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« La franc-tireuse », une petite histoire imaginée par micheleanne

1 La franc-tireuse jeanne tvq@femmes.net 29-10-2004, 15:00 par Michèle Anne Roncière

ATTENTION: Ce récit est un récit de FICTION, même s'il s'inspire des années sombres de l'Histoire Européenne, et ne correspond ni à des événements actuels ni, je le souhaite ardemment, à des événements futurs. Il comporte cependant une ambiance lourde et des scènes dures qui peuvent émouvoir défavorablement les personnes sensibles.


A Corinne et Chrystie, avec amitié.

Maintenant que tous ces régimes viennent de s'écrouler, les uns après les autres, on me demande souvent à moi, la vétérante qui s'est fait connaître dans ses ouvrages comme leur immortelle ennemie , dans quelles circonstances je suis partie en Angleterre. Je n'avais jamais voulu les relater exactement jusqu'ici, parce qu'elle touchaient trop à des chagrins trop personnels et trop profonds. Mais, comme tout cela remonte à tellement loin, et que le personnage que je suis en sortira éclairé d'une lueur nouvelle, et ce, j'espère, quoi que n'en étant pas certaine, à la satisfaction de son public, ma foi, je veux bien révéler aujourd'hui ce qui a été un secret de tous les instants.

-"Police des Moeurs !" Ouvrez !

C'est ainsi que tout commença, un Dimanche, vers 5 heures du matin. C'était donc pendant ces années noires, après que la grande vague fasciste avait de nouveau submergé l'Europe: les autorités morales avaient retrouvé leur prestige et leur influence d'antan, et tous les organismes de police, qui leur avaient été subordonnés, avaient reçu plus de pouvoirs qu'ils n'en avaient jamais rêvé.

Je me levai prestement, ôtai la chemise de nuit que je roulai en boule sous le traversin, enfilai le pyjama que je tenais toujours prêt pour semblable occasion, et me dirigeai vers la porte d'entrée, qui commençait à trembler sous les coups d'impatience des forces de l'ordre.

A peine l'avais-je entrouverte que je fus brutalement repoussée par trois brutes en uniforme, qui se mirent en devoir d'investir l'appartement. Une femme les accompagnait, qui, pour paraître moins grossière que ses acolytes, n'en fureta pas moins partout d'un oeil méthodique. Il en restait un, enfin, pour me surveiller, et qui refusa, muré dans un silence dédaigneux, de me donner la moindre explication, ce qui eût été d'ailleurs parfaitement superflu. Aux bruits que faisaient ses comparses dans mon appartement, il me sembla qu'il s'intéressaient plus particulièrement à ma chambre et à ma salle de bains. La scène suivante me le confirma.

L'un des types, une espèce de sauvage taillé à la hache, revint dans la pièce en tenant à la main ma chemise de nuit d'un air dégoûté.
-"Elle est encore chaude, Chef, regardez !"

D'un geste méprisant, le Chef balaya l'objet, qui se déroula en un clin d'oeil jusqu'à terre. Et c'eût été presque comique de voir ce rustre embarrassé tenir dans ses mains gigantesques une chemise de nuit rose aux fins empiècements de dentelle, s'il n'y avait pas eu derrière tout cela la traque monstrueuse de tout un appareil.

Le Chef se tourna vers moi d'un air triomphant, mais toujours sans s'abaisser à me parler. Je crus bon de me justifier.
-"C'est à mon amie, elle travaille très tôt, elle vient juste de partir."
La femme était de retour. elle précisa:
-"Vous avez été dénoncé: on vous a vu acheter cette chemise Samedi dernier aux Galeries Lafayettes."
-"Et alors ? C'était un cadeau pour mon amie !"
-"Une amie que personne n'a jamais vue dans l'immeuble...
Un hurlement provint du fond de l'appartement, interrompant à propos cet échange. On eût dit celui du prospecteur dont la déesse aurifère vient de couronner le front.
-"Ici, venez voir!"

