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« L'île de la Disparue », une petite histoire imaginée par micheleanne

1 L'île de la Disparue jeanne tvq@femmes.net 29-10-2004, 15:03 Première Partie
par Michèle Anne Roncière
J'aime à caresser le globe terrestre qui orne mon bureau; quelquefois, quand la nostalgie se fait irrésistible, je le fais tourner d'un doigt pour y revoir un ilôt perdu dans l'Atlantique, où j'ai passé les deux plus belles années de ma vie secrète.

C'était voici près de quatre-vingts ans, déjà. Je ne suis plus aujourd'hui qu'un vieillard fatigué, mais, à l'époque, mon coeur battait dans la poitrine d'un tout jeune homme, fraîchement diplômé, et qui s'était porté volontaire dans une expédition scientifique à destination du Pôle Nord (c'était la mode alors !).

J'avais donc embarqué, avec une cohorte de savants et une profusion d'instruments de toutes natures, sur l'un des premiers brise-glace modernes, un fier bâtiment à coque d'acier, et qui s'appelait la Thétys.

Le voyage était long depuis la France, jusqu'à ces banquises lointaines. Au bout de quelques jours, j'avais épuisé la joie et le sentiment de liberté que m'avaient d'abord apporté la contemplation des vagues et la sensation du vent marin sur le visage; et ma cabine étroite et triste, partagée par surcroît avec trois vieux messieurs qui, en proie au mal de mer, restaient vissés sur leur couchette à y geindre sans arrêt, était loin de me rendre l'enthousiasme du départ.

Seuls les repas étaient de quelque agréable diversion dans la vie monotone qui s'était installée à bord; la table du Commandant était décidément un hâvre de civilisation dans cette carcasse de métal, un endroit où l'on retrouvait les brillantes conversations et l'ambiance des soirées que j'avais connues et détestées jadis, chez mes parents, que je pensais avoir abandonné à terre à tout jamais, et qui me manquaient depuis.

Comme j'étais assez heureux pour placer de temps à autre un mot qui se voulait spirituel, je crus reconnaître à mon égard chez la femme du Commandant, la seule femme à bord, et que l'on ne voyait qu'aux repas, un intérêt qui était plus que de la curiosité et moins que de l'estime. Et ceci me troubla quelque peu, car j'étais fort ignorant de la manière de plaire aux femmes, et peu soucieux de m'en instruire.

En dehors de ces instants privilégiés, je résolus, comme tout prisonnier, d'étudier ma prison; et, tandis que les hommes passaient le temps entre eux, dans cette atmosphère épaisse, étouffante et grasse qui m'a toujours dégoûté, j'apprenais le navire, et cela avec tant de soin que deux semaines après le départ, je le connus mieux que n'importe quel membre de l'équipage. Cela me sauva la vie, à n'en point douter. Car une nuit, quelques jours après avoir franchi le Tropique du Capricorne, une sirène retentissante interrompit mon sommeil. Je m'éveillai, me jetai hors de ma couchette, sortis de la cabine et me retrouvai dans un navire en feu; la fumée âcre se propageait dans les coursives, empêchant de rien distinguer, et les transformant en un labyrinthe mortel.

Les hommes étaient comme fous, et se ruaient en masse à travers le moindre passage, hurlant, piétinant les malheureux, les plus faibles, les moins rapides, et les plus raisonnables. Plus d'une fois, je dus me rejeter dans une niche de métal pour leur laisser place libre. Heureusement, et grâce à ma connaissance du navire, je réussis à gagner très vite le pont supérieur. Il y régnait une pagaille absolument complète. Les matelots y grouillaient en tous sens, tâchant de satisfaire à des ordres contradictoires, et se heurtaient sans cesse aux membres de l'expédition, que ne guidaient eux-mêmes que leur seul instinct. Mais le plus terrible était encore le spectacle de la mer, dont les vagues gigantesque balayaient régulièrement le pont, menaçant d'emporter à chaque fois tout ce qui s'y trouvait, et dont la houle balançait le navire de telle sorte qu'on ne pouvait faire trois pas sans devoir s'accrocher solidement à tout ce qui pouvait servir à cet usage. On détachait les derniers canots, et il n'était que trop visible que les places étaient comptées, et que nous n'y serions pas tous. Je crus un instant être condamné à rester sur le navire en perdition, quand quelqu'un me fit signe de la main, que je suivis aussitôt: c'était l'épouse du Commandant, sortie de ses quartiers et qui allait rejoindre le canot qui leur était réservé, ainsi qu'aux officiers supérieurs.

