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« La fugueuse introuvable », une petite histoire imaginée par micheleanne

1 La fugueuse introuvable jeanne tvq@femmes.net 29-10-2004, 15:01 Première partie
par Michèle Anne Roncière


A Steffy, avec amitié.

Souvent, dans les groupes que forment les jeunes garçons, il s'en trouve un qui se distingue des autres par sa chétivité, son manque de hardiesse, sa répulsion, voire sa répugnance, à tous les jeux et comportements qui font les délices de ses camarades: c'est le souffre-douleur et le témoin du groupe, celui qui sert de repère à tous les autres, qui, attentifs à s'en démarquer de plus en plus, veillent également, et avec non moins de force, à ce qu'il ne puisse sortir de son rôle.

J'étais celui-là, dans le vieil et sinistre collège des années 50 où mes lointains parents m'avaient expédié comme pensionnaire. La vie y était triste et monotone: lever à six heures, déjeuner à sept, cours de huit à douze pour le matin et dîner; l'après midi, cours de treize à dix-sept, puis Etude jusqu'à dix-neuf, où l'on soupait enfin. A vingt heures, extinction des feux. Tout cela était bien sévère pour un garçon de douze ans, et plus encore pour moi. Er cependant, cette époque lointaine et grise renferme le plus beau de tous mes souvenirs.

Mes condisciples d'alors affirmaient leur virilité balbutiante en crachant partout sans cesse et le plus loin possible, proférant les pires horreurs nés d'une imagination étriquée, et tirant sur les poils rares qui avaient éclos sur leurs mentons boutonneux. Plus jeune de deux ans, bien que dans la même classe, je voyais tout cela avec consternation, et je me sentais, parmi ceux qu'on disait de mon espèce, et qui m'avaient toujours parus pour le moins étranges, plus mal à l'aise que je ne l'avais jamais été.

Je n'avais donc pas d'amis, en dehors des cinq ou six qui se moquaient de moi en me traitant de poule mouillée parce que je n'osais pas remonter en classe lors des récréations pour y récupérer les objets confisqués lors d'un précédent chahut, descendre trois étages à califourchon sur la rampe de l'escalier d'honneur, ou quelque autre des exercices stupides et dangereux par lesquels ils se défiaient constamment.

Et pourtant, Dieu savait que je me livrais la nuit à des expéditions qui auraient fait reculer n'importe lequel de ces damnés braillards ! Comme tous les établissements de cette époque, le Collège était divisé en deux parties, l'une réservée aux garçons, et l'autre aux filles, qui ne communiquaient jamais: c'était tout un événement, et qui ne se produisait qu'une ou deux fois par an, quand d'audacieux sacrilèges parvenaient à ouvrir la grande porte commune aux deux cours, et que l'on entrevoyait alors, dans la ruée générale et l'affolement des autorités, les êtres mystérieux qui se tenaient derrière.

Lors de ces grandes occasions,je n'avais discerné que de belles chevelures blondes et brunes, des silhouettes charmantes, des mouvements gracieux... Je n'en avais pas moins eu la révélation qu'il existait un monde au delà de toute beauté, sans commune mesure avec la laideur de celui qui était le mien, et que je ne pensai dès lors plus qu'à rejoindre par n'importe quel moyen.

Voilà pourquoi, chaque nuit vers onze heures, je me relevais en silence, mettais mon traversin sous mes draps pour simuler mon corps, et quittais le grand dortoir à la recherche d'une " issue merveilleuse ".

Au début, je m'étais longtemps heurté à la prévoyance de l'Institution: bien que le secteur des filles et celui des garçons partageassent les mêmes bâtiments, pas un couloir, pas un escalier qui ne fussent borgnes; pas une porte qui ne fût verrouillée, pas un passage qui ne fût condamné. J'eus néanmoins la chance d'éviter, quelque fois de justesse, les rondes du veilleur de nuit, et cela de manière à pouvoir en établir le tableau très précis, pour pouvoir évoluer à mon aise par la suite.

Je rentrais me recoucher vers une heure, au moment assez dangereux où le surveillant qui dormait avec nous se mettait à ronfler et à se retourner en tous sens. Ce retour était donc bien plus délicat que l'aller, et je devais plus d'une fois me figer sur place en attendant d'être certain du sommeil du Cerbère. Je m'endormais vite et me réveillais avec les autres sans la moindre fatigue apparente: deux heures par nuit n'était pas un manque très sensible pour un garçon de mon âge.