Nous nous précipitâmes tous dans la chambre, eux pour savourer une victoire définitive, et moi pour savoir ce qui pouvait bien motiver un tel enthousiasme. Ils s'étaient tous rués en force dans le couloir, et je ne pus les rejoindre qu'en dernier. Quand je parvins enfin dans la chambre, je les trouvai tous à l'arrêt devant ma penderie, grande ouverte sur mes trésors. La femme les passait tous en revue, en éprouvant parfois l'étoffe ou les sortant pour mieux voir à la lumière.
-"Et ça ?" me demanda-t-on.

Là encore, je maintins jusqu'au bout que tout ce qu'on pouvait voir de féminin dans mon appartement, vêtements, chaussures, accessoires de maquillage, tout cela appartenait à mon amie. Les policiers tinrent néanmoins, et en ricanant, à la qualifier de "fantôme", alors que je prétendais, moi, que, justement, l'abondance des traces qu'elle avait laissées chez moi ne faisait qu'en confirmer l'existence.

J'aurais été bien en peine de les renseigner sur de nombreux détails de la vie de mon amie: l'employeur pour lequel elle devait se lever si tôt, par exemple, pour ne pas parler de ses lieux et date de naissance. Mais, peu à peu, à force de parler, je sentis que j'arrivais à semer le doute et la confusion dans les esprits de ces primitifs qui ont de tout temps constitué les troupes d'hommes de main des périodes sombres; et plus je me sentais vaincre, plus j'étais à l'aise et plus les arguments me venaient facilement. Vint enfin un moment où je crus pouvoir m'arrêter, les esprits s'étant calmés et les têtes refroidies. Les brutes n'avaient plus l'air que de vilains garnements dont la sale blague a mal tourné; je les sentais même prêts à s'excuser de m'avoir dérangée.
-"Mais alors", dit la femme à ce moment là, "Où sont vos affaires, à vous ?"

L'affaire était entendue: je n'avais que deux chemises et trois pantalons entassés dans un coin. Il m'était impossible de remonter la pente et de continuer tout une nouvelle argumentation. On m'emmena à la Brigade, et avec d'autant moins d'égards que j'avais été à deux doigts de les posséder. Dans la cage où l'on m'enferma en attendant mon audition, il y avait de tout: trois prostituées, et quatre hommes.
-"Pourquoi qu't'es là, toi ?" me demanda-t-on.
Et, comme je m'apprêtais à jouer l'étonnement et l’innocence surprise, l'un des deux hommes, qui m'avait examinée en silence, déclara, péremptoire:
-"Oh, ne réponds rien, va... avec tes traits fins, ton regard doux, tes mains de fille, tout ça parle pour toi !"
Et comme je m'interrogeais sur la façon dont il convenait que je prisse cette déclaration; il poursuivit en me tendant la main:
-"On m'appelle Nicole. Et toi ?"

Je faillis fondre en larmes: c'était la toute première fois que je me retrouvais avec mes soeurs persécutées comme moi, et il fallait que ce soit dans ce lieu sordide, et vêtues du déguisement quotidien qui nous servait d'alibi dans la société qu'on nous faisait. Bouleversée, j'articulai:
-"Caroline..."
-"Remets-toi, Caroline, on ne t'a jamais seriné qu'un homme ne pleure pas ?" dit Nicole en souriant.
L'une des deux prostituées intervint:
-"Vous êtes pas prudentes, les filles, tout ça, ça pourrait être un piège pour vous perdre ! On les connaît, ces pourris de flics, hein, pas vrai, Simone ? Nous, on craint pas grand chose, vu que les pontes y font appel à nous pour leurs "soirées", comme ils disent: on n'a qu'à lâcher le bon nom, et hop... On est dehors. Mais vous, mes jolies, c'est une autre paire de manches: y'a des convois qui partent tous les jours, à c'qu'on dit, et on sait pas pour où."
-"C'est quoi cette histoire de convois ?" demandai-je.
L'un des hommes leva les yeux aux ciels:
-"Regardez-moi ça ! Elle tombe de la lune, celle-là, ou quoi? Elle sait pas que les gens comme nous, les flics les expédient dans des camps de rééducation mentale ?"

