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« », une petite histoire imaginée par marietherese

CROISIERE DE REVE marietherese 19-04-2011 17:49:40 Cela fait déjà longtemps que je travaille dans ce ministère. Je fais partie d’une équipe d’anciens qui mettent les nouveaux fonctionnaires au courant des us et coutumes de leurs nouvelles fonctions.

J’ai déjà parrainé plusieurs nouveaux arrivés. Je m’entends bien avec eux, et ai plaisir à les rencontrer par après lors de mes visites dans les différents départements de notre ministère. Ce plaisir est réciproque. Je crois que cela tient au fait que je les ai considérés dès leur premier jour comme des collègues à part entière, alors que d’habitude les nouveaux venus sont traités avec condescendance par les fonctionnaires en place. Il y en a même qui profitent de leur inexpérience pour les tourner en ridicule et leur jouer des tours.

Avec Charles, cela n’a pas été tout à fait pareil. Dès que je l’ai vu arriver, j’ai vu que c’était une victime et qu’une arrivée normale au ministère, un début de carrière sans parrainage, le ferait souffrir. Son apparence, son manque d’assurance, son inquiétude visible, sa façon de marcher, de se déplacer, de regarder son interlocuteur, de mouvoir ses mains et ses bras, sa façon d’être, allait le placer en ligne de mire des lanceurs de quolibets, des faiseurs de mots faciles et des tourneurs en bourrique.

La première fois que nos regards se sont croisés, j’ai compris que Charles, que le Charles visible, n’était pas vraiment Charles. Le vrai Charles se trouvait un peu plus loin, bien caché sous le Charles apparent. Il fallait, pour le voir et le comprendre, une sensibilité particulière, une vision des choses un peu différente de la normale.

Cela fait longtemps que je sais que je suis différent. Cela fait longtemps que je mets en cachette des vêtements de femme. Cela fait longtemps que je n’aime pas mon corps trop grand, trop lourd, trop gras. Cela fait longtemps que, lors de mes rares essais, je me trouve ridicule. Cela fait longtemps que je ne me photographie plus lorsque je me travestis, car l’objectif est trop cruel. Cela fait longtemps que je sais que cela n’est d’ailleurs pas permis, et que cela déstabilise mon entourage. Cela fait longtemps que je ne me travestis qu’en solitaire, devant un petit miroir. Cela fait longtemps que, en public, pour faire au moins quelque chose de ce côté là, je suis passé maître dans l’art du déguisement de carnaval.
Cela fait longtemps que je sais qu’une personne peut paraître être quelqu’un, mais être au fond d’elle-même, quelqu’un de différent.
Pour avoir la paix, j’ai appris à dissimuler mes sentiments. J’ai confectionné tout un personnage sympathique, sans soucis, rigolo, parfois un peu macho. Les autres sont tombés dans le panneau et pensent que je suis réellement ainsi et que je n’ai réellement pas de soucis.

J’ai pris Charles sous mon aile protectrice. J’ai employé les facettes de mon personnage de composition pour le protéger et lui éviter les heurts et les blessures que quelqu’un comme lui rencontrerait à ses débuts.

J’ai un chef très compréhensif. Il aime bien qu’on le laisse tranquillement vaquer à ses occupations favorites, qui n’ont d’ailleurs que peu à voir avec sa fonction au ministère. Il m’apprécie et me fait confiance. Je sais comment le prendre. Il suffit de lui exposer un problème, et une solution qui m’arrange à moi. Je lui ai expliqué que Charles était doué, mais un peu lent en apprentissage. J’ai proposé que Charles soit le seul débutant dont je m’occupe, et que je lui consacre un an au lieu des 6 mois habituels.

J’ai passé le plus clair de son temps d’apprentissage à jouer au chien de garde. Au fil du temps, les collègues se sont habitués à Charles, et je devais de moins en moins montrer mes crocs. Après quelques mois, ils ne disaient plus rien de son air frêle, de sa voix trop douce, de ses gestes maladroits, de sa façon curieuse de marcher et de se déplacer, de ses yeux trop souvent baissés. Il y en avait déjà beaucoup qui s’étaient habitués et ne le regardaient plus comme une bête curieuse chaque fois qu’il rentrait dans une pièce. Il y en a même qui commençaient à apprécier son travail.

Je le regardais parfois travailler. L’air de rien, je l’observais et me disais qu’il avait bien de la chance. Si j’avais eu la chance d’avoir un physique comme le sien, je me régalerais et ne me priverais plus de mon plaisir, de ma passion.

Je n’avais avec lui que des conversations professionnelles. Je n’osais pas aborder avec lui un sujet qui me tenait à cœur. J’attendais une occasion favorable.

Vers la fin de son année de formation, ce fut l’époque du mardi gras. Je lui ai expliqué qu’un usage ancien voulait que des déguisements étaient tolérés dans notre ministère, du moins à notre niveau, donc tout en bas de la hiérarchie. Je lui ai montré quelques photos de moi déguisé en marin, en pirate, et en docteur du temps de Molière. Charles m’écoutait et regardait mes photos, mais avait visiblement la tête ailleurs. Après un long silence, il me dit, sans me regarder, que le lendemain, il allait m’apporter une photo.

J’ai passé une nuit agitée, peuplée de rêves étranges et de brusques éveils.

Le lendemain, nous étions au travail, à notre grand bureau, où nous étions assis face à face. Charles a ouvert un dossier. Il en a regardé longuement le contenu.