J'avais exploré en vain tous les lieux ordinaires, lorsque, me trouvant une nuit dans le grenier, j'aperçus derrière une vieille armoire métallique l'encadrement d'une porte oubliée, qui me laissa l'ouvrir.

Quelle impression délicieuse, de pénétrer de la sorte dans le monde interdit ! Bien que cette moitié-là de grenier fût aussi sombre et poussièreuse que celle dont je venais, il me semblait qu'elle lui était ce qu'est le Paradis au Purgatoire... Je ne tardai pas à m'y rendre directement chaque nuit, et pour des échappées à chaque fois plus longues. Une semaine après, j'aboutis par hasard dans la Lingerie; une pièce sans fenêtres, constituée de placards, que j'ouvris par pure curiosité. Ils renfermaient l'uniforme du Collège, soit pour les filles une jupe plissée bleue, un chemisier blanc à écusson, ainsi que des chaussettes et un foulard bicolores. Je restai d'abord immobile devant tant de splendeurs; mais je ne fus pas long à trouver parmi ces trésors endormis une jupe à ma taille, et le reste à l'avenant. C'était la première fois que je me parais de la sorte, et je ne me lassais pas de marcher, de tourner sur moi-même, d'observer l'effet de chacun de mes mouvements sur les plis de la jupe, qui en prolongeaient la grâce et la durée.

J'avais eu du mal avec le chemisier, qui se boutonnait à l'envers. Mais quand ma tenue fut complète, et que je me regardai dans une grande glace qui se trouvait là, je crus défaillir de surprise, ne m'étant pas reconnu. Selon ce miroir, j'étais incontestablement une fille; j'avais la chance d'avoir des cheveux abondants, plusieurs fois menacés de la tonte, bien que trop courts à mon goût, mais que j'avais toujours réussis à préserver: ils n'étaient pas pour rien dans la vérité de ma nouvelle apparence. Je m'y accoutumai sans peine, et je me souviens même avoir éclaté de rire, d'un rire d'une joie profonde et sincère, telle que je ne crus pas en avoir jamais éprouvé de semblable.

Comme je commençais à être fatigué, je décidai de ranger les affaires où je les avais prises. Pour le foulard, je m'en sortis sans peine; mais replier la jupe et le chemisier exactement comme les autres fut au-dessus de mes capacités. Il me vint alors l'idée fantastique que mon intervention dans les étagères de la Lingerie se verrait moins si je prenais les vêtements avec moi ! Je me persuadai vite n'y trouver que des avantages: les avoir toujours près de moi me rappellerait à chaque instant qui je pouvais être, me transformerait la nuit et me réconforterait le jour. J'emportai mes affaires pour les cacher sous mon matelas.

Le lendemain et par la suite, chaque fois que je pouvais me retrouver seul dans le dortoir, je passais les mains sous le matelas pour caresser l'étoffe de ma jupe, et veiller que les plis ne s'abîment. Comme ces instants étaient toujours trop rares et trop brefs, je finis par prendre le foulard et le tenir en permanence dans ma poche. Naturellement, il en tomba un jour, à la surprise des autorités, qui me harcelèrent sans succès pendant plusieurs jours afin de savoir comment je me l'étais procuré, et y renoncèrent en me privant pour un mois des jours de sortie dont, faute de parents, je ne profitais jamais.

Mes camarades étaient stupéfaits, et pensèrent que j'avais réussi à nouer des contacts avec une fille du Collège: " C'est donc pour ça que tu t'éclipses la nuit ! " s'écria l'un d'eux, qui m'avait aperçu plusieurs fois sans en parler auparavant. Je fus contraint de broder sur ce thème pendant quelques temps, sans pouvoir leur donner les détails sordides qui les intéressaient au premier chef. On mit cela sur le compte de ma nature exagérément réservée et, considérant la valeur de mon exploit, on ne m'en tint pas rigueur: je dus seulement promettre de parler de mes camarades aux amies de mon amie et d'oeuvrer pour favoriser des rencontres de fortune.

Etant l'objet d'une surveillance féroce, aussi bien de la part du personnel que de mes camarades, je suspendis totalement mes activités nocturnes durant plusieurs semaines. Et je n'y tenais plus quand je les repris enfin, bien amoindries, en fréquence comme en durée. Mais dès que je m'y livrai de nouveau à mon rythme ancien, alors ce fut habillé en fille dès le sortir du lit, au mépris de toute prudence. Et c'était totalement en fille que je repris et continuai mon exploration du bâtiment des filles.

