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« Comment je me suis mariée 3 », une petite histoire imaginée par micheleanne

1 Comment je me suis mariée 3 jeanne tvq@femmes.net 29-10-2004, 15:08 Par Michèle Anne Roncières
À Anne-Sofie,
Avec amitié
Troisième partie

Je n'avais qu'une idée assez vague des attitudes que je devais prendre: les photos de mariage, comme je désespérais d'en faire un jour, n'avaient jamais beaucoup retenu mon attention. Mais Daniel et le photographe surent me conseiller et me rendre la plus naturelle qu'il était possible: moi subjuguée par mon époux et le regardant d'en bas, lui et moi observant au loin, tout sourire et de concert, quelque certitude de félicité absolue... Les poses ne manquèrent pas, auxquelles je me prêtai de bonne grâce.

Quand nous eûmes terminé, nous n'eûmes même pas le temps de nous concerter sur la suite du programme: des jeunes gens et des jeunes filles fondirent sur nous de toutes parts et nous séparèrent aussitôt sans que nous puissions nous en défaire. Je me retrouvai donc face à une horde de huit ou neuf chipies, dont j'appris qu'elles étaient mes amies d'enfance:
- "Eh bien Marie-Odile ? Je ne savais pas que tu épousais le fils Gillette ? "
- "Quel effet ça fait de se raser, la première fois ? "
- "Je ne sais pas trop si tu as eu raison, chérie, on dit que Daniel aime bien les filles un brin viriles, tu vois ce que je veux dire ? "
- "Ca va tenir longtemps, tu crois ? Il paraît que ça repousse deux fois plus long, après ? "
Mon sang ne fit qu'un tour devant ces gamines que des années de pensionnat avaient rendu aussi féminines que des garçonnets obèses:

- "Ca va bien les filles, j'ai laissé tomber le masque... Par contre, vous autres, je ne sais pas trop ce que vous allez faire question silhouette ? C'est curieux, chez vous le relief est en bas au lieu d'être en haut ! Pour la poitrine, il paraît que les injections c'est pas mal mais que ça retombe très vite... Quant au ventre, je crois que vous pouvez retourner sauter à la corde, ça vous fera du bien et c'est de votre âge ! Et ne parlons pas des boutons, alors là c'est dommage, le Clearasil ne se vend qu'en flacons et pas en tonneaux, mais peut-être qu'un grossiste vous fera des prix ? "

Surprise et dégoûtées, les péronnelles se turent, détournèrent la tête et s'en furent sans insister, sans jeter même un regard sur Daniel qui revenait vers moi.
- "Que leur as-tu fait ? D'habitude, il n'y a pas moyen de vous séparer ? Enfin, je veux dire, elles et Marie-Odile sont... "
- "Comme les doigts de deux mains appartenant à deux boxeurs différents ", rectifiai-je. " Ne t'en fais pas, Marie-Odile est vengée, à l'heure qu'il est... "
- "Bien... ", fit-il, sans avoir l'air de comprendre ce que je lui disais. " Il est temps de passer à table: c'est assez loin, là-bas, dans les jardins... "

Comme mes demoiselles s'étaient évaporées dans la nature, Madame Hilda, qui ne s'éloignait jamais beaucoup de ma personne, vint me débarrasser opportunément de ma traîne... Daniel me donna le bras et nous passâmes ensemble quelques fontaines monumentales, longeâmes le grand bassin, avant de parvenir à une grande clairière où avait été dressé le plus impressionnant banquet que j'aie jamais vu: des centaines de tables alignées sous des tentes gigantesques, et autour desquelles s'affairaient des régiments de serveurs en livrée... Le gros des invités était pour l'instant agglutiné dans un coin de la clairière, en train de s’entre-tuer en quête d'amuse-gueules. Tout le monde était en costume du Grand Siècle; La chevelure imposante et soigneusement construite, présentant des robes somptueuses et fines, les femmes avaient retrouvé l'usage des mouches et en abusaient déjà comme leurs aïeules. Quant aux hommes, ils arboraient les imposantes perruques du temps, des costumes brodés, et je me plaisais donc à croire qu'ils n'étaient pas aussi loin de moi qu'ils pouvaient le penser. Daniel me pilota avec aisance entre plusieurs dizaines de gâteux, ambassadeurs, préfets, politiciens et magnats divers, auxquels je fus présentée dans toutes les formes, et qui me firent plusieurs séries de baise-mains inattendus: je pensai mourir de rire, mais je réussis à transformer à temps mon hilarité naissante en sourire de circonstance, et que j'aurais pu adopter de façon permanente, si la menace d'une crampe de la mâchoire ne s'était pas faite sentir.