Il a pris délicatement, d’une seule main, la photo, en faisant bien attention à ne pas toucher du bout des doigts la surface sensible. Il l’a soulevée, comme on soulève un objet précieux. Sans me regarder, sans lever les yeux, il a incliné son buste vers moi ; et d’un geste arrondi, joliment élégant, a placé la photo devant moi, comme on dépose avec précaution, un beau cadeau.
J’ai regardé la photo. J’ai voulu la prendre en mains, pour mieux l’examiner, mais je ne suis pas parvenu à la toucher. Tout au plus, suis-je parvenu à tourner mes paumes vers la photo, pour sentir la douce chaleur qu’elle irradiait.
J’ai senti mon corps s’immobiliser et entrer en une sorte de léthargie. Je n’étais plus que mes mains qui se réchauffaient, mes yeux qui voyaient et mon cerveau qui analysait.
C’était une grande photo, de très bonne qualité. La netteté était excellente. Tous les détails étaient rendus.
Le personnage principal était une danseuse de flamenco. Elle était vue de trois quarts arrière et semblait se tourner vers le photographe.

Elle était en mouvement. Ce mouvement était suggéré de multiples façons. Il y avait la robe, les plis et les tissus tendus de celle-ci, ainsi que le balancement asymétrique des nombreux volants de la jupe. Il y avait aussi le corps de la belle Andalouse, la position de ses pieds, dont l’un était légèrement soulevé, le haut du corps décalé par rapport au pied encore en contact avec le sol, le bras gauche en retrait qui anticipait le mouvement, la main droite tenant un verre légèrement incliné pour ne pas laisser échapper de liquide, la tête tournée vers la gauche par rapport au haut du corps, et les yeux tournés à moitié derrière les paupières à demi fermées. Il y avait également les bijoux qu’elle portait. Elle portait de grands anneaux d’or à ses oreilles, un bracelet composé d’un seul rang de perles fines au poignet droit, et un pendentif accroché à une fine chaînette qui entourait son cou. Ces objets ne pendaient pas de façon naturelle. Ils indiquaient une rotation rapide de la danseuse sur elle-même.
Elle semblait chercher du regard quelqu’un qui venait de l’interpeller et être sur le point de le regarder en face.
L’angle de prise de vue suggérait que l’interpellateur était plus grand qu’elle, car la danseuse était en train de lever ses yeux.

J’ai regardé longtemps cette danseuse. Je la trouvais belle et attirante. Les détails de la photographie apparaissaient les uns après les autres. Les messages de la photo me parvenaient un par un. Les messages n’étaient pas provocants, ils étaient doux, agréables et harmonieux. Ces messages et la vue des détails, me confortaient. Je ressentais une sensation de paix et de sérénité.
La danseuse n’était pas provocante, pourtant il y avait aussi un message d’offrande. Elle était pudiquement habillée. Sa robe était sage et couvrante. Elle ne laissait rien entrevoir de sa poitrine. Sa longue jupe à volants ne laissait voir que ses fines chevilles.
Par contre, ses bras, longs et fins, juste habillés par un seul bracelet que j’ai déjà évoqué, et ses épaules dénudées, semblaient offerts en gage.
La danseuse semblait s’apprêter à s’offrir au verdict de quelqu’un.
Je suis revenu encore à son visage, à son sourire et à ses yeux.
Elle avait un sourire de petite fille contente de jouer à un jeu très amusant. Son sourire illuminait son tendre visage à la manière des anciens peintres flamands.
Je percevais dans ses yeux un léger pétillement qu’elle s’apprêtait à lancer vers son interpellateur.

Les cheveux, eux aussi, avaient un double message pour moi. Ils étaient sagement rangés, tirés en arrière et arrangés en un gros chignon maintenu en place par un grand peigne à trois dents. Ce peigne était agrémenté d’un dessin de cheval dressé sur ses pattes arrières. Le premier message des cheveux allait dans le sens de l’ordre, du rangement, et du plaisir de la contrainte. En y regardant de plus près, on voyait quelques petites mèches rebelles qui s’étaient échappées du chignon et avaient repris leur liberté. En patientant un peu, on croyait voir le cheval s’agiter, taper du sabot, s’élancer, emporter le peigne, défaire le chignon et offrir la liberté à toute la chevelure.
Passant du visage, et surtout des yeux de la danseuse, à ses cheveux, je comprenais que la double symbolique du chignon valait aussi pour l’Andalouse elle-même.
J’ai noté encore les personnages secondaires, à l’arrière plan de la photo. Certains dansaient. D’autres parlaient en groupe. D’autres encore étaient assis et buvaient. Ils étaient bien habillés et avaient des airs joyeux. Ils donnaient un air de fête à la photo.

J’ai encore regardé longtemps la photo. Lorsque j’ai enfin levé les yeux, j’ai vu Charles. Il avait déplacé sa chaise d’un quart de tour vers la droite, et tourné légèrement le haut de son corps vers moi. Il avait dirigé sa tête dans ma direction, mais pas assez pour me voir de face. Il avait ramené son bras gauche en arrière. Son bras droit, en un charmant arrondi, était dirigé vers moi. Il tenait à la main droite une tasse de café légèrement inclinée. Il regardait du coin de l’œil vers moi. Il regardait légèrement vers le haut, car je suis plus grand que lui.
Il avait le même sourire que sur la photo.
Je ne pouvais pas qualifier de léger pétillement, ce que je voyais dans ses yeux.

