barcarena9@gmail.com
inforbart@gmail.com
malucao2017@outlook.com.br
isacczim@ig.com.br



Je me connecte  Hop !
J'ai perdu le mot de passe  Hop !
S'inscrire comme membre du site  Hop !

HOMMEFLEUR, le site pour les hommes qui aiment les femmes, au point de vouloir leur ressembler !

« La Jumelle Endeuillée », une petite histoire imaginée par micheleanne

1 La Jumelle Endeuillée jeanne tvq@femmes.net 29-10-2004, 15:05 par Michèle Anne Roncière


À Carole, avec amitié.

J'avais 15 ans lorsque mourut ma soeur et que le temps s'arrêta chez nous: j'habitais avec mes parents dans une maison austère, où d'immenses boiseries murales engloutissaient toute la lumière qui réchappait de systèmes de rideaux épais et compliqués, où profusion de tapis et de moquettes assourdissaient tout du monde extérieur et faisaient régner sur la vie familiale une atmosphère de monastère trappiste: seuls les rires frais et les toilettes colorées de ma grande soeur avaient apporté jusque là, sans que nous nous en fussions véritablement aperçus, le souffle d'air pur, l''étincelle de vie indispensables à relever une ambiance aussi morne et désolante.

Mon aînée de trois ans venait juste d'être fiancée à un jeune homme dont on nous assurait du brillant avenir, et qu'elle n'aurait peut-être point choisi elle-même tant il ressemblait, par son caractère taciturne, son sérieux de vieillard et ses discours ennuyeux, à nos vieux parents. Mais elle avait pris cela comme elle prenait toute chose, avec résignation et bonne humeur.

N'eut été l'âge et le sexe, on aurait pu nous prendre pour des jumelles, tant nous nous ressemblions au physique. Mais nos différences étaient ailleurs: j'étais triste et morose, comme toute la famille, et cela sans doute à cause de mon secret personnel: j'aurais tant voulu être une fille comme ma soeur, moi aussi, un de ces êtres, ma mère exceptée, qui rayonnent de douceur, de gaieté, et font un enchantement de tout ce qui les entoure au lieu de se complaire, comme le reste de l'humanité dans les veuleries du monde et les bas-fonds de l'esprit...

Mais je constatais chaque matin, avec désespoir, que cette grâce persistait à m'être refusée, et toutes les fois que je me regardais dans un miroir, je retombais dans la noirceur infinie de mes pensées déprimantes. Dieu sait pourtant que j'eusse été si bien en fille ! Et moi aussi, je le savais car, plus d'une fois, j'avais revêtu en cachette les affaires de ma soeur: à part la chevelure, qu'elle avait longue, et moi courte, j'avais cru la voir dans la glace; et cela d'autant plus que je parvenais sans efforts à me maquiller comme elle !

Une fois, rentrée plus tôt que je ne l'attendais, alors que mon père était à son bureau et ma mère chez des amies pour sa partie de bridge, elle m'avais surprise dans sa chambre, essayant un chemisier de broderie fine et l'une de ses longues jupes plissées qu'elle affectionnait. Pour parfaire ma tenue, je m'étais parée d'un collier de perles de Maman, qui lui en avait fait don: j'étais, encore une fois, une jeune fille plus qu'acceptable, et tout à fait "comme il faut", image un peu garçonnière de ma soeur, cependant, qui ne s'y trompa pas:
Elle éclata d'un rire joyeux, dépourvu de toute moquerie:
"Eh bien ! J'ignorais que j'avais une soeur !" Puis, aussitôt: "Dis-donc soeurette, tu n'es pas mal comme ça !"

Je n'eus pas à donner d'explications: peut-être pour me tirer d'embarras, ma soeur entra dans mon "jeu" en me donnant de vieilles affaires qui ne lui plaisaient plus, ainsi que des produits de maquillage sur la fin, dont elle ne savait que faire. Elle sortit même de son placard une objet magique qu'elle me fit essayer: une perruque longue, la première que je voyais, et qui acheva de me transformer, mais pour quelques instants seulement, hélas, car elle finit par me l'ôter et la remit soigneusement à sa place. Peut-être avait-elle compris... et pourtant, je ne devais jamais plus reparaître en fille devant elle: quelques jours plus tard, pour revenir de chez une amie qui l'avait invitée, elle accepta de monter dans la voiture de celle-ci, qui venait de lui être offerte en récompense d'avoir obtenu son permis de conduire. C'était un Dimanche, il était tard. Un camionneur en fraude, trop pressé de livrer sa camelote, effectua un dépassement dangereux sans visibilité; les deux filles furent tuées "sur le coup", comme on dit.

Elles ne se rendirent compte de rien, sans doute: à peine le temps de voir les deux gros phares du camion au détour du virage, sur la même voie qu'elles; peut-être celui de se demander ce que c'était; sûrement pas celui de réaliser, ni même d'avoir peur, non plus que de souffrir. Pourquoi, la dernière fois que je vis ma soeur, belle et tranquille dans son cercueil, et comme ensommeillée dans la grande robe blanche, pensai-je à la fois mourir et renaître moi-même ? Je ne me souviens guère de la cérémonie: seulement de la voiture noire derrière laquelle il nous fallut marcher jusqu'au petit cimetière de campagne où nous avions notre caveau, où l'attendaient des générations d'ancêtres décharnés. Je ne regardai pas quand on y déposa ma soeur.

