son regard. La salle de bain avait plusieurs miroirs dont un grand, en pied. Daniel commença par se tenir debout devant celui-ci et se regarda avidement. Au bout d'un moment, il ferma les yeux, respira profondément, les rouvrit, et se tournant vers moi, me fit signe de la tête. Il avait retrouvé son énergie habituelle. Il en eut besoin. Lorsque nous avons disposé le corset autour de Daniel la première fois, l'entreprise semblait hasardeuse. Pourtant nous avons essayé. Je maintenais l'engin en place, Daniel faisait passer les lacets dans les premiers œillets. J'ai continué pour les derniers. Les lacets en place, Daniel relaxé, le moins tendu possible, j'ai commencé à tirer sur les lacets. Comme j'avais déjà de l'expérience personnelle dans ce genre d'exercice, nous avons bien vite trouvé notre rythme. Daniel respirait calmement, expirait, se relaxait, et je tirais. Je voyais les deux parties du corset se rapprocher. Pour s'encourager, Daniel se regarda dans le miroir. Il fit un mouvement de la tête et de deux doigts légèrement écartés, il me fit signe qu'il voulait encore gagner un centimètre.

Comme je savais qu'il aurait du mal à marcher, je lui ai donné la main. Je l'ai guidé lentement vers la chambre où attendaient Françoise et Nathalie, attentives à ses efforts limités par la difficulté de respirer.

Françoise avait préparé sur le lit une tenue à essayer. J'ai placé Daniel devant le miroir de l'armoire et je l'ai interrogé du regard. Il fit signe. Nous avons commencé par le chemisier. C'était un modèle que j'aimais beaucoup. Il était assez ancien, en soie blanche et portait sur le devant beaucoup de dentelles. Nous avons aidé Daniel à l'enfiler. Nathalie voulait l'aider à fermer les boutons. Daniel l'a arrêtée d'un geste et a commencé lui-même à les fermer un par un. De temps en temps, comme il y en avait beaucoup, il s'arrêtait un instant et examinait dans le miroir l'avancement du travail. Le chemisier, sur Daniel, épousait ses nouvelles formes, les mettant en valeur. Vers la fin, Daniel eut du mal avec les boutons du col montant. Françoise, gentiment, lui dit que c'était normal, que sa mère elle-même devait se faire aider pour cette tâche délicate. Françoise aida Daniel qui se laissa faire. Ceci terminé, nous nous sommes quelque peu écartés pour examiner le résultat sur Daniel qui, fasciné par son reflet tournait lentement sur lui-même, en ne quittant pas le miroir des yeux. Il y avait bien ici et là quelque endroits ou le tissu serrait un peu. Daniel aurait encore un peu d'ordre à mettre, mais l'ensemble était bon. Le chemisier allait très bien à Daniel, le mettait bien en valeur.

"Pour les chaussures, j'ai emprunté ceci à Jean. Jean va d'ailleurs passer tantôt pour juger du résultat et éventuellement faire quelques photos".

C'étaient de belles bottines noires à haute tige fermées par un lacet. Nathalie nous expliqua que Jean, passionné comme elle de photographie, avait aménagé une chambre noire ou il pouvait en toute discrétion développer et tirer des photos. Des clients du débarras aimaient à se faire photographier par lui. Certains tenaient à garder les négatifs et les tirages, d'autres chargeaient Jean de vendre leurs photos. Jean avait ainsi quelques albums qu'il montrait aux amateurs qui visitaient son débarras.

La jupe que Françoise avait préparée était très longue, comme on les faisait à cette époque, dite "belle". Son tissu doux et ferme contrastait agréablement avec la soie du chemisier. Nathalie et moi avons placé la jupe au sol. Françoise tenait Daniel à deux mains et le guidait vers la jupe. Nathalie et moi avons fait remonter celle ci. La taille de la jupe, pourtant très serrée, convenait parfaitement à la nouvelle taille de notre petite sœur. Le devant de la jupe, composé d'une seule pièce de tissu, tombait parfaitement droit. Daniel le vérifia dans le miroir. La petite bosse qu'il avait tant de mal à faire disparaître habituellement, avait complètement disparu ici. Puis il s'examina de profil. Là, il marqua un long temps d'arrêt. Son derrière tout à fait banal, il y a une heure à peine, avait pris maintenant une ampleur, une rondeur tout à fait féminine. C'était très joli à regarder et Daniel ne s'en lassait pas. Françoise tendit la main, croisa le regard un peu voilé de Daniel et examina la consistance de ses fesses. Elle lui dit qu'il y avait encore un peu de place. Le tissu permettait de placer des fesses un peu plus grandes.

