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« L'amour de Kurara », une petite histoire imaginée par sidonie

1 L'amour de Kurara sidonie sidonie.tv@caramail.com 12-04-2007, 15:49 Kurara ouvrit les yeux. Le soleil était déjà haut dans le ciel et illuminait la chambre quelque peu en désordre. Se frottant les yeux du bout des doigts, Kurara se remémora la mémorable nuit dernière. Hier, pour la première fois de son existence, Kurara avait été une jeune fille. Pour la première fois, elle avait vraiment existé. Hier, Kurara avait enfin pu apprécier la vie, elle qui, depuis tant d’années, avait vécu dans l’ombre, endormie au fond d’une âme que la peur tenaillait...

Certes, elle avait eu énormément de plaisir à circuler dans les rues de Kyoto dès le coucher du soleil, malgré le brouillard qui l’avait fait frissonner à plusieurs reprises dans sa petite robe en dentelle. Certes, elle s’était fort amusée dans la discothèque où elle était descendue un peu au hasard. Elle y avait dansé une bonne partie de la soirée sur la piste balayée par les lasers. Les jeunes gens ne s’étaient pas privés de l’inviter. Et il y en avait eu pour tous les goûts, depuis des rythmes techno d’avant-garde jusqu’à des séquences des années sixtees ayant conservé tout leur allant. Kurara se remémorait cette série de slows, presque interminable, qu’elle avait passée lovée au creux de l’épaule d’un garçon qui devait avoir à peu près son âge et qui faisait très jeune cadre dynamique bcbg. Il n’avait cessé de lui raconter mille et une choses à l’oreille, tout en restant très correct. Juste un petit bisou dans sa chevelure lorsque le dernier slow s’évanouit dans les haut-parleurs. Certes...

Néanmoins, si Kurara ne devait retenir de la nuit précédente qu’une seule chose, c’était cette double rencontre dans l’avenue Motoki. Et surtout le regard de braise que le jeune homme avait vrillé sous les paupières fardées de Kurara... La suite des événements semblait indiquer que l’inconnu n’était pas indifférent à ses charmes. En ce qui la concernait, elle ne pu que se répéter une fois encore :
- Serait-ce cela le coup de foudre ?

Kurara était rentrée chez elle tellement troublée par la double et brève rencontre qu’elle s’était plongée le plus rapidement possible dans ses draps et couvertures pour retrouver, dans un rêve éveillé, ce Masao qui, en fait, ne cessait de l’obséder. Elle aurait voulu lui parler davantage, voire faire une petite promenade à ses côtés... mais une jeune fille bien élevée doit s’interdire de faire des choses semblables, même dans le Japon du vingt-et-unième siècle.
Hélas, à présent, le jour avait déjà chassé la nuit depuis de nombreuses heures et Kurara avait beaucoup de choses à faire.
Elle s’extirpa de sa couche et se planta devant son grand miroir. Elle se contempla pendant de longues minutes, puis se mit à pousser un interminable soupir :
- La vie doit reprendre son cours normal, pauvre petite sotte !

Avec des gestes méticuleux, Kurara se défit de sa longue et superbe crinière de jais ; pour ce faire, elle du se débarrasser des nombreuses épingles qui arrimaient très solidement, sur toute la partie supérieure de sa tête, ce qui n’était en fait... qu’une perruque. Kurara enleva avec beaucoup de précaution sa petite robe mauve. Elle se saisit nonchalamment de quelques kleenex et entreprit de se démaquiller, au moins sommairement. Kurara rangea soigneusement dans une boîte en ivoire ses boucles d’oreilles, son collier, ses bracelets, ses bagues, tous ses bijoux dorés mais discrets. Elle fit glisser lentement le long de ses bras longilignes les fines bretelles de sa combinaison noire. Elle se mira encore une fois dans le grand miroir et gonfla un peu ses joues pour laisser échapper très lentement une longue rasade d’air tiède. Elle n’était plus vêtue que de son soutien-gorge, de sa petite culotte et de ses « stay-up » aux dessins discrets. Subitement, comme si elle voulait en finir avec quelque chose, Kurara s’agrippa à ses balconnets... pour en extraire deux prothèses en silicone toutes chaudes. Déjà, ses mains glissaient souplement de part et d’autre de son torse. Ses doigts particulièrement habiles n’eurent besoin que de quelques secondes pour faire un sort aux trois agrafes du délicat sous-vêtement. Telle une feuille morte un rien trop pesante, celui-ci s’écrasa aux pieds de Kurara qui, d’une voix méconnaissable, lança à son reflet :
- A bientôt, Kurara ! Re bonjour, Kimiko...