Il eut alors un geste de la main gauche. C’était comme s’il allait mettre sa main devant sa bouche, mais sa main s’arrêta juste avant d’arriver à sa bouche. Son index seul continua sa route, et vint caresser délicatement sa peau, entre sa lèvre et son nez. Je fis exactement le même geste. Ce mouvement, exécuté de concert, devint notre geste de connivence.

Le sujet qui me tenait à cœur avait était abordé. Sans avoir rien dit, nous savions maintenant tout l’une de l’autre.

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Cela fait maintenant 10 ans que Charles travaille au ministère. Depuis longtemps, depuis la fin de sa formation, nous ne travaillons plus ensembles. Mais nous nous voyons souvent, en dehors du travail.
Charles est resté timide. Comme tout le monde, il a des envies et des désirs, mais il a encore bien du mal à les formuler et surtout à les réaliser. Je l’ai beaucoup aidé dans ce domaine. C‘est un peu grâce à moi que Charlotte existe.
Malgré les sports qu’il pratique, son physique est resté ingrat. C’est Charlotte qui en profite. En plus de ses nombreux attraits, elle a maintenant de très belles jambes.

Son expérience de danseuse andalouse lui avait beaucoup plu, mais était restée unique avant que je m’en occupe. Sa sœur avait du réaliser un pari difficile pour une fête de charité dans son école. Tous les amis de la sœur, mis au courant du pari, avaient décliné la proposition. Seul Charles, le petit frère timide, n’avait pas su refuser. Le pari, sa préparation et la fête avaient bien plu à Charles. La fête fut suivie d’un bal où il avait beaucoup dansé, lui qui d’habitude ne dansait presque pas. Il y avait connu une sensation nouvelle. Il y avait connu les regards qui s’arrêtaient sur lui. En se laissant aller, en entrant dans la peau de son personnage de danseuse, en se fiant à son instinct, en osant se montrer tel qu’il se sentait au fond de lui-même, il s’était rendu compte que les regards se multipliaient. Aux autres bals, aux bals normaux, il ne dansait qu’avec sa sœur et l’une des amies de celle-ci, tirée au sort. Il n’y avait connu que des regards superficiels qui glissaient sur lui.
Mais le joli pari ne s’était pas reproduit.
L’année suivante il y eut une course en brouette, et puis la cuisson d’un immense hamburger.

J’habite maintenant tout seul dans notre maison familiale. Mes frères et sœurs ont quitté la maison l’un après l’autre. Mon père et puis ma mère nous ont quittés aussi. Je tiens beaucoup à cette maison familiale car elle est bien pratique. J’ai aménagé une des chambres pour ranger tous mes déguisements. La maison convient aussi très bien aux nombreuses visites de Charles. Il peut à loisir consulter ses catalogues de vente par correspondance sans crainte de se faire surprendre. Il peut aller dans les magasins de vêtements de seconde main, il y en plusieurs dans le coin, et ramener de nombreux paquets sans qu’on lui pose des questions. Il a sa chambre où il peut placer les vêtements et les affaires de Charlotte. Chez moi, il peut s’habiller comme il l’entend, et devenir Charlotte.

Charlotte est différente de Charles. Elle parle, elle rit. Elle est jolie et gaie. Tous les défauts de l’un deviennent des qualités chez l’autre.
C'est toujours un régal pour moi de voir Charlotte se préparer. Avec deux fois rien, très vite, Charles devient une jeune femme. Comme Charlotte est patiente, astucieuse, expérimentée et perfectionniste, elle devient une belle jeune femme qui attire le regard.

J’aime beaucoup sa façon de se mouvoir, de marcher, de se déplacer avec élégance. Ses mains, sagement placées sur son bras ou sa cuisse, mettent en valeur l’endroit de son corps où elles sont posées. L’instant d’après, elles bougent et virevoltent avec grâce. Elle aime à les faire glisser sur sa bouche, son cou, sa poitrine, ou ailleurs encore. Elle aime cela et cela se voit, du moins, moi je le vois. Ses mains finissent par s’arrêter quelque part et je les regarde, fasciné, attendant que les oiseaux reprennent leur envol.

Et puis il y a son regard, que j’aime regarder. Lorsqu’elle se sent bien, elle a un regard intéressant et expressif. J’aime bien lorsqu’elle me fixe de son regard caressant et admiratif. Lorsqu’elle est devenue cette belle jeune femme, aux yeux bien mis en valeur, son regard prend en plus une nuance de séduction. Nous aimons tous les deux nous plonger longuement dans les plaisirs délicats et subtils de la séduction.
Ensuite, il y a son sourire. Souvent, j’y décèle ce petit frémissement, ce léger tremblement qui est le signe chez elle, d’une émotion intérieure, qu’elle cherche à me transmettre.

Malgré les années qui passent, son regard et son sourire me troublent encore toujours autant.