- "Je ne pourrai jamais me souvenir de tous ces gens ! " protestai-je auprès de Daniel.
- "Aucune importance... Ca viendra peu à peu... N'oublie pas que, maintenant, c'est à eux de se débrouiller pour se faire reconnaître de toi ! "

Dans l'ensemble, c'était très amusant: sous les flashes des photographes, de vieux messieurs s'inclinaient, prenaient la main que je leur tendais, lançaient quelque politesse surannée, quelque voeu convenu, quelque parole humoristique, et se cassaient en deux soudain avec une telle violence qu'on pouvait légitimement craindre le pire. L'un d'eux, un Académicien, était tellement gaga qu'il me bava sur la main, heureusement recouverte de mon gant.... mais pour le plus grand dégoût de l'Enarque qui suivait !

A un moment, je me retrouvai devant une vieille femme acariâtre au teint jaune dont le regard, qui me toisait de haut, semblait dépourvu de toute aménité... et dont l'attitude glacée nous enveloppa d'un silence insupportable, désarmant David lui-même.
- "Madame... commençai-je...
Heureusement, Monsieur de Frémont-Beauchicourt, qui se trouvait à côté, me tira d'embarras et de la plus grosse gaffe que je pouvais commettre:
- "Eh bien, Marie-Odile, tu ne reconnais donc plus ta propre mère ? " dit-il à mi-voix en semblant plaisanter... et avant de me tirer par le bras vers un endroit moins hostile... où m'attendaient les parents de Daniel, que je connaissais bien, et qui me firent bon accueil. Le père de Daniel, qui était continuellement dans la lune, ne me prêta guère d'attention, mais il me sembla que sa femme était toute prête à m'envelopper d'une protection quasiment maternelle, et cela me toucha beaucoup, moi dont la mère hystérique m'avait toujours mené la vie dure. Nous passâmes aussitôt à table, ce qui ne me fut pas particulièrement facile, en raison de l'agencement de mes paniers...

Les services étaient si nombreux que je renonçai bientôt à les compter et à me souvenir de leur contenu ! Ils semblaient devoir défiler sans interruption jusqu'au soir, et nous restâmes attablés toute l'après-midi... Moi, j'avais grand soin de ne prendre guère qu'une bouchée de ces plats délicieux, pour ne point risquer de faire éclater ma robe; et d'humecter seulement mes lèvres des grands vins qui m'eussent tôt enivrée... et qui y parvenaient quand même... On me posait tout le temps les mêmes questions: Où nous allions nous installer, quels étaient nos projets... et comme je n'en connaissais pas les réponses, je décochais un grand sourire vide et laissais Daniel répondre pour moi ! Je posais les couverts de temps à autre, soit pour mieux profiter d'une conversation intéressante, trop rare à mon goût, et toujours trop lointaine, soit par lassitude passagère des mets qui nous étaient proposés jusqu'à l'indigestion. et cela me laissait du temps plus que de raison pour observer la fête. Pendant l'une de ces pauses, je remarquai, au loin et en bout de table, notre momie bien connue, qu'on avait étayée entre deux chaises et qui semblait se régaler de quelque succulence qu'elle aspirait à la paille. Détournant les yeux, je rencontrai le regard de Daniel:
- "Elle a bien le droit de s'amuser aussi, non ? " crut-il devoir se justifier, craignant que la présence de la vraie Marie-Odile me portât ombrage.

Sur cette remarque, qu'on eût pu croire cruelle, mais qui n'était que le fruit d'un effort désespéré, nous éclatâmes de rire en même temps, ce dont les familles et les invités se félicitèrent joyeusement, comme d'un bon augure de notre future entente... A vrai dire, je découvrais Daniel sous un jour que je j'ignorais, et que je n'aurais même jamais soupçonné: en plus de la grande gentillesse dont il avait toujours fait preuve, s’inquiétant de ne jamais me laisser m'ennuyer à cette place qui n'aurait jamais dû être la mienne, il témoignait d'une véritable tendresse que, le vin aidant, j'allais jusqu'à trouver naturelle et réconfortante. De temps en temps, je voyais ma maquilleuse et ma couturière qui m'adressaient, de loin, un signe discret pour que je les rejoigne derrière une tente, où je me livrais alors à un raccord de couture ou de maquillage... Cela me faisait du bien de quitter la table et son théâtre: vue d'un peu plus loin, la fête prenait un caractère irréel et incertain.... Et pourtant, une fois, debout sur l'herbe verte dans ma robe blanche, souriant à la vue de tous ces gens qui s'amusaient, au bruit confus où se fondaient leurs propos et leurs rires, je pensai " Ce mariage... c'est le mien... ".