Dans l'ivresse de celle-ci, j'étais devenu de plus en plus inconscient, m'aventurant même à la porte des dortoirs, n'osant toutefois jeter un coup d'oeil sacrilège sur les créatures qui y reposaient. Ah ! Qu'il était doux de les entendre respirer doucement ! Elles étaient toutes cent belles au bois dormant, autour desquelles j'aurais souhaité pouvoir faire surgir l'épaisse forêt de ronces du conte de mon enfance, et auxquelles j'aurais voulu ôter le don de se réveiller jamais.

Comme mes pérégrinations me conduisaient de plus en plus loin, et de plus en plus longtemps, j'étais toujours plus fatigué, de jour comme de nuit. Mes résultats scolaires suivaient une baisse constante et vertigineuse, au point de m'attirer, outre les moqueries salaces de mes camarades, les remontrances déçues de tous mes professeurs.Mais plus rien de tout cela ne comptait pour moi. Je me sentais libre, et cela seul importait.

Une nuit que la fatigue m'avait ôté toute vigilance, je m'aventurai bien au delà de mes repères, dans une aile que j'avais jusqu'ici négligée: j'entendis soudain, affolée, des pas résonner dans une pièce voisine, et je n'eus que le temps de prendre la fuite. Je me jetai ainsi plus avant dans le piège d'un couloir sans issue, du fond duquel je vis, atterrée, la silhouette d'une femme se rapprocher de moi.

" J'étais bien certaine d'avoir entendu quelque chose ! Ne bougez pas, jeune fille ! "

Je l'avais reconnue: c'était Mademoiselle Bernardini, une surveillante qu'on avait déjà vue quelquefois chez les garçons; une femme étrange et contradictoire, en qui, à la lumière de mes inépuisables versions grecques, je voyais se rejoindre la beauté grave d'Athèna et le charme d'Aphrodite. Incapable de fuir, je l'attendis.
" Nom, prénom, classe ? " demanda-t'elle. Puis, réalisant que j'étais habillée, tout comme elle d'ailleurs: " On voulait sortir ? "
" Oh non, Mademoiselle ! protestai-je faiblement "
" Alors, votre nom ? "

Prise au dépourvu, je prétendis me nommer Caroline Roncières, et être élève de 3ème A. Mon idée était que Mademoiselle Bernardini me reconduirait peut-être jusqu'à l'entrée d'un dortoir qui, avec un peu de chance, ne serait pas le sien, et m'y abandonnerait en m'intimant l'ordre de m'y coucher. J'aurais alors attendu son départ, et serais retournée d'où je venais.

Comment ai-je pu imaginer que Mademoiselle Bernardini ne connaîtrait pas toutes ses pensionnaires ? Je sentis sur le champ que mon histoire ne la convainquait pas. Elle me prit même le menton d'une main, et me fit lever le visage comme pour l'examiner au clair de lune, qui traversait les carreaux des fenêtres. Un instant, je crus être découverte. " Venez. ", dit-elle enfin.

Elle me conduisit jusqu'à un dortoir, dans lequel nous ne fîmes que passer, et, de là, à une petite chambre attenante à ses appartements. Je sus dès lors que tous mes espoirs étaient perdus. Elle y dressa un petit lit pliant, et me donna une chemise de nuit (Oh, joie ! Une vraie chemise de nuit !), me déclarant ensuite que je réintégrerai le dortoir le lendemain.

Après quoi elle me souhaita une bonne nuit... et ferma la porte. Il n'était pas question de fuir: la seule issue passait par sa chambre... et dans le dortoir dont elle avait la charge. Vaincue, épuisée par tant d'émotions, je m'endormis. Le lendemain, Mademoiselle Bernard vint me réveiller à six heures. A mon soulagement, elle voulut bien m'abandonner le temps de passer mes vêtements, mais m'examina ensuite plus méthodiquement qu'elle ne l'avait fait pendant la nuit. Elle me fixa deux barrettes dans les cheveux, ce qui me combla d'aise, me fit mettre une blouse, et me poussa hors de la chambre.