Charles et Charlotte ne vivaient pas encore en parfaite harmonie, mais s’en approchaient. Charles allait mieux, il allait beaucoup moins mal qu’avant. Les désirs étaient moins exacerbés. Les frustrations étaient moins pénibles à supporter. Les fréquentes visites de Charlotte faisaient du bien à Charles. J’avais noté, moi qui connaissais l’une et l’autre, que de temps en temps l’un pensait à l’autre. Une tendresse fraternelle s’était installée. Ils réalisaient chacun les avantages de leur situation particulière. Ils se conseillaient mutuellement. Elle lui demandait ce qu’il ferait dans tel cas; lui, demandait à Charlotte quel vêtement lui irait le mieux. Quelquefois, lorsqu’elle se préparait, Charlotte sentait la présence de Charles derrière le miroir, elle se sentait observée et admirée. Cette pensée lui plaisait et elle souriait au miroir.
Par moments, il me semblait que Charles et Charlotte aimeraient être présents en même temps.

Charlotte chantait souvent. C’était joli à écouter, doux et mélodieux. En maintes occasions elle accompagnait ses actions d’une chanson au texte choisi, car adapté aux circonstances. Charles, un jour, lors d’une courte promenade de midi autour du parc, près du bureau, a chantonné de sa voix rauque, une petite chanson, une ritournelle d’enfant. Le ton était presque juste.

Nous sommes partis quelquefois en vacances. C’était agréable pour Charlotte de visiter des lieux inconnus et de vivre sans contraintes. Nous aimions nous balader au gré de nos envies et vivre ensemble des situations nouvelles.

Mais ce qui nous tentait c’était de partir en croisière. Nous étions tentés par cette ambiance de luxe, cette insouciance, ces magnifiques paysages lointains vantés dans des documentaires attractifs. C’était peut être venu par hasard, peut être ce jour où nous rêvions tous deux en regardant le liquide s’agiter doucement dans nos verres et où nous avons eu notre geste de connivence ; ou alors peut être en regardant, un dimanche de pluie, une adorable série TV américaine. Mais cela coûtait cher, c’était trop cher pour nous.

L’école, où la sœur de Charles enseigne maintenant la couture, organisait une fête annuelle de charité. Nous y allions chaque année, car cela nous rappelait un très bon souvenir. Une tombola y était organisée. Cette année, nous avons eu de la chance, nous avons décroché le gros lot.

Nous avons étés impressionnés en arrivant près du bateau, en entrant dans celui-ci et en en découvrant l’intérieur. C’était encore mieux qu’à la télévision. L’école avait bien fait les choses, nous avions une cabine avec une grande fenêtre donnant sur la mer. J’ai commencé par ranger mes affaires. Charles avait fini avant moi, car il n’avait emporté que très peu de choses. Puis il rangea les affaires de Charlotte. Cela lui prendrait bien plus de temps. Il y avait plus de vêtements, de sous-vêtements et d’accessoires à ranger, et puis sa vitesse de rangement avait fortement diminué. Il aimait encore toujours à toucher, caresser les douces étoffes et les tissus légers. En rangeant les vêtements dans la penderie, il aimait à faire glisser ses mains sur les vêtements déjà pendus afin d’éviter les faux plis malencontreux, et vérifier du bout des doigts la fraîcheur des tissus. Il posait les vêtements à plier sur le lit. Il s’arrangeait, en les pliant, pour multiplier les contacts entre ses mains et ses avant bras, et les tissus. En rangeant les vêtements soigneusement pliés dans les placards, il aimait à en corriger l’empilage. Il s’activait doucement, avec élégance, à ce rangement plein de promesses. Dans ces moments là, il avait un fin sourire et il fermait à moitié ses paupières, signe chez lui d’un grand plaisir intérieur.
Je le regardais faire. C’est un plaisir dont je ne me lassais pas.
Lorsque ce rangement tira à sa fin, je pris congé de Charles, que je n’allais plus revoir avant quelques jours, et je laissai notre cabine à la disposition de Charlotte, afin qu’elle puisse se préparer. Nous avons nos accords à ce sujet.

Je partis seul explorer notre bateau. J’avais mis ma veste à blason brodé, j’étais nu-tête, et mes poches étaient pleines. J’avais emporté une bonne partie de ma collection d’accessoires de déguisement. J’avais deux blasons brodés amovibles, deux fausses moustaches, une fausse barbe, des favoris postiches, deux paires de lunettes, quatre foulards, une canne pliante, trois montres, dont une à gousset, une casquette de golf et deux casquettes de base ball, sans oublier mon faux bedon. Tous ces objets étaient légers, pliants, gonflables, réduits à leur essentiel, étudiés pour donner l’apparence d’objets normaux, mais en prenant un minimum de place dans mes poches. Leurs couleurs étaient déterminées par ma volonté de disposer d’un maximum de possibilités d’apparences différentes. Le faux bedon était gonflable et pouvait me donner très vite l’apparence de quelqu’un pesant de dix à vingt kilos de plus que moi. La veste et le pantalon étaient réversibles, et de deux couleurs différentes.

Je me suis promené sur notre bateau et me suis livré à mon jeu favori. Je changeais très souvent l’un ou l’autre des détails de mon habillement. Je m’amusais à rencontrer plusieurs fois les même personnes et à leur présenter chaque fois un personnage le plus différent que possible du précédent.