J'avouai que non. Ma candeur détendit l'atmosphère, et nous poursuivîmes les présentations. Outre Nicole, l'autre "homme" s'appelait Christine. Elles avaient été arrêtées; comme moi, sur dénonciation. Nicole était soupçonnée, avec quelque raison, d'être le cerveau d'un réseau informatique qui plongeait ses racines dans l'Internet. Christine était la messagère pour tout ce qui ne pouvait passer par le Réseau; il n'y avait cependant aucune charge concrète contre elles. Les trois prostituées étaient respectivement Martine, Simone et Lise, dites Clara, Pétra et Véra: elles attendaient avec philosophie l'ordre qui, elles le savaient, allait bientôt les libérer. Quant aux deux restants, Albert et Georges, c'étaient deux homosexuels qui avaient été surpris en flagrant délit dans un cinéma, en train de se tenir par la main.

Martine et surtout Simone, qui nous trouvaient sympathiques, nous bourraient le crâne de conseils et de trucs: dire telle chose, ne pas dire telles autres; ce qu'on pouvait demander, et à qui; de qui se réclamer, et qui ne pas nommer... On voyait qu'elles connaissaient bien leur affaire, et je craignais seulement de ne pas pouvoir retenir la moitié de tout ce dont elles nous abreuvaient. Tout commençant à se mélanger dans mon esprit, comme à la veille d'un examen particulièrement décisif; je décidai de ne plus chercher à en apprendre davantage, en priant que le peu que j'avais retenu me suffirait.

-"Attends !" insista Simone, "j'ai oublié de te dire: la femme avec laquelle tu es venue, la fliquette, tu vois ?"
-"Oui", fis-je, "n'en pouvant plus, "Eh bien ?"
-"Méfie-toi d'elle, c'est une vraie peau de vache, une salope de première."
-"Moi aussi, j'ai quelque chose à te dire," fit Nicole: "Ils vont sûrement te libérer, comme nous d'ailleurs, ils n'ont pas de preuves directes. Mais une fois qu'on est pincés, il ne reste plus qu'à disparaître, parce que la seconde fois qu'ils viennent chez toi ils t'emmènent pour de bon, tu comprends ?"
Je fis signe que je comprenais.
-"Alors, une fois que tu seras sortie, Christine prendra contact avec toi. Pour qu'on se refasse une vie ailleurs, tu comprends ? Je connais une filière; Mais il faudra tout laisser tomber le soir même, d'accord ?"

Encore une fois, j'approuvai, sans réaliser toutefois le monde qui venait de s'ouvrir à moi et dans lequel j'allais me lancer. A ce moment là, la grille s'ouvrit et deux gardes vinrent se saisir de moi pour m'emmener dans la salle des interrogatoires. Je me retrouvai en face de la "fliquette".

Au début, il ne s'agissait que de mettre par écrit le compte-rendu de la visite domiciliaire qu'on avait faite chez moi. Mais, très vite, à force de devoir répondre aux mêmes questions dix fois de suite, à tout reprendre depuis le début, assise sur un tabouret bancal et la lumière aveuglante d'une lampe dans les yeux, bien heureuse qu'on ne me frappât point encore, je compris que l'on cherchait à me faire aller plus loin.

Pourquoi je n'étais pas mariée, pourquoi je ne ramenais pas de filles chez moi, tout y passait, tournant éternellement autour de la même chose. Ces salauds avaient dans mon dossier une liasse épaisse de témoignages insignifiants et vagues mais dont l'accumulation tendait à montrer que, décidément, il y avait quelque chose chez moi qui n'allait pas... On avait recueilli des phrases prononcées par mes amis, des remarques de mes collègues féminines, des réflexions des commerçants de mon quartier... Et toutes ces phrases, sans doute dictées par la police elle même, on les avait montées entre elles pour leur donner tout le sens qu'on désirait. On avait même recherché des témoignages de mes camarades d'école primaire, au Cours Préparatoire, ainsi que de mes institutrices ! Et il était clair que tout cela ne parlait pas en ma faveur. Cependant, je ne reconnus rien. Quatre, cinq heures après, peut-être, la "fliquette" repoussa tous ces documents sur le coin de la table, comme pour faire place nette et passer à autre chose.

