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HOMMEFLEUR, le site pour les hommes qui aiment les femmes, au point de vouloir leur ressembler !
Priscilla

Priscilla

(publié: 20-10-2004, 16:45 )

Mon histoire ressemble sans doute à la vôtre, et à combien d'autres qu'on m'a racontées. Mes premiers souvenirs de travestissement remontent à ma prime enfance. Je n'avais pas encore 6 ans, je crois. Escapades furtives dans la chambre à coucher de mes parents pour revêtir ces magnifiques camisoles de soie et les amples jupes de ma mère, et chausser ses escarpins trop grands. Puis m'empresser de tout replier pour ne pas me faire prendre. Ça s'est reproduit, comme ça, des dizaines de fois. Avec le linge de ma mère, avec celui de ma soeur. Vers 10 ou 11 ans, c'est en m'imaginant dans l'uniforme des filles de l'école voisine que j'ai connu mes premières excitations. Puis, en m'inventant des scénarios bizarres où je me retrouvais féminisé de force que j'ai eu mes premières éjaculations.


Pendant mon adolescence, je vivais ces épisodes avec beaucoup de honte et une certaine culpabilité, mais j'étais certain que cela n'était que passager. Une sorte de sexualité d'attente, faute d'avoir eu mes premières relations sexuelles avec des femmes (je n'étais pas du tout attirée sexuellement par les hommes à l'époque. Cela me rassurait).


Puis, il y a eu mon mariage à 20 ans. Nous avons eu 15 années, assez heureuses dans l'ensemble, mais pas très satisfaisantes sexuellement. Mon épouse était très conventionnelle en matière de sexualité, et assez réticente à explorer la moindre fantaisie. Et j'hésitais à lui révéler mes fantasmes de travestie. Ce qui fait qu'on a vécu ensemble, mais avec d'immenses zones d'ombre... Je ne pense pas que mon désir de me vêtir en femme et mes fantasmes aient été directement en cause dans l'incapacité de nous rejoindre et de nous donner satisfaction sexuelle. Mais c'est sûr que les silences que nous entretenions (elle comme moi, du reste) sur d'importants pans de notre univers n'ont pas aidé à développer une communication qui aurait été essentielle dans les moments plus difficiles.

Nous avons eu une période très difficile, lorsqu'elle a eu une relation avec un amant. Je n'étais pas jalouse, au contraire : elle m'aimait encore, et j'espérais que cette aventure puisse éveiller sa fantaisie sexuelle, et nous permettre d'aller plus loin dans nos rapports ultérieurs. Mais elle a développé au contraire un ressentiment face à moi. Puisque tout fonctionnait bien ailleurs, j'étais forcément le coupable. C'est cela qui m'a incité à mon tour à aller chercher ailleurs. À 30 ans, je suis tombé amoureux d'une autre femme, j'ai découvert les orgasmes multiples, l'extase, la passion. Pas trop tard. C'est là que j'ai (enfin!) jeté aux poubelles corset, bas de nylons, jupe autres chemisiers dont je n'aurais plus besoin.

La purge a duré une semaine. Ma relation amoureuse quelques mois. Ma vie de couple quelques années encore, sans drame, mais sans amour non plus. J'aurais aimé qu'on explore tout ce qui n'allait pas. Ma femme préférait oublier, laisser filer le temps... Nous nous sommes séparées en 1987, à l'amiable, oserais-je dire. J'avais 35 ans.

Pendant mes années de mariage, j'avais quand même commencé à « approvoiser » ce double en moi. D'abord parce que, à force de me sentir coupable et de me poser mille questions, j'avais fini par dénicher des livres et des magazines sur le travestisme et par comprendre que je n'étais pas seule. Et qu'on pouvait même vivre harmonieusement avec son double ! J'avais alors commencé à acheter quelques dessous, que je portais à l'occasion sous mes habits d'homme, question de dé-sexualiser un peu cette femme qui m'habitait, de me la rendre familière, naturelle. De me sentir « elle », tout simplement. Il m'arrivait aussi, les soirs où j'étais seule à la maison, de revêtir une robe de mon épouse, ses souliers à talons, de me maquiller légèrement, de me friser les cheveux et de m'asseoir pour lire ou regarder la télé. Il s'agissait la encore de dé-sexualiser mon double. D'apprendre à me détendre en étant femme.