Je ne me souviens plus très bien de ce qui a suivi: comment je fus installé, quelle fut la vie à bord, pendant les quelques jours qui précédérent le second naufrage... de tout cela je n'ai que des images confuses. Je revois souvent, par contre, le moment où nous nous sommes éloignés du navire, peu à peu et malgré les mouvements formidables de la mer, et jusqu'à ce que nous n'entendîmes plus que le fracas des vagues et ne vîmes plus que leur creux, que tout ce qu'il y avait d'humain eût disparu de la surface des eaux; je revois bien aussi la silhouette fragile de la femme du Commandant, adossée à sa malle, et serrant en frémissant contre elle les deux sacs qui devaient contenir tous ses bijoux rassemblés à la hâte.

Mon ultime souvenir de cette tragédie n'est pas dans le canot: tombé à la mer sans que je sache comment, j'entends encore le calme majestueux des profondeurs sous-marines emplissant mes oreilles en même temps que l'eau, et je revois toujours ce vert apaisant qui est le leur; en train de me noyer, pleinement lucide et sans en être effrayé ni même chagrin le moins du monde... Je me suis réveillé, vif, hoquetant et meurtri, sur une plage que chauffait le soleil. Il me fallut de longs instants pour admettre que je n'avais pas rêvé, que mes compagnons de naufrage reposaient désormais tous sous cette eau indifférente, et plus encore pour réaliser que j'étais un Robinson moderne. Car j'étais bien sur une île: mon premier soin fut de gravir une sorte de massif rocheux peu éloigné, et qui surplombait le sol de plusieurs centaines de mètres; après une ascension difficile qui me prit de longues heures, le panorama que je découvris était celui d'une île assez petite pour qu'on en fît le tour en un peu moins d'une semaine, absolument sauvage, perdue en mer, et apparemment inhabitée.

Si incroyable que cela paraisse, je n'en fus guère affecté: je m'étais souvent senti trop peu à ma place en société pour regretter de prendre la mienne sur se rocher inconnu et à l'écart des routes maritimes ordinaires. En outre, les romans de Jules Verne, que j'avais lus avidement, m'avaient donné une telle confiance dans les ressources de l'ingéniosité et de la connaissance, dont je n'imaginais pas être dépourvu, qu'il me semblait impossible de ne pas voir dans ce nouveau paysage une terre d'accueil et de renaissance.

C'est en redescendant par le versant opposé à celui par lequel j'étais venu que je tombai par hasard dans une petite clairière, où m'attendait une construction abandonnée. C'était une maison rustique, faite de grossiers rondins, et que la végétation commençait de recouvrir. Le maître des lieux en était sûrement parti depuis plusieurs années, mais il avait laissé sur place de véritables trésors, parmi lesquels des armes de chasse et des outils. Il y avait également un lit, dans lequel je me jetai pour m'endormir aussitôt, épuisé par ma première journée.

Un Eden sans Adam ? La suite

Deuxième Partie
par Michèle Anne Roncière

Dès le lendemain, et les jours qui suivirent, je pus mener, grâce aux ressources de mon domaine, la vie paisible et simple dont j'avais toujours rêvé. Il ne manquait à mon bonheur que d'être celle-là même que la civilisation avait refusé de reconnaître quand j'étais de son nombre, et que j'aurais eu désormais tout loisir de laisser s'exprimer.