Françoise avait préparé une de ses perruques à la mode ancienne. C'était une perruque blonde, aux longs cheveux. Elle l'avait coiffée en large chignon, laissant de chaque côté du visage s'échapper une longue mèche de cheveux. La partie inférieure de chaque mèche était délicatement bouclée. Elle expliqua que ce n'était pas facile de préparer une perruque sur une fausse tête, il fallait avoir beaucoup d'imagination. Une fois placée sur la tête de Daniel, les mèches peignées, brossées et mises en place, nous avons convenu que Françoise avait beaucoup d'imagination, car c'était une réussite. Quelques bijoux anciens furent du meilleur effet. Chacune des grandes sœurs put à son tour en parer notre petite sœur. Daniel changeait. Bien sûr, son apparence extérieure changeait, mais c'était un changement plus profond, c'était un changement intérieur, auquel nous assistions. Le visage de notre petite sœur changeait.

Habituellement, il n'avait pas de traits fort marqués, il n'avait pas un visage rude ou viril, mais il n'était pas efféminé non plus. Lors de ce premier essayage en famille, nous avions pu observer que son visage s'adoucissait. Certains arrondis s'arrondissaient un peu plus, certains plis, certaines tensions avaient disparus, certaines zones un peu fatiguées semblaient reposées, son sourire reflétait une joie intérieure sereine. J'aurais voulu en parler avec Daniel, mais son regard absent indiquait qu'il avait rejoint intérieurement un endroit magique qu'il avait longtemps cru inaccessible. Il ne fallait pas le déranger maintenant. Après avoir câliné notre petite sœur, dont l'habillage était terminé, les trois grandes sœurs se sont éloignées et ont pris place dans les fauteuils du salon, laissant Daniel en contemplation devant cette belle jeune fille d'un autre âge, qui était lui. Françoise nous a servi le thé. Nous avons pu bavarder à notre aise et commenter ce premier habillage en famille de Daniel.

Jean était très content, lui aussi. D'une part l'impression d'ensemble donnée par Daniel était très bonne, les photos en pied seraient excellentes, mais d'autre part la gestuelle de Daniel lui plaisait beaucoup. Jean étant transgenre lui-même, il mettait souvent en lumière dans ses photos cette fameuse dualité. A première vue, ses clichés étaient d'apparence banale, mais en deuxième lecture, plus attentive, on y discernait, et cela devenait rapidement une évidence, le caractère transgenre de la personne photographiée, à condition d'avoir le regard adéquat, par exemple en étant transgenre soi même. Cette particularité de ses clichés faisait leur succès auprès des amateurs spécialisés. Son ami Georges était de très bon conseil dans ce domaine.

Jean fit une série de clichés et garderait à notre disposition les négatifs et les clichés. Il se rendait bien compte de l'état de Daniel et remit à plus tard une proposition de le photographier à loisir dans un studio professionnel. En souriant, d'un air d'envie, il nous dit qu'il verrait bien Daniel en longue robe de soirée, avec de longs gants et un manteau de fourrure.

Nathalie avait, elle aussi pris quelques clichés. Elle fit la plus belle photo de la journée. Elle avait enfreint toutes les règles que l'on apprend aux photographes débutants et réussis une superbe photographie. Elle avait osé photographier une partie seulement du visage de Daniel, de plus de façon asymétrique, au moment ou Daniel tournait la tête. Elle avait joué avec la profondeur de champ. Seul le contour du visage était bien net. Le sourire léger, un peu flou, était lumineux et serein. Les yeux, eux aussi un peu flous, devançant le mouvement de la tête, transmettaient bien le message de Daniel. On voyait dans l'éclat du regard, dirigé dans la direction du mouvement, de notre petite sœur son ravissement, son émerveillement devant son monde intérieur, imaginaire qui rencontrait enfin le monde réel. Et puis, surtout, il y avait au coin de son œil ce petit bout de commencement de larme, qui brillait doucement, telle une étoile d'espérance.

La santé de madame était très bonne. Elle a voulu à nouveau inviter ses amies à boire le thé. Geneviève a tout organisé. Elle a ajouté Georges et Adèle, ainsi que Madeleine et Nathalie. à la liste des invités.