Après mon divorce, Priscilla a vécu une courte période de libération. C'est à cette époque que j'ai commencé à me maquiller régulièrement. Aujourd'hui, même quand je suis « en homme », je me maquille toujours très légèrement les yeux, les sourcils, et porte un peu de fond de teint, toujours très discret, bien sûr. J'ai commencé à cette époque aussi à porter en permanence des sous-vêtements féminins, à dormir en robe de nuit, à passer de longues heures en talons aiguille, question de m'habituer à marcher de la sorte, etc... J'hésitais quand même quant au degré de transformation souhaitable et au point d'aboutissement de ma démarche. Il faut dire que, malgré mon désir de paraître Priscilla, je me sentais très bien dans ma peau et ma sexualité d'homme. J'avais un emploi où la transition aurait été impossible. J'avais deux enfants de 8 et 11 ans à qui j'hésitais à révéler cet autre côté de moi.

Puis, j'ai rencontré cette autre femme avec qui je vis aujourd'hui. Elle a découvert mon double assez tôt dans notre relation. Elle l'a acceptée... tout en me préférant en homme ! Résultat : je continue, depuis 10 ans maintenant, à vivre en homme avec cette femme et dans ma vie professionnelle, tout en accordant à Priscilla quelques soirées et de très très rares sorties. Mais j'aimerais rencontrer plus régulièrement d'autres «femmes» comme moi pour parler, échanger nos expériences et nos trucs de beauté, sortir en groupe, danser, nous laisser courtiser à l'occasion (pourquoi pas ? J'avoue que, quand je suis en femme, les hommes commencent à m'attirer de plus en plus. J'aime les séduire, ou du moins me faire croire que j'en suis capable !)



Il y a quelques années, quelques filles de Montréal avaient essayé d'organiser de telles rencontres amicales, au sein d'un groupe qu'elles avaient appelé «le Club MET» (pour métamorphose). Malheureusement, les activités manquaient de suivi, et tenaient plus de sessions de soutien psychologique que de rencontres amicales. Cela devenait souvent un peu lourd. J'ai quand même gardé pendant quelques années des relations occasionnelles avec quelques consoeurs de l'époque, mais faute de véritables intérêts partagés, ou parce que nous n'en étions pas au même point dans notre évolution, les liens se sont brisés peu à peu.

C'est ce qui m'a attirée avec le site TVQ. Vous avez l'air tellement simples et sympathiques. J'ai hâte de vous connaître autrement qu'à travers ces pages-écrans.



Pourquoi « Elle » ? Pourquoi moi, et pas les autres ?
Et comment « la » situer dans une analyse
sur les rapports de sexe ?

Pourquoi « Elle » ? Pourquoi moi, et pas les autres ?
Et comment « la » situer dans une analyse
sur les rapports de sexe ?

Une réflexion de Priscilla sur le travestisme
Partie 1

Nous avons tous cherché au fond de nous mêmes l'explication ultime, la clé de ce qu'il faut bien appeler, au sens technique du terme, notre «perversion». On ne peut pas être hanté quotidiennement par une telle bizarrerie, se trouver soi-même étrange, se remettre en question aussi profondément dans sa propre définition sociale à cause d'une pulsion que tous les modèles sociaux nous poussent à considérer comme ridicule, et y prendre plaisir tout de même, sans se poser ces questions: «Pourquoi moi et pas les autres? Que vient-elle faire chez moi? Quel pouvoir ai-je sur elle? Qui suis-je, vraiment?»