La Providence y pourvut: moins d'une semaine plus tard s'échouèrent, sur la plage même où j'étais arrivé dans un si faible état, les restes d'un canot qui m'était bien connu, puisqu'il subsistait à l'intérieur, encore solidement sanglée, la grande malle de l'épouse du Commandant, ainsi que plusieurs sacs marqués à ses initiales. Cette malle était pleine des effets, des robes et des atours de la pauvre femme, qu'un soigneux emballage, sans doute effectué lors du départ de France, avait préservés de l'eau; et dans les autres sacs étaient répartis bijoux, coquetteries et colifichets, jetés en vrac lors de la catastrophe... Certains contenaient même ses fards et ses pinceaux; il s'en échappa, quand je les ouvris, la douce odeur de la poudre qui me manquait si fort.

Dans une excitation extrême, je mis toute la matinée pour mettre ces trésors à l'abri dans mon repaire, après quoi je m'infligeai une très cruelle séance d'épilation à l'argile durcie au soleil, seule technique qu'il me fût possible d'employer, et dont le seul mérite était l'efficacité redoutable... Ma fièvre était telle que je ne sentis d'ailleurs qu'une part bien faible de la douleur qui eût dû être la mienne. J'employai une partie de ma précieuse réserve d'eau douce à me baigner le visage, encore en feu lorsque je revêtis, non pas la plus belle robe, que je réservai pour une meilleure occasion, mais la plus simple et la plus adaptée à ma vie arborigène; j'eus d'ailleurs d'autant moins de remords que mes propres vêtements étaient absolument en loques.

Le temps passa et mes cheveux poussèrent enfin à ma guise; je vivais sagement en goûtant la saveur, la beauté et l'harmonie des choses, travaillant mon jardin et cultivant mon être. Le dimanche, je m'habillais comme pour une fête et partais à l'aventure, explorer mon domaine et profiter d'un pique-nique en solitaire.

Il en fut ainsi plusieurs mois; jusqu'au jour où, avancée fort loin au cours de l'une de ces sorties, je fus intriguée par un bruit sourd qui revenait à intervalle régulier et tins absolument à en percer le mystère: au sortir d'un bois, je restai soudain figée devant le spectacle d'un homme en train d'abattre un arbre. Si sa hache était plus que rudimentaire, faite d'un épais tranchant de métal qu'attachaient de petites lianes à un manche grossier, lui ne pouvait être un indigène; c'était, sans aucun doute, un autre rescapé du naufrage, peut-être même l'un des officiers du canot, qui avait été rejeté sur un autre côté de l'île, trop éloigné du mien pour que nous nous soyons rencontrés jusque là.

Je sentis le monde vaciller, telle une Eve dont le Paradis abriterait déjà un Adam, comme la pomme un ver. J'étais tellement horrifiée de trouver un intrus sur mes terres que je faillis marcher sur lui pour lui signifier qu'il n'avait pas le droit d'être là et qu'il devait s'en aller. Et je ne me retins que devant l'énormité de la situation et le souvenir que je n'étais pas tout à fait la maîtresse des lieux: Prenant le bas de ma robe en main, je m'éclipsai en silence et sans qu'il m'eût remarquée.

Dans ma fuite, je me trompai de chemin, et celui que je pris déboucha, après un petit parcours boisé dont la pente ne fit que croître, sur une sorte de colline à découvert, à trois ou quatre cent mètres de l'homme, qui, fatigué, décida soudain de poser sa hache et de contempler le paysage. Quand il se retourna, j'étais encore en train de chercher désespérément où me dissimuler. Il m'aperçut immédiatement et se mit à crier dans ma direction, formant un porte-voix de ses mains. J'étais cependant trop éloignée pour entendre quoi que ce fût. Voyant que je ne bougeais pas, il vint alors vers moi, marchant d'abord, courant ensuite, et je le laissai avancer de presque cent mètres avant de détaler prestement, mes jambes à mon cou, laissant sur place tout ce que je pouvais.

Me rattraper lui était impossible, autant que de découvrir mon refuge, distant de plusieurs kilomètres. Je n'en courus pas moins sur tout le trajet, terrorisée, me blessant les pieds nus sur le tranchant des pierres du chemin, et me meurtrissant aux branches qui le barraient parfois. Dès que je fus à l'abri, j'ôtai mes vêtements, que je remis soigneusement dans leur malle, et courus dans une rivière proche afin d'enlever les fards dont j'avais paré mon visage. Et je repris ensuite, avec la plus grande tristesse, mes vieux habits d'homme, rudes, sales et déchirés, ceux que j'avais cru abandonner pour toujours: car je savais que l'inconnu finirait par venir.