Le soir venu, une heure avant le dîner, je suis allé chercher Charlotte. Celle ci préférait, pour une première sortie dans un nouvel environnement, me savoir près d’elle. Elle était prête, elle m’attendait. Elle aime bien que je l’examine avant de rencontrer des personnes inconnues. Elle fait confiance à mon sens de l’observation et à mon jugement. A mon arrivée dans la cabine, elle s’est levée gracieusement, a placé ses bras le long de son corps, les en a légèrement écartés, a relevé un peu son bras droit, puis a tourné lentement sur elle-même, en ne me quittant presque pas des yeux. Je n’ai rien dit, je lui ai souri. J’ai tenu la porte ouverte pour elle, et dans un tourbillon froufroutant, elle est sortie.
J’aime suivre Charlotte lorsqu’elle se promène. Je l’observe, j’observe les passants et les alentours. Je veille à sa sécurité. Elle sait que je suis là, en cas de besoin.
Parfois je la dépassais et lui indiquais discrètement le chemin. Je m’arrêtais un peu plus loin, la laissait passer et reprenais ma surveillance discrète.

Les jours suivants, nous avons profité de notre première croisière. Nous avons visité de concert, sans paraître être ensemble, les nombreux endroits intéressants du bateau.

Nous avons aimé le pont supérieur où il y a beaucoup d’air frais, et d’où l'on peut le mieux admirer les paysages, les côtes, les îles, les oiseaux et les autres bateaux. Nous avons apprécié l’allée intérieure bordée de magasins, les installations sportives, les bars, le casino et ses spectacles.

Le dernier soir, il y eut fête à bord. J’ai trouvé Charlotte particulièrement ravissante. Elle avait très bien réussi son adroit bricolage. Le décolleté de sa robe me laissait rêveur.

Pour le dîner de gala, les petites tables individuelles du restaurant avaient été disposées autrement. Un représentant de la compagnie était présent à chacune des grandes tables à l’allure festive. Nous avions à notre table la dame responsable des spectacles. Chaque convive avait reçu un badge mentionnant ses noms et prénoms, destiné à être épinglé à ses vêtements, ceci afin de faciliter les conversations et les échanges entre les participants au dîner. Charlotte que l’on ne prenait pas facilement au dépourvu, avait astucieusement épinglé le badge de Charles très près de la fleur qu’elle portait au corsage, juste assez près pour que l’on ne puisse lire que son nom de famille.

La responsable des spectacles était une personne volontaire animée par une grande énergie intérieure. J’ai remarqué qu’elle avait souvent les poings serrés. Pendant le repas, elle a demandé nos avis sur les spectacles proposés pendant la croisière. Elle nous a écoutés en prenant discrètement quelques notes. Elle nous a expliqué les difficultés qu’elle rencontrait pour trouver des spectacles de valeur, originaux, qui intéresseraient les vacanciers. Elle nous a demandé des suggestions.
C’est Charlotte qui a entamé la première notre geste de connivence. J’ai suivi.

Après le dîner, une grande partie de la salle de restaurant fut transformée en salle de bal. Charlotte aimait beaucoup danser et profitait pleinement de cette splendide occasion. J’ai dansé avec la responsable et lui ai dit que Charlotte avait une idée à lui proposer. Je lui ai expliqué en deux mots de quoi il s’agissait. J’ai senti sa danse se ralentir, la pression de sa main déposée sur mon coude s’alourdir, et j’ai vu la coloration de son visage changer de tonalité. A la fin de la danse, elle n’avait pas dit un mot. Assise sur une chaise, après quelques minutes au calme, et après avoir bu un grand verre de whisky, elle reprit son sang froid et son allure habituelle. Sa voix était à peine un peu rauque, un peu étouffée lorsqu’elle me dit, sans me regarder vraiment, notant rapidement les noms mentionnés sur nos badges, qu’elle allait transmettre notre suggestion au capitaine, seul maître à bord.

Le capitaine d’un navire de cette taille, transportant autant de passagers, est un personnage très important. Il ne s’occupe que des affaires très importantes du navire, laissant les affaires importantes à ses adjoints et les affaires courantes aux adjoints de ceux ci. Nous ne l’avions entrevu que deux fois durant notre séjour à bord.

Deux minutes plus tard, il était à nos côtés. Il tenait à la main gauche la liste des passagers, classée par numéro de cabine. Le paquet de feuilles était ouvert à la page où figurait notre cabine. Son pouce gauche était blanchâtre, ceci était du à la pression importante exercée par son pouce sur le papier, ce qui avait entravé la circulation sanguine. L’ongle de son pouce avait marqué le papier, juste au niveau de notre numéro de cabine. Son regard était scrutateur, mais pas inquisiteur.
Il nous proposa de passer dans un salon particulier afin d’entamer la conversation.

J’avais fait signe à Charlotte. Ce fut elle qui exposa notre idée. Elle lui proposa de monter un spectacle de danseuses de flamenco avec des artistes occasionnels qui seraient des passagers volontaires. Je crois que le capitaine pratiquait la plongée sous-marine. Je pensais cela à cause de la façon dont il regardait Charlotte. Il était visiblement amateur de jolis paysages sous-marins. Au son de la voix de Charlotte, encore plus chaude et veloutée que d’habitude, je sentais qu’elle appréciait d’être écoutée par le beau capitaine. Elle continua d’exposer les différents aspects de notre idée. Elle décrivait les détails de sa voix musicale, envoûtante comme une mélopée africaine, à un rythme calme et soutenu. Elle modulait les différents points de son exposé avec de courts silences, destinés à raviver l’attention de son interlocuteur, ce qui, à mon avis, n’était pas du tout nécessaire. Ses mains virevoltaient et accompagnaient, soutenaient l’exposé. Je portais toujours sur moi une copie, en format réduit, de la photo de Charlotte en danseuse andalouse. Je la passai discrètement à Charlotte. A la fin de son exposé, d’un geste élégant, elle posa la photo devant le capitaine. Celui ci voulut la prendre en main, pour mieux l’examiner, mais il n’est pas parvenu à la toucher. Il est parvenu, tout au plus, à tourner la paume de ses mains vers la photo, pour sentir la douce chaleur qu’elle irradiait.
J’ai vu son corps s’immobiliser et entrer en une sorte de léthargie. Il n’était plus que ses mains qui se réchauffaient, ses yeux qui voyaient et son cerveau qui analysait.
Notre suggestion a été retenue. Nous allions participer à un prochain voyage.