Nathalie et Madeleine sont arrivées les premières. Dans le hall, Madeleine m'a examinée lentement, de haut en bas. Je sentais son approbation et je me permis de tourner sur moi-même, en bougeant élégamment les bras, comme le font les ballerines.
" Suzanne, tu es très bien " Me dit-elle en souriant.
Nathalie souriait aussi en me faisant un léger clin d'œil complice. Elle mit une main à mon épaule et m'embrassa sur la joue.

Lors du thé, pendant mon service, comme je prenais de l'assurance, j'ai pu observer ce qui se passait autour de moi. Madeleine et sa nièce s'entendaient visiblement très bien. Leur connivence se traduisait par de petits gestes, par certains regards. Souvent elles avaient des gestes ou des attitudes identiques, spontanés et synchrones. D'évidence la tante et la nièce étaient de la même famille. Nathalie, comme d'habitude était charmante. Elle était très bien habillée, sans recherche excessive, mais tout simplement la tenue qu'elle portait était de bon goût et formait avec elle un ensemble harmonieux. C'était un plaisir pour moi de la voir se déplacer dans le salon, assise dans un fauteuil ou buvant délicatement son thé. Elle était en harmonie avec elle-même et avec sa tante. Tout en elle était féminin. De temps en temps nos regards et nos sourires complices se croisaient. Elle m'apprenait beaucoup, ma grande sœur Nathalie.

Georges et Adèle étaient comme d'habitude. L'un était un peu triste, un peu absent, un peu fatigué. L'autre était bon chic bon genre, de bon ton mais de compagnie ennuyeuse. A un moment, Geneviève demanda l'avis d'Adèle sur une question de disposition et de ton de tentures dans son appartement. Poliment, Adèle lui proposa d'examiner la chose aussitôt. Elles se levèrent et quittèrent le salon. Ce n'était pas grave pour moi, j'avais assez d'expérience pour assurer seul le service. Georges me fit signe qu'il prendrait encore un whisky. Je le servis en faisant tourner la bouteille, comme je savais qu'il aimait à le voir faire. L'affaire des tentures devait être plus compliquée que prévu car Geneviève et Adèle ne revinrent qu'une heure plus tard. Geneviève avait d'ailleurs l'air préoccupée. C'est en observant Adèle, et grâce à mon intuition, que je compris ce qui s'était passé. J'avais toujours eu de l'intuition, mais ce n'est que récemment que je découvrais sa puissance, que j'osais lui faire confiance. Adèle bougeait. Elle qui auparavant était assez lymphatique, elle pouvait facilement passer un quart d'heure sans esquisser un seul geste, bougeait maintenant sans arrêt. Elle bougeait dans son fauteuil, elle bougeait ses bras, ses jambes, prenait son sac à main, l'ouvrait, le refermait sans rien y prendre et le reposait brusquement par terre, pour le reprendre quelques instants plus tard. Son regard aussi avait changé. Elle regardait tout autour d'elle, sans parvenir à fixer quelque chose plus de quelques instants. Parfois elle regardait Georges et son regard, que j'avais toujours connu inexpressif, contenait maintenant un sentiment proche de l'étonnement. Lorsque le thé fut fini, les invités partis, je m'approchai de Geneviève car nous avions l'habitude de nous parler à ce moment afin d'examiner ce qui avait bien fonctionné dans mon service et ce qui nécessitait une amélioration. Geneviève ne disait rien et avait un air absent. Je lui mis une main à l'épaule et me penchant, lui dit à l'oreille:
"Je croyais que tu détestais les femmes."

A l'éclat que prit son regard, à son petit mouvement de tête, je sus que mon intuition était fondée. Je lui souris gentiment. Je mis ma seconde main sur son autre épaule, la serrai tendrement contre moi et déposai un petit baiser sur sa joue. J'avais toujours connu Geneviève sûre d'elle, volontaire et décidée. Maintenant, elle avait besoin de moi, elle cherchait mon appui. Je pris sa main, la posai sur mon bras, la recouvris avec la mienne, et guidai lentement Geneviève vers un canapé. Je nous préparai deux verres de whisky et vint m'asseoir tout à coté d'elle. Je me collai contre elle et mis mon bras droit sur son épaule. Elle avait besoin de moi, j'étais-la. J'attendis un long moment et puis elle répondit à ma question, d'une voix un peu étouffée :
"Oui, je le croyais aussi."