Il ne tarda guère: deux jours plus tard, il était à la porte de mon jardin. De ce moment, je ne sais que retenir, de la joie profonde et si émouvante de cet homme, qui avait tant maudit le ciel alors qu'il se croyait seul sur l'île et qui découvrait un compagnon, ou de mon grand chagrin égoïste de devoir la partager, qui plus est en renonçant à moi-même.

L'inconnu n'était pas de l'équipage de la Thétys: il avait fait naufrage ici bien avant moi, et avec bien moins de chance: ayant atrocement souffert, lors de son arrivée, d'une sorte d'infection tropicale, il n'avait jamais voulu s'aventurer dans l'île hors des limites où il trouvait amplement de quoi survivre, et ignorait l'existence de ma petite maison. Il parla pendant trois jours, ne se taisant que pour dormir sur le lit que je lui avais aménagé, si heureux de ma présence qu'il riait et pleurait en même temps qu'il me tenait des propos parfois incompréhensibles, tellement les mots se bousculaient dans sa bouche. Il parlait de son histoire, de sa vie, de sa famille restée en Europe; J'attendais avec anxiété le moment où il évoquerait la femme qu'il avait vue sur l'île et dont la recherche l'avait conduit chez moi, mais il semblait l'avoir réellement oubliée.

Il n'aborda ce sujet qu'une semaine plus tard, en me demandant si je n'avais pas vu, moi aussi, lors de mes excursions, une femme brune à robe blanche, dont le portrait était si idyllique que, si je n'avais pas eu la certitude qu'il s'agissait de moi, j'aurais pensé qu'il l'avait imaginée.

-"Où vois-tu une femme ici, Antoine ?" lui répondis-je. "Et en robe blanche, en plus ! Tu as dû rêver !" ajoutai-je avec la plus parfaite mauvaise foi. Il secoua la tête:
-"Je n'ai pas rêvé, je te le jure. C'était peut-être bien un fantôme, qui m'indiquait la route à suivre. Et quand je pense que je crevais de solitude là-bas, en m'esquintant avec des outils de fortune, alors qu'ici tu disposes de tout un arsenal, j'ai rudement envie de le remercier..."

Peu à peu, je me fis à Antoine, qui était un très brave type, plutôt doux quoiqu'impulsif, et assez intelligent bien que peu cultivé. Il était doté d'une énergie de lon supérieure à la mienne, et il m'arriva plus d'une fois de renâcler, et même de renoncer, devant les durs travaux de labourage, d'irrigation, ou d'autres projets qu'il entendait que nous menions en commun. Quelquefois, il pensait "au fantôme", et son regard se faisait vague; il partait alors pendant quelques jours comme pour une battue. Moi, alors, je me rendais dans l'espèce de vieille grange où j'avais remisé la fameuse malle, et, pour quelques heures, je renouais enfin avec moi-même. Mon soulagement était pourtant souvent gâté par la pensée de la stupide cruauté de ce monde, où mon ami cherchait partout celle qui ne pouvait exister que pendant son absence. Et ces instants, que, par sécurité, je réduisais au minimum, étaient toujours trop courts. Antoine finissait par revenir, las et généralement découragé. Deux ou trois fois, il regagna la maison en courant, tout heureux de venir me raconter qu'il avait cru voir ou entendre quelque chose, qui s'était évanoui dans la nature avant qu'il puisse s'en approcher vraiment. Et il ajoutait qu'il irait voir cela de plus près le mois suivant. Un jour, enfin, arriva l'inévitable: peu avant midi, alors qu'il était parti dans la grange à la recherche d'un outil, je le trouvai bien long à en revenir, et je fus prise d'un affreux soupçon qui se mua sur le champ en folle inquiètude. Me ruant dans la grange à mon tour, je le découvris devant la malle ouverte, tenant dans ses mains la robe blanche qu'il m'avait vue lors de notre si furtive rencontre. Il était aussi stupéfait que s'il venait d'avoir été témoin d'un miracle. Quand il s'avança lentement vers moi, sans lâcher la robe, je ne bougeai pas et le laissai m'ôter, d'un geste hésitant, le chapeau que je portais toujours, même à l'intérieur, et même les jours de pluie, sous le prétexte de me protéger du soleil, ce qui était devenu un intarissable sujet de plaisanterie entre nous: mes cheveux me tombèrent aussitôt sur les épaules.