Deuxième partie
par Michèle Anne Roncière


Je fus présentée aux autres comme une nouvelle, qui allait prendre les cours en route. A mon grand soulagement, je ne suscitai aucune curiosité particulière, ni aucune animosité, et nous partîmes déjeuner peu après dans le grand réfectoire de mon nouveau bâtiment.

J'étais quelque peu perplexe; il me parut finalement astucieux d'imaginer que Mademoiselle Bernardini m'avait démasquée dès le début, et qu'elle voulait me donner une bonne leçon en m'obligeant à mener une vie d'écolière jusqu'à ce que je demande grâce. " Si c'est cela ton idée, ma vieille ", pensais-je en moi-même, " tu peux toujours courir ! Si tu savais ! " Pouvant vivre en fille toute la journée, je n'avais plus besoin de passer de nuits blanches: je récupérai facilement, et devins la meilleure élève de ma classe. Cela n'était guère difficile d'ailleurs, les programmes scolaires des filles étant moins exigeants que ceux des garçons. Nous avions, en compensation, une matière de plus qu'eux: " l'enseignement ménager ", censé nous apporter les bases de l'hygiène domestique, de la couture, de la cuisine, de la puériculture, etc... Il va de soi que, partant avec un certain retard, voire quelque handicap, je n'étais pas aussi brillante en cela que dans les autres disciplines. Mais bien des autres filles n'étant pas plus douées que moi, et même certaines encore moins, je n'en eux guère honte.

Là où je rencontrais des difficultés bien réelles, par contre, c'était dans tout le reste: les jeux des filles m'étaient inconnus; j'étais incapable d'aider une camarade à tresser sa natte; certaines discussions m'échappaient complètement. Je mesurais de la façon la plus amère tout ce qui m'avait manqué et comme j'étais déjà profondément victime de mon éducation, à laquelle j'avais pourtant si peu adhéré.

De temps en temps, à l'occasion de manquements plus prononcés que d'autres, Mademoiselle Bernardini me prenait à part sur le temps d'étude, et m'entretenait pendant une heure des choses que je devais faire, et de celles, plus nombreuses, que je devais éviter: " Une demoiselle ne parle pas de la sorte ", disait-elle, sévèrement. Ou encore: " Une demoiselle ne se comporte pas de cette façon ". Bref, une demoiselle faisait ceci, pas cela, maintes choses auxquelles j'apprenais peu à peu à me conformer, et sans véritable déplaisir.

Les premières fois, je n'arrivais toujours pas à savoir si Mademoiselle Bernardini se moquait doucement de moi en me donnant ces réprimandes, ou s'il s'agissait en quelque sorte de leçons véritables, comme elle aurait pu en donner à mes camarades. Mais, si tel était le cas, pourquoi en étais-je toujours la seule bénéficiaire ? Tout ceci ne s'expliqua que quelques mois plus tard, lors de la tragédie.

J'avais découvert aussi, à ma grande tristesse, que le monde des filles n'était pas aussi idyllique que je l'avais cru: plus d'une fois, d'âpres disputes avaient pris fin sur des remarques assassines d'une grande férocité, ou sur des brouilles terribles et définitives. Il arrivait aussi que les ennemies les plus irréductibles redevinssent quelques jours plus tard les meilleures amies du monde et s'allient aussitôt contre une troisième; et ce jeu de guérilla perpétuelle, aux renversements brutaux et déroulements imprévisibles qui me mettait mal à l'aise, je n'y comprenais pas grand chose.

Aussi, restais-je toujours un peu à l'écart, dans une réserve prudente. J'avais cependant réussi à me faire une amie. Elle s'appelait Béatrice; elle était aussi blonde que j'étais brune, avait des yeux bleus comme les miens étaient verts, et son tempérament romantique était aussi éperdu que le mien. Plusieurs fois quand je lui avais demandé une feuille, un crayon, ou un livre, elle m'avait souri de telle façon que j'en avais été toute retournée. Au fil des semaines, nous finîmes par nous trouver perpétuellement ensemble: sagement assises au même banc de classe, nous nous retrouvions voisines de table à la demi-pension,, camarades de jeux pendant les inter-cours, coéquipières lors des enseignements sportifs... Bien entendu, on ne tarda pas à jaser sur notre compte, ce qui tout à la fois nous amusait et nous rapprochait davantage. Seule la nuit pouvait nous séparer, car Mademoiselle Bernardini surveillait étroitement son dortoir, et interdisait tout échange de place, encore plus tout partage de couche. Nous ne tînmes pas longtemps ainsi: une nuit, nous nous relevâmes toutes deux pour gagner des endroits plus propices à nos conversations enflammées. En vieille routinière de la chose, j'avais indiqué à mon amie la marche à suivre et toutes les précautions à prendre, si bien qu'après dix minutes d'un cheminement silentissime, nous étions à l'abri dans une salle de classe déserte et insolite, qu'éclairaient seulement des rayons d'une lune bleutée.