N'étant pas formé en psychologie, ni en sexologie, ni en sociologie des rapports de sexes, je n'ai pas de compétence particulière pour parler d'autre chose que de ma propre expérience. Pourquoi cette «confession», alors? C'est que pendant des années, j'ai cherché (comme beaucoup d'entre vous, sans doute) une explication, et je me désolais de n'en trouver aucune, dans la littérature savante comme dans la littérature érotique ou pornographique. Ce n'est qu'en prenant contact avec d'autres personnes qui partageaient ce penchant, à travers un magazine comme «Transvestia» d'abord, puis «Tapestry» ensuite, que j'ai appris me comprendre et à m'accepter. Beaucoup de lecteurs et de lectrices de «Transit» ont aussi franchi cette étape de l'acceptation; ce n'est pas d'abord pour vous que j'écris. Mais s'il s'y trouve aussi quelques personnes qui se cherchent encore, peut-être mon témoignage sera-t-il pertinent. Chaque histoire est unique, certes, et les explications valables pour l'un(e) d'entre nous, ne tiennent guère pour l'autre. Pourtant il y a tellement de points communs et d'expériences partagées dans notre sous culture, que je pense pouvoir tirer quelques généralisations utiles.

Une première généralisation: parmi nous, personne n'est capable d'expliquer pourquoi nous troquons périodiquement (ou de manière définitive, dans certains cas) notre rôle social de mâles, pourquoi nous aimons à ce point porter une robe, des talons hauts ou des dessous affriolants, pourquoi nous rêvons tous de le faire en public, un jour. Hélas, les thérapeutes ou autres conseillers en «genre» (gender therapist) ne le peuvent guère plus.

On a souvent évoqué l'environnement familial: enfants élevés dans un milieu exclusivement féminin, garçons que leurs parents auraient forcés à s'habiller en fille, familles disfonctionnelles à cause de l'alcoolisme ou de la violence conjugale. Ces situations peuvent engendrer des problèmes de développement de l'identité sexuelle. Mais combien d'enfants issus de tels milieux n'évoluent jamais vers la travestisme?

Et si l'on retrouve très souvent, dans le témoignage des travestis ou dans l'analyse des psychologues, la référence à une mère envahissante et un père absent, c'est là un pattern très fréquent dans nos sociétés. Ainsi, en fouillant rétrospectivement, on découvrira que ce modèle de la mère omniprésente et du père effacé prévaut dans la grande majorité de nos histoires familiales ...qu'on soit travestis ou pas.

Depuis que des études (celles de Money, notamment) ont démontré un lien entre les niveaux d'hormones mâles et femelles chez les enfants et la prévalance de comportements atypiques (garçons efféminés et filles «tom boy»), de plus en plus de chercheurs privilégient les explications bio-génétiques du travestisme. Les recherches récentes suggérant de fortes corrélations statistiques dans l'orientation homosexuelle de jumeaux véritables ont renforcé cette tendance. Mentionnons toutefois que la méthodologie de ces études ne permet guère de distinguer entre les facteurs génétiques et familiaux, et que même si on admettait que l'homosexualité soit innée, il serait tout de même étonnant que le désir de porter la jupe ou le slip de dentelle soit inscrit dans le patrimoine biologique de l'espèce!

Un pulsion originelle fortuite?

Est-ce possible que la pulsion psycho-sexuelle qui conduit un jeune homme se travestir tienne plutôt du hasard, encouragé ensuite par le «renforcement opérant» du plaisir obtenu? Que les prétendues causes (familiales ou hormonales) ne soient, le plus souvent, que des facteurs facilitants?

Pour illustrer cette hypothèse, je raconterai ma propre histoire, ayant lu assez de témoignages pour savoir que ce que mon passé ressemble à ce qu'ont vécu beaucoup de mes «consoeurs». Très jeune, j'avais 5 ou 6 ans je crois, je me rappelle avoir profité de l'absence de mes parents pour entrer dans leur chambre et revêtir une robe et des souliers de ma mère.

