La voix de Mirkina, devenue maintenant impérative, nous fit descendre de notre nuage rose. Les sirènes d'alarme et les gyrophares nous ramenèrent à la triste réalité. Nous n'avions que peu de temps pour faire évacuer la base. "Madame, Monsieur, je vous tire ma révérence" lança Mirkina avec une courbette digne d'un grand théâtre. Il s'empara alors du tuyau de cuivre, soigneusement poli, qui chevauchait l'échelle et se laissa descendre dans les entrailles de la terre, tel un pompier descendant vers son camion.
"Allez, on fonce maintenant" me dit Sylvain en m'entraînant vers l'issue de secours, seul chemin de salut désormais accessible. La descente ne fut que de quelques secondes et, comme nous l'avait bien mentionnée Mirkina, nous débouchions dans la salle de contrôle de la piste d'atterrissage souterraines de la base. l'endroit était d'une réalisation technique telle que nous n'en aurions pu en imaginer une semblable dans n'importe quel livre de science fiction.
Imaginez, une grotte de plusieurs centaines de mètres le large, haute de près de 200 mètres et longue de plus de trois kilomètres... inimaginable. Effectivement, se trouvaient là plusieurs avions à hautes capacités, de type 747, ainsi que plusieurs chasseurs ou hélicoptères de tous les modèles. Déjà, quatre de ces avions attendaient le signal de départ, prêts à prendre leur envol à l'intérieur même de la grotte... Cependant, la lourde porte, donnant à flanc de montagne, ne s'ouvrait qu'avec une lenteur extrême. A travers les fenêtres de la salle de contrôle, on pouvait apercevoir le personnel de la base regagner leurs avions respectifs, tel que convenue dans le plan d'évacuation initial.
Ça et là, quelques rafales d'armes automatiques se faisaient entendre. Même que, à plusieurs reprises, un fanatique garde de la section Rouge en lança plusieurs dans notre direction, sans toutefois arriver à érafler la baie vitrée, épaisse de 60 centimètre. "Ne vous en faites pas, rien ne peut nous atteindre" nous avisa Mirkina, affecté à son ordinateur. Toute la base était, ne l'oublions pas, construite à partir d'alliages, nouvellement créés à partir directement de nouveaux atomes.
D'une main de maître, assisté par Sylvain et Josie, Mirkina mis en marche les systèmes de ventilation de la piste, alluma les feux-guides, et vérifia les données radar émises par nos satellites espions. Les avions pourraient décoller facilement, aucune circulation aérienne n'était permise dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres.
Au loin, nous pouvions apercevoir les militaires du Colonel 1 vérifier à ce que aucun document ne sorte de la base. Toute cette science devait disparaître avec la base. Passant vivement devant la grande fenêtre, plusieurs de nos amis (transsexuelles ou non) nous saluèrent de la main, avec un geste de baiser qui voulait sans contredit nous assurer de leurs meilleurs voeux de bonheur pour notre future vie à deux. De temps à autre, quand il le pouvait, Sylvain me jetais un coup d'oeil qui me démontrait qu'il rayonnait de bonheur. Inutile de vous dire qu'il en était de même pour moi. J'adorais cet homme.
Plus que deux heures avant la destruction. "Il ne vous reste que peu de temps pour vous assurer une retraite sécuritaire, les deux tourtereaux" ricana joyeusement Mirkina tout en donnant le feu vert au décollage des plus gros avions. La salle de contrôle étant parfaitement insonorisée, nous ne pouvions entendre le rugissement des gros réacteurs des 747, mais c'était tout un spectacle que de les voir s'élever du sol avant même de quitter la grotte. Lorsqu'ils franchissaient la porte, maintenant toute grand ouverte, ils se retrouvaient instantanément à plusieurs centaines de mètres d'altitude.
Entre-temps, les militaires du colonel 1 nous avaient avancé un petit hélicoptère, de type MK-90, nous faisant signe d'y prendre place. Bien sûr, autant Sylvain que moi pouvions aisément piloter ces engins et nous savions qu'ils possédaient une autonomie suffisant pour nous amener en lieu sûr.
"Allez Mirkina, amenez-vous" lança Sylvain tout en déverrouillant la lourde porte blindée qui séparait la salle de contrôle d'avec la piste d'atterrissage. Dès que la porte fut entrouverte, le Colonel 1 et quelques militaires entrèrent rapidement. Ils insérèrent une clé chacun dans un nouveau système de verrouillage que je n'avais pas remarqué encore. Six clés furent insérées et tournée dans un parfait synchronisme. Puis, d'un geste commun, lui et Mirkina sortirent une pièce de un dollar de leur poche et se lancèrent dans une partie de "pile ou face" manière bien commune de faire un choix. "Pile" énonçât Mirkina. "Alors Face" ne pu que conclure le Colonel.
Moi, Sylvain, et les quelques militaires présents ne pouvions comprendre à quoi pouvait bien rimer une telle partie de "pile ou face" dans une telle circonstance. Ou, au contraire, un affreux pressentiment me gagna. J'avais justement peur de bien comprendre ce qui était en train de se jouer là, devant moi, avec ce simple jeu. "Pile" annonçât Mirkina, je gagne. Déjà, les larmes venaient aux yeux du Colonel... j'avais bien comprise le stratagème.