Car Kurara était redevenue l’être que sa mère avait mis au monde quelques vingt-cinq ans plus tôt : un garçon. Un garçon qui, depuis de nombreuses années déjà, aimait se métamorphoser totalement en fille. Un garçon qui avait quitté prématurément la maison familiale pour s’adonner à sa passion favorite : le travestissement. Un garçon qui passait de nombreuses soirées et de nombreux week-ends à devenir Kurara jusqu’au bout de ses ongles, qu’il vernissait souvent d’ailleurs. Mais un garçon fille qui n’avait jamais exercé son « art » qu’à l’intérieur des quatre murs de son appartement de la rue Haruna, en tout cas jusqu’à hier soir.

Que s’était-il passé ? Kimiko avait, depuis longtemps, réalisé de nombreuses photos de « Kurara ». Toute sa garde-robe féminine, toute la gamme de ses bijoux, ses sept perruques (toutes plus longues les unes que les autres), tout avait été emmagasiné sur pellicule. Et scanné depuis belle lurette. En effet, Kimiko était un internaute aguerri, mais surtout un chatteur infatigable. Depuis des années, il s’était fait des « copines » sur les canaux fréquentés presque exclusivement par ses consœurs. Des photos, il en avait reçues et envoyées des centaines. A l’autre bout de la ligne, les copines de « Kurara » avaient tenté de « la » convaincre depuis des lunes qu’ « elle » passait à merveille et qu’ « elle » se devait absolument de sortir de ses quatre murs. Toujours sous le nick de « Kurara », Kimiko s’était risqué sur des canaux nettement moins spécialisés. De nombreux garçons avaient voulu converser en privé avec la nouvelle venue. Et avaient très rapidement réclamé à Kurara des photos (en attendant mieux, sans doute). Kimiko s’était exécuté, la gorge toujours un peu nouée, se demandant à chaque fois si le garçon n’allait pas s’exclamer dans la ligne suivante du chat : « Ma parole, mais tu es un garçon ! ».

Mais non... Cela ne s’était jamais produit. Au contraire. A chaque fois, Kimiko-Kurara avait récolté des louanges pour sa beauté. On lui avait réclamé cent fois son numéro de Gsm, son adresse, un rendez-vous, une sortie. Chaque fois, le jeune homme avait trouvé un prétexte pour esquiver le problème et ne rien accorder du tout. Et, plus d’une fois, cela avait été plus que « tangent ».
Sortir ? Kimiko mourait évidemment d’envie de faire évoluer Kurara dans les rues de Kyoto.

Mais entre l’image statique d’une photo et la complexité dynamique d’un être en chair et en os côtoyant, sans créer la moindre équivoque, d’autres habitants de la grande cité – même de nuit – il y avait un fossé qui paraissait énorme au garçon fille et qu’il n’osait franchir.
Son grand miroir lui renvoyait l’image d’une jeune fille et uniquement d’une jeune fille, très attirante en plus. Et face à lui, « Kurara » avait déjà essayé maintes fois diverses évolutions de jeune fille. A chaque fois, le miroir semblait lui répondre :
- Impeccable, Kurara ! Tu es absolument « indétectable ». Qu’attends-tu pour aller prendre l’air ? Vas-y...