Je ne vis qu'une seule fois Antoine en colère: ce fut cette fois-là:
Rejetant avec rage la robe sur la malle; il se mit à crier:
-"Je te donne une heure, entends-tu ? Une heure: je ne veux plus te voir ici, jamais !"
Puis, à peine moins fort, il ajouta:
"C'est elle que je veux voir. As-tu compris ?"

Et il sortit à grands pas, sans se retourner. Mais j'avais compris: une heure plus tard, j'étais prête, habillée et maquillée avec soin, plus belle encore que celle qu'il avait vue la première fois. Sortant timidement de la grange, je le trouvai occupé à la clôture que nous aménagions pour protéger nos cultures des bêtes sauvages: il enfonçait sauvagement des pieux à grands coups de masse, sans doute pour retrouver son calme.

Quand il m'aperçut, il s'arrêta net; mais quand il vint vers moi, il avait cette fois un air émerveillé et ravi qui dissipa mes craintes et me fit chaud au coeur. Après avoir tourné longtemps autour de ma personne et m'avoir examinée sans un mot, il finit par me serrer dans ses bras, puis me dire d'une voix étouffée: "C'est bien. Va m'attendre à la maison.". Et il en fut ainsi.

De ce jour, je n'eus plus à souffrir des durs travaux, notamment agricoles, pour lesquel j'étais si peu faite: Antoine s'en chargea tout seul, me laissant m'occuper de ceux qui m'étaient plus agréables: la cuisine, le menu élevage... tout cela en échange d'être la compagne dont il avait besoin, car plus jamais il ne partit seul à la recherche du fantôme.

Cela dura donc deux années pleines, au bout desquelles un navire surgit brusquement à l'horizon, qu'Antoine repéra par hasard. Il partit aussitôt allumer un grand feu sur le plus haut sommet de l'île, et qui dura trois jours et trois nuits: le navire remarqua ce fanal inconnu, changea sa route et mit le cap sur nous. Notre vie nous était devenue tellement naturelle, que ce ne fut qu'au dernier moment, alors que nous étions certainement bien visibles aux jumelles, qu'Antoine réalisa qu'il était plus convenable que je me change et m'en intima l'ordre si sèchement que j'en conçus une grande peine. Peu de temps après, nous étions à bord: Antoine dans un superbe uniforme prêté par un sous-officier, et moi dans une de ces lamentables tenues d'homme dont j'avais perdu l'habitude. Le départ fut retardé par les recherches entreprises sur l'ordre du capitaine: celui-ci avait, paraît-il, longuement observé une femme sur l'île au moyen de sa lunette, et ne pouvait se résoudre à l'y laisser. Mais on ne la trouva pas, et il fallut bien lever l'ancre pour quitter enfin ce que nous baptisâmes avec humour "L'île de la disparue".

Je ne revis jamais Antoine, après notre départ: il m'évita le plus soigneusement du monde, et je ne trouvai même pas la force de lui en tenir rigueur: ne m'avait-il pas dit un jour qu'il ne voulait plus jamais me voir, à moi qui était forcé d'être sur ce navire celui à qui il l'avait dit ?

Avec le temps, je compris mieux la conduite d'Antoine, qui souffrait de devoir abandonner sur l'île celle qu'il aimait; et j'étais d'autant mieux placé pour compatir à son déchirement qu'y était restée la meilleure partie de moi-même, celle que j'ai, moi aussi, toujours regrettée.


Responsable du site : Lucie Sobek


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