-"Bon, écoute", me dit-elle (Cela faisait déjà un bon moment qu'elle me tutoyait sans que je l'y eusse invitée, selon un usage immémorial des institutions policières). "Je sais ce que tu es, et toi aussi. J'ai assez de preuves pour te faire partir demain. Et pourtant, je ne le ferai pas. Je n'ai jamais fait partir personne. Et tu sais pourquoi ?"

Interloquée, je pensai d'abord à un grand numéro de flic destiné à me faire plonger définitivement. Mais ce que j'entendis me coupa le souffle:
-"Tu es bien une femme, en vérité, n'est-ce pas ? C'est comme ça que tu te sens ? Et bien moi c'est pareil: je suis un mec, en réalité."
Je n'arrivais pas à y croire, et la laissai continuer:
-"Tu ne me crois pas ? Regarde: ".
Elle tira de sa poche

Chapitre 2

A Corinne et Chrystie, avec amitié.

Il était seize heures de l'après-midi quand je regagnai mon appartement, pour prendre un bain que j'estimai fort mérité. Dès que j'y mis le pied, je sentis pourtant que rien n'y serait jamais plus pareil: cet endroit où je m'étais estimée en sécurité, et où j'avais vécu, devant ma glace complice, les plus beaux moments de ma vie, des soudards en avaient foulé le sol et détruit l'essence magique et protectrice. Seul le bain me fit revivre les instants de grâce, d'oubli et d'insouciance auxquels j'avais pu me laisser aller auparavant.

Vers les vingt heures, on sonna à la porte. J'eus du mal à reconnaître Christine, que, pourtant, j'attendais, dans la visiteuse enjouée qui se glissa chez moi.
-"Nous n'avons plus grand chose à perdre, à présent..." m'expliqua-t'elle... Et comme ils ont pris des photos de nous en hommes... Nous courrons même plutôt moins de risques comme ça ! Je te conseille d'en faire autant !"
Leur propre interrogatoire avait été relativement bref, et on les avait relâchées, finalement, à leur grande surprise: il n'était pas dans les habitudes des "moeurs" de libérer des personnes faute de preuve, puisqu'on y fabriquait à tour de bras quand il en était besoin.

Elle m'informa aussi qu'un départ était possible dans la nuit pour l'Angleterre, qui était restée, une fois de plus, la terre d'accueil de l'excentricité et donc de la tolérance. Je lui fis part de ce que m'avait confié l'Inspectrice au poste de Police, confidences qui ne la surprirent pas outre mesure.
-"Nous avons nous aussi nos sources d'information... répondit-elle comme je le lui faisais remarquer.

Elle prit la liste que je lui donnai, y jetant un rapide coup d'oeil. "Rien d'inédit..."observa-t'elle, "nous savions que les personnes qui figurent sur cette liste étaient en danger, et la plupart sont déjà à l'abri; les autres le seront ce soir. C'est bon, tu peux dire à ta copine qu'on l'emmène..."
-"Nicole sera d'accord ? demandai-je inquiète, soucieuse d'une inconséquence de dernière minute.
-"Elle est déjà au courant... Nous passerons chez toi dans deux heures. Qu'elle y soit. Prenez des affaires, mais pas trop...", fit-elle dans un sourire. "Et donne moi une photographie d'identité où tu sois en fille, pour le passeport."

Sur la seule photographie que j'avais en ma possession (comme j'en avais peu !), j'étais en homme. Mais Christine m'assura que Nicole avait à sa disposition tout le matériel informatique nécessaire pour en faire, en un tournemain, la photographie d'une dame charmante, en autant d'exemplaires qu'il le fallait, et pour fabriquer une carte d'identité et un passeport plus vrais que les vrais sur lesquels les apposer.