Quelques jours plus tard, je me suis rendu chez le colonel pour lui servir à nouveau le thé. J'ai eu l'idée de lui apporter une photographie de Daniel. C'était une photo de plain-pied prise dans le salon, chez Françoise. Daniel y prenait une pose compassée, comme on le voit faire sur les photos anciennes. Elle a fort intéressé le colonel. Il l'a fixée du regard pendant plusieurs minutes et puis a murmuré : "Amélie", sans faire attention à moi. Il garda la photo à la main et me demanda doucement :
"Avez vous d'autres photos de cette charmante jeune personne ?"
"Mais oui, nous en avons faites toute une série."

Il comprit ainsi que la photo était récente. Il me demanda alors de rencontrer le modèle. C'était visiblement important pour lui, mais j'étais embarrassé vis à vis de Daniel. Je lui répondis que j'en parlerais à Geneviève. Cela le calma un peu, mais ne l'empêcha pas d'être perturbé. Pendant mon service, il oublia de faire tomber ses petites cuillères. Pour l'amuser, en regagnant ma place après avoir rempli son verre, je tournai élégamment sur moi-même, mais il me regarda à peine. Il ne jetait pas beaucoup de regards vers ses miroirs. Il n'eut pas besoin de s'allonger. J'étais un peu triste. En prenant congé, il leva les mains en signe d'impuissance et s'excusa:
"Voyez-vous, cette photo fait ressurgir de lointains souvenirs. Vous me comprendrez lorsque vous lirez les documents qui sont dans l'armoire dont je vous ai donné la clef."

En rentrant, je suis passé par le magasin de lingerie, près de chez Jean. Adèle était dans le magasin. Elle était agitée et parlait sans arrêt. Elle termina ses achats, prit ses nombreux paquets et s'excusa de ne pas pouvoir me parler plus longtemps. Elle était très pressée. Elle devait voir Georges pour une affaire importante.

Je fis mes achats, bien à mon aise, car j'y prenais plaisir. Je passai ensuite à la pharmacie de Georges. La porte était fermée. Un écriteau signalait que la pharmacie était fermée pour cinq minutes. Une cliente, une habituée que je connaissais, était devant la porte. Me voyant, elle m'expliqua que ce n'était pas la peine d'attendre, que les cinq minutes duraient en fait plusieurs heures. Cette semaine, cela faisait la troisième fois que la pharmacie fermait l'après midi. Cela devait être grave car Georges avait l'air bien fatigué ces derniers jours.

En rentrant, j'ai proposé à Geneviève de boire le thé ensembles à la cuisine, j'avais des choses à lui raconter. Geneviève allait mieux. En m'entendant raconter les dernières aventures d'Adèle, elle avait un sourire amusé qui devint vite espiègle. Pour les questions posées par le colonel, comme je m'y attendais, elle prit les choses en main. Elle me dit que c'était très intéressant pour nous et qu'elle verrait Daniel à ce sujet.

Les choses ne traînèrent pas. Trois jours plus tard tout était arrangé. Daniel vint chez Françoise en fin de matinée. Il avait un peu le trac mais était séduit par cette expérience. Il avait trouvé le prénom Amélie joli et l'avait adopté. Je lui avais parlé du colonel et de ses divers aspects. Je retrouvais, en parlant du colonel, cette émotion un peu maternelle, en tout cas bien féminine, qu'il éveillait en moi lors de nos rencontres. Daniel m'écoutait, troublé. Tout ceci était un peu nouveau pour lui. Ces nouvelles émotions étaient trop nombreuses et il ne s'y retrouvait pas bien. En tout cas il tenait à essayer et à rencontrer le colonel. Il avait mis encore un peu plus d'ordre dans sa tête, le chemisier lui serrait un peu moins au niveau du cou. Il parvint cette fois-ci à attacher tous les boutons lui-même. Amélie apparaissait peu à peu. Les gestes brusques, les exclamations disparaissaient. L'élégance, la douceur, les sourires, les mouvements gracieux prenaient leur place. Lorsque Amélie fut prête, je la conduisis au salon et l'y installai. Françoise et moi lui tinrent compagnie en bavardant. Le colonel arriva exactement à l'heure convenue. J'allai lui ouvrir la porte. Il avait apporté quelques roses. Je le conduisis au salon. Françoise s'était esquivée. Amélie attendait seule. Le colonel s'approcha d'elle et bien raide s'inclina en lui présentant son bouquet. Amélie fut quelque peu étonnée. Cela ne devait pas lui être arrivé souvent auparavant de recevoir des fleurs. Elle prit délicatement le bouquet en main et d'un geste élégant approcha le bouquet de son visage. Elle s'inclina, pencha la tête et souriante, respira l'odeur de rose de ce premier bouquet offert. Le regard un peu voilé, d'un geste de la main, elle invita le colonel à s'asseoir. J'intervins :
"Si mademoiselle le permet, je vais m'occuper des fleurs de mademoiselle."