Je ne sais comment cela se produisit; quelques instants plus tard, nos lèvres échangeaient par leur tendre contact la plus douce émotion qui m'eût jamais envahie. Quelle ivresse d'être l'une à l'autre et de se sentir, pour la première, l'unique, la dernière fois, l'âme et la vie de son aimée ! " Psychè ", murmurais-je en caressant le visage de mon amie, tant seule une langue ancienne et magique comme le grec me paraissait digne de ce moment. Nous retournâmes au dortoir en nous tenant par la main. Et, par la suite, bien que nous fussions toujours ensemble, nous ne nous parlions plus guère: le langage de l'âme avait remplacé les mots, et il nous suffisait désormais d'un regard, ou d'une sensation, pour nous comprendre. Même quand nous étions séparés l'une de l'autre, nous n'en étions pas moins un seul être. Rien ne nous semblait plus impossible, ni rien hors de portée: nous rêvions déjà de notre sortie du Collège; et, en toute vérité ,j'avais oublié qui j'avais été pendant si longtemps.

Après ma disparition de chez les garçons, on m'avait vainement recherchée, sans succès évidemment: l'Administration du Collège n'avait pas fait le moindre rapprochement entre la disparition d'un jeune garçon et l'apparition, le lendemain, d'une jeune fille... J'avoue n'avoir pas beaucoup pensé à mes parents, qu'on avait dû prévenir, mais qui s'étaient toujours montrés si distants, si lointains, si peu enclins à m'accepter et à me reconnaître pour ce que j'étais.

Aussi me voyais-je former avec Béatrice la plus noble, la plus belle, la plus heureuse, la plus éternelle des alliances qui se pouvaient concevoir. Hélas, il n'en fut rien: plus vif est le bonheur, plus prompte est la tragédie.

Nous étions toutes dans la cour, un jour , vers dix heures, lorsqu'une fille vint, courant de groupe en groupe, propager la nouvelle:
-" Vous savez quoi ? Mademoiselle Bernardini quitte le Collège: Elle a été arrêtée par les gendarmes ! "
et comme nous restions stupéfaites, elle ajouta, savourant son effet:
-" C'était pas une femme, mais un homme déguisé ! "

Je sentis mon sang se glacer dans mes veines: tout un univers venait de s'écrouler, et un autre, honni, oublié, reprenait sa place de cauchemar. Je n'entendis les autres commentaires que dans une sorte de brouillard: " C'est vrai ? " " C'est impossible ! " " On l'a surprise alors qu'elle n'était pas maquillée ! " " Que va-t-elle devenir ? " " Elle risque gros: tu penses: un homme qui s'introduit dans un pensionnat de filles ! " " C'est pour ça qu'il y a les gendarmes ! " " Gros combien ? " " Au moins vingt ans de prison ! " " Ou est elle ? " " Chez le Dirlo: ils vont l'emmener tout de suite. "

Je me mis à courir à mon tour, de toutes mes forces, traversai la cour comme une folle et m'élançai dans l'escalier d'honneur, déjà rempli d'une foule de curieuses. A force de jouer des coudes, je parvins sur le palier de l'étage Directorial juste au moment où, du bureau suprême, sortaient les gendarmes avec, menottes aux poignets, encadrée par eux, la pauvre Mademoiselle Bernardini.

On ne l'avait pas laissée s'habiller, à l'exception de la robe qu'elle devait porter quand elle avait été découverte, et du léger maquillage qu'elle devait avoir accompli à ce moment; on ne l'avait même pas autorisée à mettre en ordre ses longs et beaux cheveux, qui partaient en mèches folles: ses bijoux, ses accessoires de coiffure et d'apprêt étaient, sans doute, autant d'ornements subversifs que la Morale et la Loi lui déniaient le droit de porter. Elle avait vraiment l'air pitoyable.