Christine repartit comme elle était venue, et je m'empressai de téléphoner au commissariat, où l'Inspectrice me répondit-elle même. Je lui expliquai les conditions du départ précipité qui nous attendait. Elle les approuva, me sembla-t-il, en pleurant de joie.

En attendant sa venue, je plongeai dans mes placards... Qu'allais-je emporter et sauver du naufrage ? Je retrouvai avec émotion mes premières robes d'adolescente, que je ne conservais que par sentimentalisme, et auxquelles il ne me fut pas trop difficile de renoncer. Mais cette jupe plissée de flanelle grise à la ceinture noir et or finement travaillée ? Ce corsage rose dont les pinces faisaient naître des plis si harmonieux ? Cet autre aux amusantes petites poches sur la poitrine ? Ces chaussures dans lesquelles je me sentais si bien ? Mille détails pour chaque vêtement, mille souvenirs pour chaque accessoire semblaient me rendre la tâche impossible d'en élire quelques uns en si peu de temps.

Ce fut fait, pourtant, et j'avais même trouvé celui de me maquiller et de m'habiller quand on sonna une nouvelle fois à ma porte. C'était l'Inspectrice. Je lui ouvris.

J'aurais juré qu'elle avait eu un petit sursaut en me voyant, et que je n'aurais su comment interpréter, si elle n'avait aussitôt (et pour la première fois) souri, en remarquant:
-"La voilà donc cette fameuse amie qui n'est jamais chez vous... Et comment s'appelle t'elle ?"
-Caroline... Caroline Roncières." dis-je, en souriant moi aussi.
-"Marie-France de Richt... On attend ?
-"Oui... Avez-vous un passeport ?"
-"Bien sûr... Et puis ma carte de Police pourra ouvrir pas mal de portes, vous verrez, ça aide."

Nous discutâmes ainsi quelques instants. Marie France semblait vouloir absolument savoir où nous allions et par quel moyen, mais, comme je n'en savais pas plus qu'elle, la conversation dévia vite vers d'autres sujets, et, bien sûr, sur celui qui constituait une souffrance commune. Elle semblait vivre très exactement la même chose que moi, sauf qu'elle était un homme, et moi une femme, et que si nous avions les mêmes causes de souffrance, les modes en étaient différents. C'était passionnant et pathétique, si bien que je ne pus bientôt plus la considérer autrement que comme une pauvre victime, victime des circonstances, du hasard et des moules sociaux, comme je l'étais moi-même.

A force de confidences, quand Christine arriva, nous étions les meilleures amies du monde, et peut-être plus encore. Elle nous guida jusqu'à une automobile, conduite par une fille que je ne connaissais pas, Andrée, et qui avait été pilote de rallye. Christine s'assit à côté d'elle, tandis que Marie-France et moi nous montions à l'arrière. Nicole était déjà partie par d'autres voies et nous attendait dans un endroit mystérieux à trois cent kilomètres de là. Nous gagnerions ensuite l'Angleterre à partir de cet endroit, mais toujours sans qu'il nous fut dit comment.

Le voyage fut long. Des barrages étaient en place un peu partout, que nous aurions vraisemblablement franchis sans le moindre encombre, tellement les faux-papiers de Nicole étaient parfaits; La présence de Marie-France, et sa carte professionnelle, simplifièrent cependant beaucoup ces formalités, qui furent souvent réduites à son seul examen. Vers la fin, je la sentis qui me prenait la main, et je m'endormis en m'appuyant sur son épaule, submergée par une douceur sans pareille, et que d'ailleurs je n'avais jamais connue. Il était clair pour moi que, malgré les circonstances plutôt singulières de notre rencontre, Marie-France était enfin la personne avec laquelle je pourrais partager une vie qui n'était jusque là qu'un fardeau encombrant.

Christine semblait s'en être aperçue aussi, et mon dernier souvenir du voyage fut son visage, se retournant vers nous et nous considérant avec une perplexité où se mêlait, me sembla-t'il, une sincère inquiètude. Quand je me réveillai, il faisait jour, et j'étais seule dans la voiture, stationnée dans la cour d'une ferme, en laquelle je reconnus aussitôt le style des maisons de la Bresse. Nous étions donc loin de l'Angleterre !. Des bruits de voix me parvenaient, assourdis, d'un hangar voisin, vers lequel je me dirigeai aussitôt.