Elle acquiesça. J'emportai le bouquet à la cuisine. Françoise me fit signe de son pouce levé pour me féliciter. A deux, nous avons placé le bouquet dans un vase que j'apportai ensuite au salon. Je le plaçai sur la table basse, en face d'Amélie. Après m'être assuré que la clochette était à portée de main d'Amélie, je quittai le salon, les laissant seuls. Je rejoignis Françoise à la cuisine, laissant la porte de communication entrouverte. Nous pouvions ainsi les entendre de loin et deviner au ton employé l'évolution de leur rencontre. Françoise, en me versant du thé me félicita. Elle était contente de moi, de ma tenue, de ma présentation et de l'accomplissement parfait de mon rôle de femme de chambre.

Françoise et moi écoutions, comme deux chaperons. Le ton était chaleureux et profond. Ils ne se disaient pas que des banalités. Après une demi-heure, j'entendis la clochette et me présentai au salon. Mademoiselle demandait que l'on serve le thé. J'allai le chercher et le servit. Le colonel m'étonnait : il prit du thé. Il n'avait pas rajeuni, mais je dirais plutôt qu'il jouait un rôle, il rejouait, avec énormément de talent d'ailleurs, un moment important de sa vie, qui lui tenait fort à cœur. Il se tenait bien droit, non pas raide ou forcé, mais simplement bien droit, comme il avait du se tenir, il y a bien longtemps. Il avait un geste que je ne lui connaissais pas: il se passait de temps à autre la main sur le front, dans les cheveux qu'il n'avait plus. Amélie avait-elle aussi changé. Son attitude, ses gestes, sa position, son regard, son visage s'étaient embellis en cette demi-heure. Elle avait la beauté d'une femme qui se découvre aimée. Il y avait de la bonté et du remerciement dans son regard, de la bonté vers cet enfant émerveillé et du remerciement pour cette émotion extraordinaire, inespérée. Revenant à la cuisine, je vis que Françoise nous avait observés. A son regard, je compris qu'elle avait vu les même choses que moi et en pensait la même chose. Nous sommes restés silencieux dans la cuisine, attentifs, conscients de la magie de l'instant.

Ce soir là, en rentrant Geneviève parlait au téléphone, l'air tendue. Son regard était fixe et volontaire. Sa bouche était un peu pincée, en signe de concentration. Elle me fit signe de m'approcher et de m'asseoir. Elle me dit qu'elle aurait besoin de moi ce soir. Elle parlait avec Simone. Elle raccrocha et me dit :
"Viens nous aider, j'ai besoin de toi. Change-toi, mets quelque chose de plus pratique que ton bel uniforme. Je passe un manteau et nous partons chez la marquise de la Marolle.". Me regardant bien droit dans les yeux, elle continua :
"C'est une soirée importante pour Simone, pour moi, pour toi, pour nous toutes. "