Était-ce déjà, comme le postulerait Freud, une pulsion sexuelle? Je n'en sais rien! Je crois plutôt qu'il y avait dans ce geste une certaine forme d'identification à la mère certes, mais plus encore une grande curiosité enfantine. La robe, les camisoles de soie, les talons hauts, tout cela fait partie d'une mystique féminine qui fascine les tout jeunes enfants. Quatre ou cinq ans, c'est l'âge où l'on voit les petites filles sortir un jour de la salle de bain, affreusement barbouillées de rouge, affirmer fièrement: «Je suis comme maman.» Beaucoup de petits garçons ont aussi envie d'essayer ça. On leur dit qu'il ne faut pas ou on les laisse faire et on en rit. Puis ça passe avec l'âge, quand ils commencent naturellement à s'identifier avec les modèles de genre que la société leur propose. En somme, là encore, la grande majorité des travestis vous diront qu'ils ont commencé à «jouer aux dames» dès leur prime enfance, mais je sais que beaucoup d'autres enfants vivent de tels épisodes aussitôt oubliés.

Pourtant, dès ces premières «explorations», la présence d'une mère envahissante, un environnement familial exclusivement féminin ou un foyer perturbé peuvent être des facteurs facilitants qui rendront ces épisodes plus fréquents, à cause de la suprématie du modèle féminin proposé à l'enfant ou à cause de son besoin de de réfugier dans le fantasme. D'autres facteurs peuvent aussi être invoqués. J'étais par exemple un enfant obèse. Bien que je ne me rappelle pas en avoir beaucoup souffert dans mon enfance, j'en étais assez conscient pour ne pas aimer ce corps dont les miroirs me renvoyaient l'image. Est-il possible alors que j'aie cherché de manière plus ou moins consciente à me représenter «autre», à travers cette comédie de l'imitation?

En tout cas, j'ai vécu avant mes dix ans deux ou trois épisodes où j'ai revêtu furtivement quelques dessous trouvés dans les tiroirs «secrets» de ma mère. Mais ce n'était toujours qu'aventure, un certain thrill, sans que ça ne remette en question ce que j'étais: un garçon heureux dans l'ensemble, dynamique et sociable, et plutôt fier de moi malgré quelques complexes face à mon poids.

La naissance d'un fantasme

À 11 ans, j'étais pensionnaire à Québec, avec des compagnons de classe plus âgés que moi de deux ou trois ans pour la plupart. Dans les cours de récréations, les conversations à orientation sexuelle, pas toujours très raffinées, étaient fréquentes. Les garçons qui venaient à peine de connaître leurs premières éjaculations nocturnes, parlaient volontiers de «bottes», de masturbation, de «filles bonnes à baiser» ...dont en fait ils n'auraient pas su que faire, en eussent ils eu l'occasion! J'étais assez informé de la physiologie sexuelle pour savoir ce que tout ça voulait dire, mais je n'avais jamais ressenti ce fameux «plaisir» qui fait basculer l'enfance dans l'adolescence.

Un jour, dans mes rêveries de salle d'étude, je me suis laissé entraîner en imagination vers un monde peuplé de femmes voluptueuses, en situation de pouvoir absolu sur des hommes soumis. C'est à ce moment précis que j'ai senti, pour la première fois, une étrange excitation entre mes jambes. Ça n'a duré que quelques secondes et aucun liquide n'a été produit; je n'ai pas su y reconnaître la masturbation dont on me parlait tant. Mais cette sensation m'a semblé si étrange que j'ai voulu la connaître encore. J'ai repris le fil de mon scénario. Je me suis mis en secret à dessiner des scènes... Et ce n'est que quelques jours plus tard, lorsque le premier cerne est apparu sur mon pantalon, que j'ai compris ce qui m'arrivait.

Une parenthèse s'impose ici: quiconque ferait une analyse politique des dessins et fantasmes qui ont accompagné mes premiers orgasmes constaterait qu'on y trouve, malgré un renversement apparent des rôles sociaux, tous les stéréotypes de la division sexuelle courante. Les hommes qui hantaient mes fantasmes avaient un statut d'esclave, et leur image s'est rapidement transformée pour adopter les attributs du genre féminin stéréotypé: corsets serrés, pyjamas transparents, talons hauts rendant leur démarche fragile, oreilles et mamelons percés, maquillage osé... C'est ainsi que le travestisme est devenu la composante majeure de mes premières masturbations.