Quand j'y pénétrai, je ne pus retenir ma surprise: tout y avait été disposé comme pour former une sorte de tribunal. La Présidente était Nicole, et Andrée, avec une inconnue, formaient les assesseurs. Une vingtaine d'autres filles semblaient constituer un jury des plus sévères. Et, à la place que je devinai être celle de l'accusé, Marie-France éclatait d'une haine rageuse:
-"Oui, je l'ai fait ! J'ai fait tout ça, et j'en suis fière ! Et je voudrais avoir réussi cette mission là aussi, pour débarrasser mon pays de tordus de votre espèce ! Pauvres malades ! Ce qu'il vous faut, c'est vous reconditionner le cerveau ! Regardez moi ça! regardez vous ! Vous êtes grotesques, avec votre parodie de jugement: vous séquestrez un officier de police, et je vous somme de me relâcher immédiatement, sinon je vous assure que ça va vous coûter cher ! Bande de tarés !"

J'en avais juste saisi assez pour comprendre que Marie-France n'était pas celle qu'elle avait prétendu être. Je sentis une étrange chaleur gagner mes tempes, accompagnée d'une sorte de vertige, d'une difficulté à respirer, et d'un incroyable écoeurement: Mes jambes se dérobèrent, et Christine me rattrapa de justesse. Elle m'aida à marcher jusqu'à la voiture.

-"Je suis désolée", dit-elle, on ne voulait pas que tu voies ça; Nicole m'avait demandé de te boucler dans la voiture, et j'ai dû m'absenter juste deux minutes. On t'aurait dit qu'on l'avait conduite en Angleterre par un autre chemin."
Je lui fis signe de continuer...
"Elle a démantelé trois réseaux comme le nôtre, déjà, et toujours avec la même tactique: elle prend une fille, gentille, tendre, un peu naïve (elle souriait en disant cela) et lui raconte une histoire tellement grosse et tellement bouleversante qu'elle reçoit un véritable choc émotif, saute dans le piège, et entraîne tout le résau avec elle..."

-"Mon Dieu", soupirai-je, alors j'ai donc failli vous faire perdre toutes !"
Christine sourit:
-"Tu penses bien qu'on était sur nos gardes... En fait, nous sommes sûres que notre rencontre au Commissariat avait été soigneusement préparée... La liste qu'elle t'a donnée... il aurait été suprenant que nous n'en connaissions pas déjà tous les noms ! Tu étais à ton insu le piège qu'on nous tendait, mais pour nous tout était limpide: nous n'attendions que cette occasion pour nous emparer de notre redoutable ennemie !"
-"Qu'allez vous faire d'elle ?"
Elle redevint grave:
-"Nous lui avons donné sa chance. Et, tu as vu, comment elle a réagi ? Nous devons nous en débarrasser, sinon plein de filles comme nous irons dans ces fameux camps de rééducation. Tu sais ce qu'on leur fait, là-bas ? Les électrochocs sont encore ce qu'il y a de plus supportable: pour le reste, conditionnement psychologique à l'électricité, "expériences" hormonales, lobotomies, et même pire. Certaines sont réduites à l'état de légumes, d'autres deviennent folles, pour ne pas parler de toutes celles qui se suicident comme elles peuvent, oui, j'ai bien dit comme elles peuvent, et je ne veux pas te donner d'autres détails. Elle sera condamnée. Nous allons la tuer, Caroline. Je suis désolée."

Bien que je sache qu'elle avait raison, je ne parvenais pas à y croire, et je me mis à pleurer d'avoir été si bête, d'avoir servi aux unes et aux autres, et de me trouver dans ce monde si dur et si stupide. Christine me prit dans ses bras et me consola comme elle put. Bien des larmes après, comme je n'avais plus visage humain, elle m'accompagna doucement jusqu'à la ferme, où je pus m'arranger et redevenir celle que je n'aurais jamais dû cesser d'être: une Caroline maîtresse d'elle-même et plus solitaire que jamais.