Dès notre retour, nous avons contacté la sœur de Charles. Intéressée, elle a fait confectionner par ses étudiants en couture, une série de costumes de scène un peu spéciaux. Cela n’a pas été facile de réaliser ces costumes qui devaient se rapprocher de la robe classique de danseuse de flamenco, s’adapter à des morphologies différentes et donner au groupe de danseuses une homogénéité convaincante. La robe de base était celle qu’elle confectionna pour Charlotte. Les autres étaient des copies munies de plusieurs systèmes d’extension et d’adaptation. Les jupes et les hauts des robes étaient astucieusement détachables et interchangeables. De nombreux plis avaient été prévus afin de pouvoir, en cas de besoin, être décousus, dépliés, et offrir un peu d’ampleur supplémentaire. Nous pouvions ainsi adapter chaque costume à chaque danseuse, et éviter à celles ci des limitations dans leurs mouvements, dues à des contraintes vestimentaires.

Nous avons également contacté un fabricant de lingerie connu pour sa grande gamme de produits. Il nous a fourni une grande quantité d’échantillons de sa collection actuelle, accompagnés de nombreux catalogues à remettre aux danseuses de notre spectacle. Nous n’avons pas du contacter de fabricant de bas nylon, il s’est présenté de lui-même, alerté par son cousin, le fabricant de sous-vêtements.

Pour les chevelures, nous avons préféré des perruques afin que nos danseuses aient des chevelures identiques. Nous voulions éviter de présenter au public un groupe de danseuses andalouses peu vraisemblable à ce niveau, car nous nous doutions que certaines de nos danseuses pourraient avoir des cheveux trop courts, ou que les couleurs des cheveux des différentes danseuses soient trop dissemblables.
Charlotte qui, lors du pari de la fête de charité, n’avait du danser qu’une parodie de flamenco, a suivi récemment des cours donnés par une danseuse professionnelle.

Comme je suis un peu styliste, que je m’occupe un peu de décoration, je me suis chargé de l’affiche. J’avais dessiné une grande scène avec ses projecteurs. Elle était vide. Je n’avais dessiné qu’un seul personnage, à l’extrême gauche. Le personnage figurait une danseuse de flamenco. Elle souriait, avait un air engageant et faisait signe de la main. Au-dessus d’elle, un texte précisait :
« REJOIGNEZ-MOI ! DEVENEZ DANSEUSE DE FLAMENCO POUR UN SOIR ! »

Quelques mois après notre première, nous avons embarqué pour notre deuxième croisière. Notre statut avait changé, nous étions maintenant des monteurs de spectacle. Nous avons retrouvé avec plaisir la responsable des spectacles et le capitaine. La responsable nous avait réservé une suite, qui était bien plus grande et luxueuse que notre ancienne cabine.
Nous sommes arrivés bien à l’avance. J’ai ainsi eu le temps de placer des affiches à différents endroits, tandis que Charlotte se préparait.
Charlotte, en tenue de danseuse, et moi, nous sommes placés à l’entrée du bateau, juste après le contrôle d’embarquement. Les passagers, intrigués, venaient aux nouvelles. Charlotte se montrait, moi j’expliquais le fonctionnement de ce nouveau spectacle.
Nous n’avons pu accepter que les cinq premières candidates.

Dès le premier jour, nous avons commencé les premières séances d’habillage et les répétitions. Emportés par notre enthousiasme, nous avons commencé trop vite. Nous avons voulu trop bien faire du premier coup. Cela a été toute une histoire pour habiller complètement nos danseuses, les coiffer, leur mettre leurs souliers dont elles n’avaient visiblement pas un usage courant. Lors des essais de sous-vêtements, les catalogues fournis par le fabricant nous ont été fort utiles. Ces catalogues servaient de carnets de notes et ont été emportés par nos danseuses en vue d’achats ultérieurs

J’ai réussi à aligner les danseuses sur la scène. Leur équilibre était précaire. Charlotte a montré un pas de danse assez simple. Lorsque j’ai demandé au groupe d’exécuter ce même pas de danse, ce fut la catastrophe. L’une d’entre elles a trébuché, et a entraîné dans sa chute le groupe tout entier, un peu comme à la télévision, lors de records de chutes de dominos en série. Heureusement il n’y a pas eu de dégâts, et cela s’est terminé dans les rires.

J’ai revu ma méthode. J’ai fait enlever les souliers, les jupons et les bas des robes. D’abord je leur ai fait déplacer les pieds en cadence, et ensuite nous avons repris l’exercice. Plus aucune danseuse n’est tombée. C’était la bonne méthode. Dés que nous arrivions à un résultat convenable, je leur faisais mettre un élément supplémentaire de leur costume, en laissant les souliers pour la fin.