Le premier regard qu'elle rencontra fut le mien, sans doute épouvanté. Je lui souris néanmoins timidement; et alors, ce fut une transformation miraculeuse: après quelques dixièmes de seconde où je perçus dans ses yeux comme un éclair d'affolement, elle répondit à mon pâle sourire par un nouveau regard qui signifiait clairement, cette fois " Ne t'en fais pas, ça va aller ! " Sans doute voulait elle m'épargner la vision de ce que je pouvais être, moi aussi, un jour.

Et là, d'abattue et décomposée qu'elle était, elle réussit ce tour de force de redevenir sous nos yeux, et sans aucun des artifices qui lui manquaient, la demoiselle Bernardini que nous avions toujours connue: Belle, forte et digne, à tel point que c'étaient les deux pandores qui paraissaient ridicules de la serrer comme un galérien qu'on aurait repris de justesse. Personne ne songea plus dès lors à lui jeter les moqueries prêtes à fuser de toutes parts un instant auparavant.

Elle descendit l'escalier ainsi, et monta la tête haute dans le fourgon qui l'attendait dans la cour. Nous n'eûmes plus jamais de ses nouvelles. Je passai le reste de la journée dans une prostration dont même Béatrice ne réussit pas à me tirer. Quelque chose semblait brisé, de ce côté là aussi. Ce fut dans mon lit, le soir, que je trouvai la lettre:
" Caroline, Quand tu liras ceci, j'aurai été chassée du Collège, peut-être même arrêtée par les gendarmes, et tu sauras alors pourquoi. Tu ne peux pas rester ici sans mon aide, d'autant que dans quelques mois la Nature fera tout pour te transformer définitivement en petit homme. Retourne chez les garçons dès que tu le pourras. Si tu ne t'en sens pas capable, pense à moi et à la façon dont ça s'est terminé. Je t'embrasse. Je penserai bien à toi. Sylvia Bernardini. "

Comment avait-elle trouvé le moyen de me faire parvenir cette lettre, je n'eus pas le temps de m'en soucier: Béatrice était là, derrière moi, à la lire également.
-" Elle a raison ", soupira t'elle: " Tu dois retourner d'où tu viens ".
Effaré, je murmurai:
-" Tu savais ? "
-" Je l'ai toujours su "
-" Tu m'aimes donc quand même ? "
-" Ca n'a pas d'importance, quand on aime. "
- " Mais alors ", fis-je avec un dernier espoir, " je peux rester ! "
Ses yeux se remplirent de larmes:
- " Hélas, ça ne changerait rien pour nous: J'ai un oncle au village, qui a télégraphié à mes parents: ils ont téléphoné cet après-midi... pour dire qu'à cause du scandale, ils me retirent du Collège... dès demain. " Cette nuit-là, nous nous relevâmes ensemble pour la dernière fois, passant nos dernières heures dans le grenier, l'une contre l'autre, à pleurer, à nous sourire, à nous promettre... Enfin, Béatrice sortit ses ciseaux et entreprit de me couper les cheveux, pour me redonner l'allure du garçon que j'avais été si peu. Elle ramassa une mèche et la serra dans sa main:
" Je la garde ", dit-elle.
Mes vêtements de garçon étaient toujours là où je les avais laissés, plusieurs mois auparavant, dans un coin d'un placard de la lingerie. Vers le petit matin, je les revêtis lentement, comme mortifié.

Puis nous gagnâmes la porte secrète que j'avais découverte jadis avec tant de joie; dans l'embrasure de cette porte, nous échangeâmes le dernier baiser que j'ai jamais donné, que j'ai jamais reçu, et le plus pur sans doute. Après quoi, la mort dans l'âme, et sans oser me retourner, je regagnai mon ancien dortoir.

Ma place y était vide, comme libérée pour mon triste retour. On m'y retrouva le lendemain, brisé de fatigue autant que de chagrin. Je jouai les amnésiques, et l'on ne put jamais rien tirer de moi. Quelquefois, cependant, longtemps après, devenu adulte, mais pas plus homme pour autant, quand on faisait allusion à cette période mystérieuse de ma jeune existence, et qu'on me demandait en plaisantant à demi où j'avais bien pu disparaître alors, je répondais:
-" Au pays des rêves, sûrement, un jour que je rêvais trop fort "
Et c'était la vérité, d'avoir pu vivre en rêve, et d'avoir été en même temps, dans le stupide et cruel monde des hommes, comme garçon et comme fille, la fugueuse doublement introuvable que je serai toujours.


Responsable du site : Lucie Sobek


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