Dieu sait que je n'aurais jamais imaginé me marier un jour... Il m'était arrivé, une fois, d'aller au mariage d'un cousin éloigné, et cela avait été une expérience plutôt démoralisante: nous avions été une vingtaine à nous retrouver dans un sinistre café de campagne; une dizaine de rustres, des hommes évidemment, mais avec l'incompréhensible assentiment des femmes présentes, s'étaient livrés pendant tout le repas, et sous le prétexte de " mettre de l'ambiance " à des plaisanteries constantes d'une vulgarité sans nom, à tel point que, écoeurée, j'avais disparu de la noce dès avant le dessert, en me jurant qu'on ne m'y reprendrait plus...

Comme le soir tombait, on finit par allumer les bougies de grands chandeliers d'argent, apportés tout exprès... Comme c'était beau, cet éclairage dans l'obscurité naissante ! On voyait, de loin, comme une cène immense, et, de près, trancher des visages illuminés sur les douces ombres changeantes...

Ce fut ensuite l'heure du bal: le cortège s'ébranla, guidé par les lueurs des chandeliers qui l'entouraient de place ne place, et se transporta jusque dans l'une des grandes salles du château, où nous attendait le Concertgebow, au grand complet, cette fois. J'étais au bras de Daniel, qui profitait de ce que la foule se répandait dans la salle pour m'instruire de ce qui allait s'y passer.

Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais, dans ce genre de cérémonies, le protocole obéit à des règles presque aussi strictes que le Bal des Débutantes ou les Concours de Miss... Le bal s'ouvre avec la mariée qui doit obligatoirement valser avec son père, qui la passe ensuite au Marié, dont le père invite la mère de la Mariée pendant que son mari... bref, ça devient vite très compliqué. Tout ce que je savais, c'était qu'il m'allait d'abord falloir aller sur la piste sous les yeux de tout le monde, que j'allais devoir danser avec un tas de monde... et je m'affolai.

- "Daniel ! "; fis-je doucement... " Il y a un léger détail que tu dois connaître... "
- "Lequel ? "
- "Je ne sais absolument pas danser ! Pour être franche, j'ai même horreur de ça ! Et comment veux-tu que je fasse, avec des chaussures qui me permettent à peine de marcher ? "
J'eus à peine le temps de voir se lever le sourcil de Daniel: Monsieur de Frémont- Beauchicourt, qui venait me chercher, avait entendu et déjà trouvé une solution:
- "Mes enfants, ne paniquons pas, ce n'est pas le moment ! Tout s'est bien passé jusqu'ici, il n'y a pas de raison que ça ne dure pas jusqu'au bout ! "
Il fit un discret signe de la main à Madame Hilda, qui s'avança jusqu'à lui, et lui murmura quelque chose. Celle-ci m'emmena discrètement dans un salon voisin, mal éclairé et presque vide.
- "Il faut ôter les chaussures ", m'expliqua-t-elle. " Je vais les prendre "
- "Oter les chaussures ? Mais tout le monde va le remarquer ! "
Madame Hilda me regarda de travers:
-" Le remarquer ? Avec votre robe à paniers, et tous les jupons qu'il y a dessous ? Vous ne seriez même pas capable d'y retrouver vos propres pieds, alors vous pensez si ça va se voir ! "
Sans doute pour ne pas me laisser lui prouver que je savais encore parfaitement localiser mes pieds même dans la griserie du mariage et celle du repas que je venais de finir, elle s'agenouilla devant moi, releva le bas de ma robe et m'extirpa mes deux chaussures avec adresse.
" Evidemment ", dit-elle en les enfouissant dans son sac, " Quand ils vont vous marcher sur les pieds, ça va faire un peu mal. "
- "Vous croyez ? " lui demandai-je, inquiète.
- "Oui. En général les hommes sont de piètres danseurs, et ils vont tous vous marcher dessus. Croyez-moi. "
Je me tus, essayant d'imaginer les affreuses et monotones supplices qui m'attendaient... quand soudain le visage de Madame Hilda s'éclaira:
" Il y a bien un moyen... Si vous sentez que votre partenaire traîne ses pieds un peu trop près des vôtres, n'hésitez pas: marchez lui dessus avant qu'il ne vous écrase vous ! Excusez-vous avec un grand sourire, il se tiendra en retrait et vous ne craindrez plus rien ! "