Bientôt mes danseuses eurent tous leurs jupons et les bas de robe. Lorsqu’elles tournaient sur elles-mêmes, il était alors facile de vérifier la synchronisation des rotations en écoutant la musique des frottements des bas nylon, des jupons et des volants des robes. C’était facile, mais également fascinant et troublant. Le capitaine, qui passait justement, par hasard, pour voir si nous n’avions besoin de rien, a du s’asseoir et fermer les yeux. Après un moment, j’ai vu à son sourire enfantin et à sa façon de battre la mesure avec son index qu’il allait mieux et qu’il ne fallait pas s’inquiéter pour lui.
Ensuite le groupe a appris à se déplacer sur scène, à taper du pied en cadence, tout en manipulant les castagnettes.
L’essai final, avec les souliers, fut cette fois un succès.

Visiblement le groupe voulait s’amuser et profiter de cette occasion originale. L’ambiance était joyeuse et décontractée. Nous avons connu quelques petites tensions dues à l’émotion, forte par moments, par exemple pendant et juste après l’épilation du bas des jambes et des bras. Nous n’avons pas connu la grossièreté, les rires gras ou les plaisanteries déplacées.
Le photographe de bord, à la demande du capitaine, prit une photo du groupe au complet, ainsi qu’une photo en pied de chaque participante. Le capitaine a offert une copie à chaque participante, et en a gardé une pour les archives du bateau.

Le soir du spectacle, le groupe était prêt. J’avais placé mes danseuses dos au public, dans des poses d’attente identiques. On entendit la complainte des guitares qui semblait vouloir mettre en mouvement les danseuses immobiles. Tout en douceur, Charlotte se mit en mouvement. Un projecteur supplémentaire l’éclaira. Charlotte leva son pied gauche, le remua et le reposa doucement par terre. Elle fit de même avec l’autre pied. Elle attendit un peu et se lança dans une sarabande de claquements de pieds au sol, s’accompagnant en agitant les castagnettes qu’elle avait dans ses mains. Elle s’arrêta brusquement, et dix secondes plus tard, refit les mêmes mouvement, mais cette fois-ci en tournant lentement sur elle-même. Lorsqu’elle commença son deuxième tour, la danseuse voisine dansa à son tour, de la même façon, mais en tournant dans l’autre sens. A chaque tour de Charlotte, une autre danseuse se mettait en mouvement.

Charlotte commença en plus à bouger ses bras. Elle leva d’abord son bras droit verticalement, et puis le fit descendre le long de son corps en laissant glisser ses doigts sur toutes les parties de celui-ci. Ensuite ce fut le tour de son bras gauche. Ensuite encore, elle employa ses deux bras en même temps. Elle pliait aussi le buste sur le côté, penchait sa tête en de brusques mouvements et balançait ses hanches. Les autres danseuses firent de même.

Par après, Charlotte commença à se déplacer sur la scène. Les danseuses lui firent de la place et se mirent à la suivre. Elle les entraîna dans des mouvements en boucles qui occupaient toute la scène. Chacune vint ainsi sur le devant de la scène et eut l’occasion de montrer son savoir-faire.

Charlotte et ses danseuses reprirent leur place de départ et se replacèrent de dos au public pour le final. La musique se fit plus saccadée et lancinante. Les danseuses tapaient le sol d’un seul pied et marquaient le rythme. D’un léger mouvement des hanches, elles balançaient leurs volants et leurs jupons. Les bras pendaient le long des corps. Les claquements des castagnettes, noyées dans les volants étaient quelque peu amortis. Les bras droits se levèrent lentement jusqu’à la verticale. Ensuite les mains droites n’agitèrent plus les castagnettes, mais descendirent lentement vers le grand peigne qui maintenaient leurs chignons. Les mains s’emparèrent des peignes, et d’un geste brusque, les arrachèrent. Les longs cheveux noirs tombèrent en de multiples cascades. Les danseuses, presque immobiles à présent, n’avaient plus en mouvement que leur tête qu’elles balançaient doucement.
Les guitares se turent. Dans le silence de la salle de spectacle subjuguée, les danseuses firent chanter la musique mousseuse de leur costumes.
Les projecteurs s’éteignirent lentement.

Le dernier soir de la croisière, il y eut, comme d’habitude, un grand dîner suivi d’un bal. Charlotte portait sa petite robe noire toute simple, qui lui va si bien. Elle avait une coiffure courte et asymétrique. Elle ne portait que peu de bijoux. C’étaient les mêmes que sur la première photo que j’ai vue d’elle : de grands anneaux d’or à ses oreilles, un bracelet composé d’un seul rang de perles fines au poignet droit, et un pendentif en forme de bateau accroché à une fine chaînette qui entourait son cou.
Plusieurs danseuses avaient tenu à revêtir leur costume de danseuse andalouse. Le capitaine était ravi. Il les appelait « mes Charlottes » .
J’étais assis à côté de la responsable des spectacles. En début de soirée, elle était tendue, ses poings étaient fort serrés.

Nous regardions à la table voisine le jeu qui se jouait entre le capitaine, Charlotte et deux danseuses du groupe. Le capitaine faisait mine de se tromper de danseuse. Charlotte souriait, comme une grande sœur sourit à son jeune frère qui la taquine. Les danseuses jouaient le jeu et acceptaient de bonne grâce de nombreux compliments.