Notre gouvernement n'avait pas été assez bête pour confier l'entière destruction de la base à une simple ordinateur. Au moment où le réacteur atomique aura atteint la masse critique, quelqu'un devra appuyer sur un quelconque bouton pour mettre le réacteur en mode de fission d'atome. Mirkina avait gagné... ou perdu... C'était lui qui avait été ainsi désigné, par une simple pièce de un dollar, pour rester à la base et appuyer sur le diabolique bouton. Sacrifice humain, probablement sauveur d'une humanité qui n'était pas encore prête à connaître la domestication de l'atome.
Nous nous apprêtions à protester, mais le Colonel nous devançâ avant même que nous puissions ouvrir la bouche pour prononcer quelque mots que ce soit. Au même moment, six F-18 passèrent en trombe devant la salle de contrôle, nous rappelant que nous devrions bientôt, nous aussi, évacuer. "Madame, messieurs, nous avions conclu Mirkina et moi un marché commun, il y a déjà plusieurs mois. Au moment de passer au geste final, l'un de nous devrait rester pour appuyer sur ce gros bouton rouge, là, en plein centre de la table de contrôle" énonçâ dramatiquement le Colonel. "La pièce de un dollar, portant l'emblème de notre fière nation, a décidée" conclut-il. Donnant une généreuse accolade à Mirkina, il se retourna et fit signe à ses hommes de le suivre. Silencieux, nous les regardions monter à bord de leur appareil et prendre l'envol. La base était maintenant parfaitement vide, ne restant que nous trois.
Nous devions maintenant, nous aussi dire adieu à notre ami Mirkina, lui qui, à notre arrivée, nous avait donné tant de soucis. Maintenant, il allait sacrifier sa vie pour sauver peut-être l'humanité qui ignorait tout de la domestication de l'atome. Sylvain me jeta un coup d'oeil attristé. Lui et moi savions qu'il n'y avait pas d'autre issue au destin. Soudain, d'un geste brusque, Mirkina nous donna une sérieuse ruade qui nous expulsa rapidement hors de la salle de contrôle. La porte se referma d'un claquement sec. Sa voix se fit entendre par le système de communication.
"Allez, les tourtereaux... je dois passer aux choses sérieuses maintenant" nous dit-il avec un large sourire, découvrant toutes ses dents énormes. "Filez, il ne vous reste qu'une heure et ce ne sera pas de trop pour vous éloigner assez de l'enfer". Sur ces paroles, il nous adressa un petit salut, tout militaire, et passa réellement aux choses sérieuses avec un énorme sourire de satisfaction. Il s'installa confortablement dans le fauteuil, tira un énorme cigare de sa poche et nous montra joyeusement une grosse bouteille de bière qu'il avait sorti nous ne savions d'où. "Pas de tendresse, les amis, je dois refermer la porte de la piste et elle demande trente minutes pour se clore hermétiquement. Filez, et pensez à moi de temps en temps." termina-t-il avec un clin d'oeil complice.
C'est avec la mort dans l'âme que nous nous installions aux commandes de l'hélicoptère. Le temps de réchauffer les moteurs, nous jetions un coup d'oeil à l'intérieur de la salle de contrôle. Mirkina était toujours installé dans son fauteuil, projetant d'épaisses volutes de fumée de son gros cigare. Nous n'avions réellement plus rien à faire à la base. Nous devions laisser à une mort certaine celui qui n'aura été notre ami qu'aux tous derniers moments de notre aventure. Courts moments, mais d'une grande amitié.
L'hélicoptère s'éleva immédiatement. Nous franchissions l'énorme portail qui avait déjà commencé à se fermer. Poussant les gaz à fond, nous ne demandions pas mieux que de laisser la plus grande distance entre nous et la base. Réellement, comme l'avait dit Mirkina, l'enfer n'était pas loin.
Cela faisait maintenant 45 minutes que nous avions quitté la base. Ni Sylvain, ni moi, n'avions pu prononcer quelque mot que ce soit. Les monts Fang-Chu-Mi n'étaient plus maintenant qu'un petit point perdu à l'horizon et nous volions à plus de 3,000 mètres d'altitude. Tout à coup, une aveuglante lueur verte nous enveloppa de tous côtés. Puis, une onde de choc se fit sentir. Du coup, nous perdions rapidement de l'altitude. Puis, quelques secondes s'écoulèrent avant d'entendre le bruit d'une explosion, bruit qui couvrait totalement le bruit des quatre puissants moteurs. La base de Phing-Di-Yan n'existait plus.
L'espace de quelques secondes, nous imaginions notre ami Mirkina, son énorme balafre, ses grosses mains et ses dents. Peut importe l'image grotesque que nous avions eu de lui à notre arrivée à la base, nous savions que nous en garderions un agréable et tendre souvenir.
Maintenant que nous avions réussi à stabiliser à nouveau notre appareil, Sylvain et moi échangions un tendre regard. Je venais de comprendre que, pour moi et Sylvain, la plus sérieuse mission de notre vie nous était désormais confiée, à défaut d'être la plus dangereuse... et encore. Élever les enfants, entretenir le foyer, préparer les repas, voir à l'éducation, faire les emplettes et autres tâches domestiques. Unis dans un même sourire complice, nous nous demandions s'il n'aurait pas mieux valu repartir à l'aventure, vers une autre dangereuse mission.
Mais, désormais, notre plus grande mission serait de vivre ensemble, pour le meilleur et pour le pire, et ceci jusqu'à ce que la mort nous sépare.
Exit, André Fortier.... Monique Laforge partait définitivement pour la grande aventure d'une nouvelle vie en tant que femme entière. Mais, dans le fond de nous même, n'était-ce pas là, la plus merveilleuse aventure?
FIN
Danielle