Madame Hilda me reconduisit dans la grande salle tandis que je me confondais en remerciements: l'orchestre avait fini de s'accorder et s'apprêtait à entamer une des grandes valses du Répertoire Strauss... Avant que j'aie pu faire ou dire quoi que ce fût, Monsieur de Frémont-Beauchicourt m'avait saisie, l'orchestre avait démarré, et je me retrouvai en train de tourbillonner sans rien y comprendre et sans rien voir de l'assistance qui nous applaudissait. Finalement, contrairement à ce que je craignais, c'était assez facile, puisque je n'avais rien à faire... J'avais bien dansé une fois, avec une fille, il y avait des années, dans une fête de collège, mais je n'en avais tiré qu'une désolante impression de devoir et d'ennui, compliquée de mon ignorance des pas et de la tâche lourdissime de décider des trajectoires... Là, tout cela était effacé... je n'avais qu'à suivre et je m'en trouvais bien !

Quand notre tour fut achevé, Daniel me récupéra. Cela me fit une impression bizarre, de sentir nos doigts mêlés et sa main sur mon flanc, beaucoup plus que tout ce qui avait précédé; je tentai de la combattre sans y parvenir, et je la laissai enfin s'installer en moi pour y succomber pleinement. Daniel était, pour autant que je puisse en juger, un fin danseur, dont les mouvements souples et agiles donnaient la mesure du talent. Seuls m'étonnèrent de temps en temps quelques imperceptibles grimaces de douleur, dont je n'eus l'explication qu'à la fin de la danse, lorsqu'il me demanda, laissant sa main en place, de rester immobile, et appela Madame Hidla: Une épingle de grande dimension, restée dans le pli du tissu, s'était fichée dans sa main et l'empêchait de la retirer... On ne manqua pas d’interpréter cela aussi comme un présage des plus heureux, et c'est pansé que Daniel invita Madame de Frémont- Beauchicourt tandis que moi je commençai à passer dans des mains inconnues.

Avec mon troisième partenaire, les conseils de Madame Hilda me revinrent en mémoire comme particulièrement opportuns... Deux fois, j'avais senti mes doux orteils frôlés par une chaussure meurtrière, et, ayant résolu d'éviter la troisième à tout prix, je sautai vaillamment et tout sourire sur les pieds de mon agresseur qui, surpris et dûment averti du risque qu'il courait, me tint à bout de bras tout le reste de la danse... Je vous recommande cette tactique qui me servit plus d'une fois durant cette soirée, au point qu'on voyait à la fin plus de la moitié des messieurs qui marchaient en se servant exclusivement de leurs talons... Il était Minuit, et les invités encore en état n'étaient plus qu'affalés sur les bergères, ou discutant en petits groupes à grands renforts de cigares (pour les hommes) et de liqueurs (pour les femmes), quand Daniel et moi décidâmes de nous éclipser, fugue qui passa d'ailleurs inaperçue. Il m'emmena de nouveau dans le dédale de couloirs que j'avais parcouru le matin ,et nous nous retrouvâmes tous les deux devant une porte close qu'on hésitait à ouvrir.

- "Bon, " fis-je... " Où est ma chambre, déjà ? "
- "C'est à dire... On y a mis Marie-Odile: c'est celle où nous sommes allés ce matin, tu te souviens ? "
- "Qu'allons nous faire alors ? Tu prends Marie-Odile avec toi et moi je vais dormir dans ma chambre ? "
- "Impossible, voyons ! N'oublie pas que la momie, tout le monde croit que c'est toi, et qu'on ne peut pas la déplacer seuls (surtout toi avec ta robe !): il faudrait appeler un huissier! Tu te rends compte si on apprend que ma femme a passé la nuit dans la chambre d'un vieux copain, que j'ai fait lui-même venir dans la mienne ?! "
- "Alors, qu'est-ce que tu proposes ? "
Daniel fit semblant de réfléchir quelques secondes, puis finit par trouver un argument décisif:
- "Après tout... On est mariés, oui ou non ? "

Et nous explosâmes de rire pour la dernière fois de la journée... Forts du principe que nous venions d'appliquer, nous le poussâmes cette nuit-là à ces dernières extrémités: je gage que la compagnie de la vraie Marie-Odile eût été moins agréable à Daniel, et que de la sienne elle eût elle-même tiré moindre profit que moi...