J’ai raconté à la responsable quelques plaisanteries qui concernaient les ministères et leurs fonctionnaires. J’en connais beaucoup. Elle a ri. Elle a ri comme quelqu’un qui n’a plus ri depuis longtemps, depuis trop longtemps. Elle m’a raconté quelques moments de sa vie. Je regardais ses mains se détendre. Lorsqu’elle aussi a regardé ses poings desserrés, elle se tut. Il y eut un long silence. C’est après ce silence qu’elle m’a fait sa demande. Le ton de sa voix était différent. Elle qui aimait à décider, commander, organiser avec autorité des choses compliquées, avait du mal maintenant à formuler une demande toute simple, un peu comme une petite fille demande un plaisir qu’elle croit défendu, mais qui est pourtant accessible.
Une demi-heure plus tard, nous avions à table une danseuse de plus. Ses yeux étaient rieurs, ses gestes étaient souples, ses mains et ses doigts se mouvaient avec aisance et accompagnaient son agréable conversation.
Au début, le capitaine ne regardait que par moments dans sa direction. Il la fixait juste un bref instant de trop pour que ce soit tout à fait normal. Puis, il la regarda autrement. Il semblait la découvrir. Elle sentait ses regards posés sur elle, et cela l’embellissait.

C’était le rôle du capitaine du bateau d’ouvrir le bal. Il vint à notre table, comme le ferait un petit garçon timide arrivé par hasard ou par erreur dans le corps d’un capitaine de bateau de croisière. Il tendit la main vers ma voisine et réussit à articuler un faible « madame… » suivi d’un geste ample désignant la piste de danse. La responsable le rejoignit et le suivit jusqu’à la piste. Elle avait maintenant une démarche sautillante que la coupe, la forme et les volants de sa robe accentuaient encore. Je la trouvais plaisante à regarder.

Arrivés sur la piste de danse, lorsqu’il a posé ses bras contre son corps, j’ai vu la respiration de la responsable s’arrêter un instant. Plus tard, lorsqu’il a fait glisser sa main, elle a levé ses yeux vers lui, sans élever la tête. Sa rigidité habituelle l’avait quittée, elle n’était plus que souplesse. Elle s’est laissée aller, elle s’est laissée glisser, elle s’est donnée, enfin.
Il avait l’air de se demander si tout ce qui venait de se passer pendant la dernière heure était bien raisonnable. Ensuite il se demanda s’il était nécessaire d’être raisonnable. Plus tard il se demanda quel était le sens de ce mot qui avait guidé sa vie jusqu'à présent.
Charlotte avait rejoint ma table. Nous suivions tous deux avec intérêt les évolutions de la responsable et du capitaine. Cette fois-ci, c’est moi qui ai commencé le premier notre geste de connivence.

Charlotte a accepté quelques invitations. Elle aime à se trémousser avec un partenaire en suivant les rythmes à la mode. Elle n’accepte pas les invitations lorsqu’il s’agit de danses lentes. Elle m’en avait réservé quelques-unes. C’est un accord entre nous. Elle en a aussi dansé quelques-unes toute seule. Elle aime à tourner sur elle-même, au rythme lent de la musique, en balançant son corps et sa tête. Elle laisse flotter ses bras, comme si elle était en apesanteur. Bientôt, si elle se sent bien, elle fermera les yeux et évoluera sur la piste. Grâce à son sixième sens, sa danse gracieuse, solitaire et fragile n’est jamais interrompue par un heurt inopportun. A mon avis, cette danse solitaire, gracieuse, fragile, ne heurtant personne de son voisinage, symbolise la vie actuelle de Charles.

Les danseuses andalouses dansaient aussi. Des spectateurs qui avaient apprécié notre spectacle les invitaient et les entraînaient vers des danses joyeuses. Parfois aussi nos danseuses dansaient avec leur partenaire. L’air était plus grave, et la joie plus intérieure. J’ai noté ce couple formé d’une de nos danseuses et de sa partenaire qui avait revêtu la tenue de soirée de son mari. Personne ne pensait à se moquer d’eux, tant leur attitude, leurs regards, leurs sourires, leur façon de se toucher, de se serrer l’un contre l’autre, de se mouvoir en douceur sur la piste de danse, montraient que la tendresse complice qui les unissait était intense.

Peu après notre retour, nous avons reçu une lettre qui nous a fait plaisir. La société des croisières DRUEMBUUT avait été très satisfaite de notre participation à l’animation de leur croisière. Une copie de l’élogieux rapport, établi par la responsable des spectacles était jointe. Le rapport était contresigné par le capitaine. Les deux signatures étaient décalées. Aucun des deux n’avait signé au-dessus de son nom. Les deux signatures étaient délicieusement entremêlées. La conclusion du rapport recommandait fortement de renouveler cette expérience originale.

La société nous offrait un voyage. Nous étions invités à l’inauguration d’un de leurs nouveaux produits : la mini croisière. Nous allions y rencontrer le capitaine, la responsable des spectacles et toute la direction de la société. Nous pourrions ainsi mettre au point les détails de notre future collaboration.
Cette fois-ci, c’est en même temps que nous avons commencé notre geste de connivence.









Ecrit avec toute ma tendresse et l’aide de Thérèse, en Belgique flamande, pour les copains et les copines de Hommefleur,


Marie Thérèse KOEST mars 2011


Responsable du site : Lucie Sobek


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