Quelques jours plus tard, Albert, le fiancé de ma soeur, vint à la maison. Mes parents et lui s'isolèrent dans le petit salon pour s'y livrer à l'évocation de leur "chère disparue". Et moi, négligé, qui les entendait à travers la porte, n'y tenant plus au bout de dix minutes, je me précipitai dans la chambre restée close.

Tout y était comme ma soeur l'avait laissé. Passant un regard ému sur les bibelots, les livres et les meubles, je finis par tomber sur la penderie... Une demi-heure plus tard, j'étais ma soeur, et cela d'autant plus que j'avais mis la belle perruque brune. Ce que je ressentis cette fois là dépassa le soulagement habituel: ce fut plutôt comme une transfiguration, à laquelle s'ajoutait le bonheur inexprimable que ma soeur n'était pas vraiment morte, puisque elle prenait dans la glace la place de mon reflet. Soudain, la porte s'ouvrit: sans doute Albert avait-il demandé à voir une dernière fois les lieux où ma soeur avait vécu, ceux qu'elle avait embellis et aimés... Lui et mes parents firent irruption dans la pièce, au milieu de laquelle je restai figée et interdite. Ma mère s'évanouit en me voyant, ce qui me permit de filer dans ma chambre pour tâcher d'y reprendre mon apparence ordinaire.

Je n'avais même pas eu le temps d'enlever mon maquillage que mon père m'y avait déjà rejointe; c'était un homme dur, qui ne m'avait jamais ménagé les corrections dont, bien sûr, ma soeur avait toujours été exempte. Il avait déjà levé le bras pour me donner la plus magistrale des gifles qu'il eût jamais donnée quand je me retournai et le regardai bien en face. Il me dévisagea longuement, hésitant, puis laissa retomber lentement sa main qui tremblait, et s'en alla sans dire un mot.

Partie II
par Michèle Anne Roncière


À Carole, avec amitié.

Je restai dans ma chambre jusqu'au soir, ne redevenant garçon que pour le souper, qui fut des plus sinistres: de mon père, de ma mère et de moi, nul n'osait rompre le silence, et nous mangions le nez dans nos assiettes, en évitant de nous regarder. Et il en fut ainsi de chaque repas pendant trois mois, au bout desquels j'avais fini par appréhender à tel point ces moments de cauchemar que la seule pensée m'en soulevait le coeur.

Un jour à la sortie du Lycée, je revis avec surprise Albert, qui m'y guettait: m'ayant salué avec un reste de gêne, il m'invita à prendre quelque chose dans un café voisin, ce que je me sentis forcé d'accepter en raison de ses manières tout à la fois embarrassées et suprêmement courtoises. Dieu sait que je n'avais aucune idée de ce qu'il allait me demander, au cours de cette longue conversation, et qui bouleversa ma vie !

-"Tu sais", finit-il par me dire au bout d'un quart d'heure de bien des considérations générales, "Personne ne t'en veut pour... l'autre jour. Personne. Au contraire."

Sur le moment, tout à la désagréable surprise de cette évocation d'un moment pénible, je ne relevai pas le dernier terme.
-"Vous n'avez pas vu la tête de mes parents..." répliquai-je.
-"Si, justement... nous en avons discuté ce matin..."
Je restai interloqué:
-"Ah bon ? Mais pourquoi ?"
Il fallut encore bien des circonvolutions pour qu'il s'expliquât enfin:
-"Ecoute... Tu le sais bien, n'est-ce pas, que tu es le portrait de ta soeur ? Et tu sais aussi dans quel chagrin nous a plongé sa... disparition ?" J'aurais pu lui répondre que je le savais d'autant mieux que ce chagrin, je l'éprouvais, moi aussi, tous les jours, mais, tremblante de comprendre, je le laissai poursuivre:
"Tu sais comme je l'aimais ?"
Et à cet instant, comme il détournait la tête, vaincu par l'émotion, il me sembla que l'être sensible perçait enfin sous le "brillant parti": ce fut là, sans doute, que, touché, je me sentis prêt à l'aider quelles que fussent ses intentions.
"Mais non", reprit-il, "tu ne peux pas savoir, tu es trop jeune..."
-"Si", protestai-je," je crois que je peux !"
Il se retourna vers moi, l'air plein d'espoir:
-"Oh", fit-il, "comme je voudrais revoir ta soeur parmi nous, ne serait-ce qu'une fois, la voir bouger, marcher, l'entendre rire, parler... tu comprends ?"
Je l'assurai de ma compréhension d'un battement de paupières, et après cela, au bout du silence le plus long que j'avais jamais enduré, il prononca enfin ce que j'avais commencé à espérer d'entendre:
"Crois-tu que tu pourrais le faire ?"
-"Et mes parents ?" objectai-je le plus mollement du monde.
-"Ils sont d'accord... Ils sont comme moi... Ils veulent la revoir."