Le lendemain matin, très tard, comme tout mon maquillage avait fondu, ma barbe repoussé, et que je tâchais de filer discrètement, je tombai sur ma maquilleuse et ma couturière, qui guettaient mon apparition avec anxiété: elles avaient ordre de me remettre en état pour la journée. Comme il n'était plus question de déguisements, on me changea de perruque et de vêtements, en me faisant passer un tailleur chic, une vraie tenue de femme mariée...

Nous quittâmes Versailles dans une grosse voiture, pour les terres des parents de Daniel, où il devait me montrer. Tandis que cette journée passait, qui n'arrivait pas à me faire oublier la précédente, ne fût-ce qu'un instant, je sentais croître en moi la tristesse, non de devoir tout quitter bientôt du personnage que j'avais joué avec tant de bonheur, mais d'en avoir eu la révélation accomplie.

Nous nous rendîmes dans de nombreux endroits, visitâmes des tas de gens, sans que je puisse retrouver toute la joie d'être de la veille, et la journée s'écoula doucement, jusqu'au moment où Daniel me raccompagna chez moi: Marie-Odile devait arriver le lendemain pour reprendre son rang, ce qu'elle aurait déjà fait si elle n'avait pas eu une attaque en apprenant de Daniel que nous avions passé la nuit ensemble; l'Hôpital aurait bien voulu la garder davantage, mais avait dû y renoncer devant la détermination de la momie en furie, qui avait semé la panique et la confusion dans tout le Service des Urgences en tapant avec ses béquilles sur tout ce qui portait blouse blanche.

Daniel me fit cadeau du tailleur, du sac et des chaussures, et nous échangeâmes devant ma porte un dernier serment:
- "Daniel ", lui demandai-je: " Jure moi que si, un jour, chez vous, par hasard, Marie-Odile tombait de nouveau dans des escaliers, tu ferais appel à moi pour la remplacer ? "
- "Je te le jure... Michèle Anne ! ", fit-il en m'embrassant.

Voilà. C'est ainsi que je me suis mariée. Cela fait vingt ans aujourd'hui... Vingt ans pendant lesquels la pauvre Marie-Odile a joué d'une malchance incroyable en plusieurs circonstances, se cassant deux fois la jambe droite, trois la gauche, quatre le poignet droit et deux le gauche, plusieurs côtes, les clavicules, le coccyx et sans compter des dizaines de petits os qu'on ne connaît pas et dont on ne se sert jamais... Mais comme elle a toujours énergiquement refusé, Dieu sait pourquoi, de quitter la maison pour passer ses convalescences en clinique, je n'ai jamais pu en profiter pour retrouver Daniel chez lui.

Je le vois quelquefois: il a toujours sur lui la photographie de son mariage avec Marie-Odile, une de celles où je figure à ses côtés: Marie-Odile en fit un jour, paraît-il, un gigantesque autodafé, mais ne put trouver celle-là, qu'il avait sur son coeur. Quand il n'en peut plus de compter les poils sur le visage de son épouse, il s'en vient me trouver et nous rêvons un peu de ce qu'aurait été le monde sans les conventions bêtes, les épouses méchantes et les intérêts financiers...

Il a toujours une bonne nouvelle à m'apporter. Qu'est-ce que c'était, la dernière fois que je l'ai vu ? Ah oui:
- "Regarde Michèle Anne ! "me dit-il, fébrile, en me tendant une coupure de journal: " Un médecin affirme qu'il est sur le point de parvenir à cryogéniser des êtres humains souffrant d'une maladie actuellement incurable: il suffit de les conserver au frais jusqu'à ce que la science soit en l'état de les guérir, et hop, à ce moment-là on les décongèle ! Tu ne crois pas que je pourrais suggérer ça à Marie-Odile pour son léger dérèglement hormonal ? Pendant qu'elle serait à la cave, on vivrait ensemble, tous les deux, et quand elle se réveillerait on serait morts et elle serait bien avancée ! Formidable, non ? "
- "Rêveur, va ! ", lui lançai-je en lui caressant la joue.


Responsable du site : Lucie Sobek


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