Les filles étaient gentilles avec moi, et je crois qu'en une autre occasion, j'aurais pu me lier facilement avec plusieurs d'entre elles, chance que je laissai malheureusement échapper sans même m'en rendre compte, tant j'avais désormais peu le coeur à sortir de moi-même. Après le déjeuner, Nicole vint me trouver, m'embrassa et me dit, très embarrassée:
-" J'aurais bien voulu te laisser en dehors de tout ça, Caroline; au Commissariat, j'ai tout de suite su que c'était toi dont ils allaient se servir contre nous. Et j'ai tout de suite su aussi que, de quelle façon que l'affaire dût se terminer, ce serait un drame pour toi. Je lis dans les regards, c'est grâce à cela que je m'en suis toujours tirée... Mais il le fallait."

Je fis un signe qui voulait dire que je savais de quoi elle parlait, sans me donner la peine de préciser que c'était Christine qui m'avait tout appris. Nicole restait là, cependant, hésitante; Il y avait autre chose. "Elle... elle a demandé, comme dernière volonté... elle a demandé que ce soit toi. Tu pourras ?"

Je répondis oui, par bravade, et comme pour en finir de façon désespérée avec le personnage que j'avais été si longtemps. Nicole sortit une arme de sa poche, m'en apprit le maniement, la façon dont je devrais m'en servir ensuite, et me la mit dans la main. Je fus surprise du poids de cet objet, comme si tout ce qui devait donner la mort dût être immatériel ou impalpable. Après cela, elle me conduisit en silence au seuil d'une cabane qui devait servir à ranger des instruments agricoles, et que gardaient deux filles, une mitraillette en bandoulière.

Marie-France attendait l'intérieur, déjà à genoux, les mains et les pieds attachés. Elle me montrait son dos mais, dans le noir qui succédait au jour, je ne la vis pas tout de suite. Elle, par contre, sentit aussitôt que je venais d'entrer.

-"Caroline", dit-elle d'une voix transformée par l'émotion, "je dois te dire quelque chose".
Elle tournait la tête des deux côtés, cherchant à me voir. Mais je restai derrière elle, sans répondre, attendant qu'elle continue sans lui donner le moindre assentiment, le moindre signe de faiblesse.
"Ce que je voulais te dire, c'est que... ce que je pense des autres, je ne le pense pas de toi. C'est quand je t'ai vue, en fille, chez toi, quand on a discuté ensemble, toutes les deux, que... Enfin, je te jure qu'on ne t'aurait pas fait de mal. Je t'aurais sortie de tout ça."

Nouveau silence. Marie-France tourna la tête le plus qu'il lui était possible. Elle devait voir ma silhouette à l'extrême limite de son champ visuel.
"Tu me pardonnes ?"
Je ne pouvais plus garder le silence. Rapprochant le canon de sa nuque, comme si je ne voulais pas lui permettre de savourer trop longtemps ma réponse, je lâchai avec peine:
-"Oui."
-"Tu sais, je..."

Le bruit fut immense et je ne sus jamais ce qu'elle allait me confier. Je sortis de la cabane en hurlant, jetant le pistolet fumant dans l'herbe, ne sachant plus très bien qui je venais de tuer, de Marie-France ou de moi. Je ne suis même plus sûre aujourd'hui de lui avoir vraiment pardonné, ce jour là, de m'avoir fait devenir la franc-tireuse que je suis restée ma vie durant, et qui n'a plus jamais été capable, même l'appelant avec désespoir, de la moindre faiblesse.

Trois jours après, j'étais en Angleterre et devenais la journaliste obstinée, l'éditorialiste redoutable, la polémiste cinglante que vous avez toujours connue, moi dont la seule vocation était de vivre un amour qui n'a jamais surgi et qui, finalement, était certainement impossible!


Responsable du site : Lucie Sobek


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