Nous passâmes d'abord chez Jacqueline, qui habitait à deux pas de chez nous. Elle était prête et nous accompagna. Arrivés chez la marquise Alcina de la Marolle, c'est Simone qui nous ouvrit la porte. Elle était fort émue. Geneviève la prit dans ses bras et la réconforta. Geneviève prévint tout le monde que Françoise était partie chez le colonel, qui était prévenu par ses soins, et l'emmènerait ici le plus vite possible. Jacqueline, toujours pratique, m'amena à la cuisine pour préparer un thé bien fort qui nous ferait le plus grand bien. Nous avons eu juste le temps d'en boire une tasse avant l'arrivée de Françoise et du colonel. Simone, courageusement, se leva, mais nous vîmes bien que c'était un peu trop dur pour elle. Geneviève se leva également et accompagna le colonel et Simone à la chambre, auprès de la marquise. Ils revinrent assez vite nous rejoindre. Ils avaient l'air navré. Simone surtout était émotionnée. Je versai du thé à tout le monde. Le colonel prit son whisky habituel. Il plaça la serviette de cuir qu'il avait apportée avec lui sur la table basse, l'ouvrit et en retira quelques papiers. Il toussa et nous adressa la parole :
"En tant que médecin militaire, je viens de constater le décès de la personne qui se trouve actuellement dans la chambre de la marquise de la Marolle. La cause du décès est un accident cardiaque. "
Tous les regards se portèrent vers Geneviève qui continua :
"Nous allons donc exécuter notre plan. Je vous rappelle que celui-ci répond au vœu même de la marquise avec qui je me suis entretenue de tout ceci. Quelqu'un a-t-il une remarque ou une objection à faire ?" Elle fit le tour de l'assemblée, regardant chacun dans les yeux tour à tour.
"Bien, nous allons donc exécuter notre plan. Françoise, Suzanne et moi allons placer le corps dans la chambre de Simone. Docteur, vous allez établir le certificat de décès au nom de Marcel V… , pensez à prévenir le substitut Christophe de Blaes, le petit-fils de votre camarade de promotion"

Elle se leva, je la suivis. L'enterrement fut très simple. Le secrétaire de madame la marquise n'avait pas de famille proche. Il n'avait que quelques lointains cousins qui ne tenaient pas du tout à être vus en sa compagnie, et qui considéraient sa disparition comme une bonne nouvelle. Les gouvernantes étaient toutes là, bien sûr. Françoise avait tenu à venir et entourait Simone, avec l'aide de Geneviève. Madame la comtesse et ses amies étaient venues par sympathie pour leur amie qui venait de perdre sa précieuse gouvernante. La marquise de la Marolle s'est montrée très digne. Elle était toute de noir vêtue. Son chapeau était muni d'une grande voilette assez opaque. Dès que quelqu'un s'approchait, elle sanglotait et devait essuyer ses larmes avec son mouchoir. Elle ne parvenait à parler qu'avec Françoise, Jacqueline et Geneviève, qui l'entouraient et la soutenaient en ces moments pénibles.

Quelques jours après l'enterrement, la marquise Alcina de la Marolle partit à La B… pour suivre une cure de repos. Geneviève et Françoise avaient tout réglé pour elle. Françoise a tenu à l'accompagner jusqu'à La B… et à y passer quelques jours avec elle.

Le colonel rendit visite à la comtesse et en profita pour dire à Geneviève que tout était en ordre. Il avait fait viser le certificat de décès par le substitut du procureur avant de le remettre aux autorités. Une enquête était improbable. La marquise nous donnait de temps à autre de ses nouvelles. Elle allait mieux. Elle se remettait de ses émotions.

Elle revint après deux mois. Comme j'avais côtoyé la marquise Alcina et Simone auparavant, je pouvais admirer le travail du chirurgien. La marquise, je veux dire celle qui était revenue, avait un fort air de famille avec l'ancienne, un peu comme une cousine, une sœur, mais avait l'air bien plus jeune. Confrontée aux photos prises lors de son mariage, qui avait servit de modèle au médecin, le résultat était extraordinaire, surtout de profil. L'ancienne Simone avait presque complètement disparu. Elle avait aussi ces petits gestes, cette façon de jouer avec son collier de perles, ou cette façon de se toucher l'oreille comme pour vérifier la boucle d'oreille, qu'avait l'ancienne marquise. Elle avait profité de son séjour à La B… pour renouveler quelque peu sa garde robe. Elle était de circonstance, bien sûr, comme il sied à une marquise de soixante dix printemps. Mais elle avait tout de même acheté aussi quelques vêtements portés généralement par des femmes dans la quarantaine. Elle avait acheté une jupe que moi-même je trouvais un peu courte. Elle avait aussi acheté des maillots de bains. Elle avait choisi des modèles à la mode car, comme elle l'expliquait à Françoise, avec un petit sourire complice, elle avait profité de l'occasion pour améliorer l'esthétique de sa poitrine ainsi que celle de quelques autres endroits de son anatomie.

La marquise, revenue de sa cure, s'occupait maintenant de tous ses papiers, de toutes ses affaires aussi bien que sa gouvernante, que sa pauvre Simone, disparue bien trop tôt.

* marie therese le 11/01/2005


Responsable du site : Lucie Sobek


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