On pourra ainsi me reprocher d'avoir associé toute cette symbolique de la féminité (vêtements, maquillage, etc.) avec le statut d'inférieur(e)s. Mais je n'en étais pas vraiment conscient. Je cédais tout simplement à ces pulsions si difficiles à contrôler à l'orée de l'adolescence, et mon subconscient à puisé dans l'imagerie stéréotypée, celle des posters et des magazines de sexe, pour donner forme à ces fantasmes. Il n'est pas étonnant qu'ils aient reflété l'environnement socio-sexuel dans lequel nous vivons tous. Fermons la parenthèse.

Au début, je ne me suis pas beaucoup inquiété de cette fantasmatique un peu bizarre. J'étais pensionnaire et de toute façon bien trop jeune pour connaître l'amour et prendre l'initiative de quelque rencontre sexuelle. Mon fantasme n'était qu'un palliatif, sans grand écho dans ma vie réelle. Et tout allait rentrer dans l'ordre à la première occasion, j'en étais sûr. Après tout, ne disait-on pas dans les livres que, les premières années, les adolescents ont une sexualité confuse où la masturbation prend une place démesurée, mais que tout ça se calme avec la maturité? Voilà ce qui allait m'arriver, à moi aussi.

Le «cercle vicieux» de la sexualité fétichiste

C'est ici qu'entre en jeu mon hypothèse du hasard et du renforcement. Dans la la sexualité mâle, les premières fixations, les premières images mentales qu'on associe au plaisir, vont souvent s'imprimer dans quelques boucles neurales, dans un phénomène analogue à ce que Lorentz appelait l'imprinting. Les sexologues me corrigeront peut-être, mais je crois que c'est là une différence (fréquente, sinon universelle) entre la sexualité de l'homme et de la femme. Parce que cette dernière est moins «prime», moins en surface, parce qu'elle s'éveille avec les attouchements et les caresses plus que par les simples images mentales, elle est moins vulnérable à ces accidents de parcours. Chez l'homme au contraire, un mauvais pairage initial peut devenir, par rétroaction positive, une fixation permanente.

Il importe peu, du reste, qu'il s'agisse d'une pulsion fondamentale que les psychologues auraient encore à expliquer ou plutôt d'un accident malencontreux, une erreur de parcours de l'imaginaire, plus ou moins favorisée par tous les facteurs psychologiques évoqués plus haut. La suite est la même dans les deux cas: l'excitation et le plaisir qu'engendre le fantasme l'enracinent dans la personnalité du travesti.

Voici comment ça s'est passé pour moi. Je pensais alors ne vivre qu'une sexualité en attente. Mais à chaque fois que je me donnais du plaisir, des images jaillissaient dans ma tête, où j'étais vêtue d'une jupe courte et de talons hauts, portant bijoux, perruque et dessous féminins. Combien de fois n'ai-je pas rêvé la nuit que j'étais une danseuse de Music-Hall presque nue sur une scène ou une prostituée en tenue provoquante en train de lever quelque client fortuné? À chaque fois l'éjaculation m'éveillait. Mais la jouissance obtenue bien involontairement venait ainsi renforcer ce pairage réflexe. 20 ou 30 ans plus tard, même avec une vie sexuelle épanouie dans des relations «normales» avec les femmes que j'ai aimées, ce sont parfois les mêmes images qui refont surface, au point culminant de l'orgasme.

Les travestis ne se reconnaîtront pas tous dans ce que je viens de raconter. Il y a parfois, dans leurs souvenirs d'enfance, des épisodes où ils se rappellent avoir osé jouer en public ce rôle de petites filles avec leurs soeurs ou leurs voisines, soit en leur empruntant des vêtements pour s'habiller comme elles, soit en préférant leurs activités à celles qu'on attribue d'ordinaire aux garçons. Ils jouaient à la poupée, à l'infirmière, et si peu à la guerre! Et même pour ceux qui ont vécu leur fantasme dans le secret, le travestissement a souvent joué un rôle beaucoup plus important que pour moi, dans la prime enfance, au point de se sentir très tôt malheureux de leur sexe mâle, ce pénis qui les «défigurait». Voilà pourquoi certains d'entre nous se perçoivent comme transexuels véritables, des filles psychologiques enfermées dans un corps étranger.