Et hier, tôt dans la soirée, Kimiko n’avait pu résister à la certitude que le tain semblait clamer. Il avait passé plus d’une heure à se maquiller, discrètement mais efficacement ; il avait même recommencé à trois reprises le pourtour de ses yeux avant d’en être pleinement satisfait. Heureusement, sa pilosité faciale était très faible comme celle de beaucoup de japonais et disparaissait très aisément dès la pose d’une fine couche de fond de teint. Ensuite, les choses s’accélérèrent ; c’est que Kimiko avait déjà effectué ces gestes tellement souvent ! Il se retrouva drapé dans sa petite robe mauve (sa préférée) en moins d’un quart d’heure. Avec ses talons hauts, ses bas auto fixant à petits dessins et ses bijoux dorés. Mais, avec sa chevelure coupée en brosse, il n’était toujours pas Kurara ! L’instant magique, l’instant-caméléon comme il l’appelait, approchait néanmoins. Kimiko brossa longuement la plus longue de ses perruques et la posa avec un soin particulièrement attentif. Un coup d’œil dans le miroir sembla lui hurler : « Un garçon ? Où ? Ici ? Mais non... Il n’y a que la belle Kurara dans cette pièce ».
Kurara n’avait pas « fait » ses ongles. Elle avait estimé que cela la transformait un peu trop en « fille facile », surtout pour une première expérience. Elle prit des dizaines de poses devant la glace ; elle esquissa toutes sortes de mouvements. Sous les fards, Kimiko soliloqua :
- Tu es fille à 100 % ! Qui pourrait affirmer le contraire ?
En fait, il n’en était pas totalement persuadé... mais, pour lui, le vin était déjà tiré ; il fallait le boire.

Le garçon fille glissa avec méthode quelques objets dans son sac et s’enveloppa dans son manteau lilas à poignets en fourrure (son favori, qui surpassait sa mini robe, mais de très peu). Déjà, elle s’engouffrait dans le petit couloir menant à la porte de rue. Kurara se félicita d’habiter au rez-de-chaussée ! Elle se précipitait quelque peu... de peur d’hésiter et de revenir se cloîtrer dans l’univers trop sécurisant de ses quatre murs. Elle murmura :
- Si tu fais demi-tour maintenant, Kurara, tu ne sortiras jamais. Jamais !

La jeune « femme » arpentait déjà le pavé de sa petite rue, déserte à cette heure-ci. La nuit était tout à fait tombée. L’air vif surprit quelque peu Kurara, mais, dans le même temps, la dopa littéralement. Elle prit d’un pas savamment étudié le chemin de l’avenue Motoki, les yeux baissés comme toute jeune Japonaise de bonne famille doit l’être. Elle ne songeait qu’à une seule chose :
- Ta démarche, Kurara, ta démarche ! N’oublie pas de poser à chaque pas la pointe de ton pied la première ! N’oublie pas d’onduler des hanches, mais sans exagération ! C’est bien, c’est bon, c’est même extraordinaire...

Blotti dans son divan, Kimiko, dans son immense kimono rose, revivait chaque seconde de cette première sortie et tout ce qui avait suivi. Mais, une image revenait inlassablement dans le kaléidoscope de ses souvenirs si frais : Masao, le garçon qui lui avait souri, qui s’était arrangé pour la croiser une seconde fois, qui – il n’en doutait point – était tombé amoureux de Kurara. Amoureux fou probablement ! Et son cerveau mit en place une élucubration presque surréaliste : Kurara devait revoir Masao, Kurara désirait revoir Masao, Kurara brûlait d’envie de percer d’une flèche encore plus acérée le cœur de Masao !

Mais l’élucubration éclata en mille morceaux au contact d’une falaise de porphyre. Comment retrouver Masao dans une ville de près de deux millions d’habitants ? Kurara ne connaissait que son nom, son prénom et l’avenue Motoki dans laquelle ils s’étaient croisés. Cela ressemblait fort à une mission impossible. Mais...
- Voyons, il semblait d’un certain niveau social. Donc il doit avoir le téléphone !

Kimiko bondit comme une tigresse hors du divan et fondit sur l’annuaire de la ville comme un rapace sur sa proie. Hélas, des Yuki, il y en avait plusieurs pages ! Des « Yuki, M. », on en trouvait un peu moins dans le bottin, mais trop encore à ses yeux. En laissant son index fiché à la bonne page, Kimiko referma plutôt violemment le gros livre blanc en disant à haute et intelligible voix :
- Impossible ? Pas japonais ça...


Responsable du site : Lucie Sobek


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