Vacillant sur ma chaise, il me semblait voir en hallucination ma soeur qui me souriait, me disant "Oui, accepte, sois-moi, sois celle que tu voulais être et fais-moi revivre..." Je m'entendis murmurer que oui, et, tandis que je donnai mon accord et mon être à ce projet insensé, le vertige triompha: je serais tombé si Albert ne m'avait point retenue.

La première épreuve eut lieu le soir même: rentrant à la maison, nous allâmes directement dans la chambre pour que je m'y prépare. J'ouvris, sûre de moi, la penderie pour y choisir la tenue dans laquelle je devais descendre souper: une robe longue un peu cérémonieuse, mais qui marquerait définitivement mon changement d'état.

Albert attendait sur le palier, derrière la porte... Et quand je l'ouvris, au bout d'une heure, et qu'il se retourna, son saisissement fut tel que, de joie, j'éclatai de rire, d'un rire clair et franc, de ce rire qui n'avait plus retenti depuis si longtemps. "Agnès..." murmura-t'il attendri, et au comble de l'émotion. Je vis bien qu'il faillit courir à moi pour m'embrasser, mais je prévins son élan en sautant de côté, comme il seyait à une demoiselle bien élevée.

Je descendis l'escalier comme une vedette de cinéma la passerelle de son avion: en bas m'attendaient mes parents, dont les yeux fixés sur moi exprimèrent à la fois, après l'étonnement et l'incrédulité, l'émerveillement et le soulagement que j'avais déjà vus dans ceux d'Albert. J'étais désormais Agnès, je le compris à cet instant, pour le reste de ma vie, et tout ce qui avait précédé s'évanouit en un éclair. Que la perte de leur fils passât aussi inaperçue à mes parents que celle de leur fille leur avait été cruelle, je n'en éprouvai aucun dépit, aucune vexation, tant l'anéantissement du personnage insignifiant et sans intérêt que j'avais été jusqu'à lors ne me causait à moi-même aucun regret.

Le repas fut gai. Je me comportai enfin comme j'en avais toujours rêvé, et cela le plus naturellement du monde. Mes parents perdirent peu à peu à perdre leur air de deuil éternel... Aux hors d'oeuvres, Albert me baisa la main; un peu plus tard il m'embrassa dans le cou, faisant renaître les sourires. Et au dessert, dans l'ivresse légère des liqueurs sorties pour l'occasion, on reparla du mariage comme d'un projet interrompu qui redevenait possible: mes parents avaient "le bras long", comme ils aimaient s'en vanter, et ce ne devait être qu'une formalité pour eux d'obtenir d'un employé de l'Etat-Civil qu'il délivrât de faux documents selon lesquels c'était mon petit frère qui était mort, et non pas moi.

A partir de cette soirée, tout fut réglé: je restai à la maison, ne pouvant retourner au Lycée, à m'instruire des mille choses que, dans une vie précédente, du temps de mon petit frère, j'avais déjà apprises de ma maman. Je ne sortais guère: d'abord, on avait trop peur qu'il m'arrivât quelque chose; et puis, les quelques amies que j'avais rencontrées dans la rue m'avaient regardée comme on peut le faire d'un fantôme, avec surprise mêlée de terreur, si bien que je n'osai plus renouer avec mes anciennes relations.

Hélas, le mariage ne se fit pas: lors de son service militaire, quelques mois plus tard, Albert fut victime d'un terrible accident, que la bêtise des gradés avait rendu inévitable, et qui lui coûta la vie. Je fus assez peinée; ce n'était pas que j'aimais vraiment Albert, mais je m'étais faite à l'idée d'échapper à l'affectueuse mais pesante monotonie du foyer de mes parents, et si nous avions pu créer le nôtre, nul doute que j'aurais pu me livrer plus pleinement à la nouvelle existence qui était la mienne, au lieu de devoir me plier aux règles et comportements dont je n'étais finalement que l'héritière.

Il y a bien longtemps de tout cela: mes parents sont morts depuis des années, eux aussi; et je pense avec nostalgie et inquiètude à celle que je suis vraiment et que je n'ai pas l'impression d'avoir jamais véritablement exprimée.

Dans ces moments là, je passe encore de longues heures à rêvasser, m'attardant parfois sur le portrait, toujours bordé de noir, de mon petit frère, qui me ressemblait tellement et que j'aurais voulu mieux connaître: je me sens alors comme une jumelle endeuillée, n'ayant vécu qu'à demi sa propre existence, et point du tout celle que son double aurait pu lui révéler.


Responsable du site : Lucie Sobek


Avis de lecteurs - note moyenne : 0
Merci de donner une petite note sur ce texte :
j'ai aimé...

1 Pas du tout
2 Un peu
3 Beaucoup
4 Passionnément
5 A la folie
Accès via la version smartphone - Contacter le webmestre