À l'autre bout du spectre, j'ai aussi rencontré des travestis qui n'ont connu ce fétichisme du vêtement et du rôle féminins qu'à leur adolescence. Et même plus tard parfois, comme chez certains homosexuels qui n'ont développé le goût du travestissement que sous la pression du milieu ou dans le contexte d'une relation de couple. Il ne semble pas y avoir de processus commun, en somme. Mais on pourra toujours y trouver une période où se construit par renforcement cette association entre la jouissance et le port du vêtement de l'autre sexe.

Une image de soi dévalorisée

Mon histoire personnelle a une particularité: l'association très hâtive entre le travestisme et la soumission. En fait, ce fantasme de la domination est très fréquent chez les travestis, mais il n'apparaît pas souvent comme déclencheur du phénomène comme ce fut le cas pour moi. Il en devient plutôt la conséquence. En effet, parce que les hommes font partie du groupe dominant dans notre société, le choix de se féminiser est perçu, au plus profond de l'inconscient, comme une abdication, une déchéance qui mérite un châtiment. Parce que les efféminés sont rejetés par leurs camarades, ceux qui font ce choix savent qu'ils s'exposent à l'approbe.

Que l'ordre des éléments fût inversé dans mon cas n'est pourtant qu'anecdotique. L'essentiel est dans cette seconde constatation générale que je me permets d'avancer: le travestisme se vit presque toujours dans la honte, au début du moins. Cela s'accompagne d'une dégradation de l'image de soi qui conduit souvent à la passivité, à la soumission.

Cette fantasmatique de la soumission chez la transsexuelle ou le travesti n'est pas universelle, heureusement! Sa prévalence s'explique peut-être simplement par l'identification au modèle mythique de la femme, comme être désirable et passive. Mais comment expliquer autrement que par un désir inconscient d'être puni, cette expérience que tous les travestis ont connu à leur adolescence ou plus tard, lorsqu'ils ont osé la première fois s'aventurer hors de leur chambre, jusqu'à marcher dans les rues parfois, dans l'horreur (et le désir paradoxal, en même temps) de rencontrer quelqu'un, d'être reconnus, d'être dénoncés! Expérience angoissante, qui défie en apparence toute rationalité, mais qui se vit dans une tension oh combien excitante! Les magazines destinés aux travestis sont remplis de tels récits de «premières excursions».

Voilà sans contredit les expériences les plus stressantes que j'ai connues dans ma vie. Quelle terreur je vivais, lorsque je marchais seul la nuit dans les corridors du pensionnat, les yeux et les lèvres maquillés au stylo, dans une jupe courte que je m'étais taillée dans une serviette de bain, avec une blouse rose achetée clandestinement aux rayons des filles! Et comme mon coeur s'est mis à battre en folie, les deux ou trois fois que j'ai entendu venir les pas d'un surveillant, que je me suis engouffré en retenant mon souffle dans une salle de toilettes, y attendant quelques minutes qui me paraissaient des heures, avant de me risquer à nouveau dans le corridor désert!

De la sexualité narcissique...

Certains travestis affirment que la composante sexuelle n'est pas très importante dans leur comportement trans-gendrique. C'est qu'avec le temps, elle le devient de moins en moins, en général. Avec les traitements hormonaux, certains travestis d'âge mûr sacrifieront même parfois toute libido, sans perdre ce besoin de se travestir.

Pourtant, chez le travesti hétérosexuel du moins (je ne peux pas parler pour les autres), c'est à peu près toujours une pulsion fortement sexualisée qui est à l'origine de ce comportement à l'adolescence. Une scène typique, dans le quotidien secret du jeune travesti: il se place devant son miroir, revêt des dessous féminins, des bas de nylon, une jupe... Il bande. Et la vue de ce pénis en érection l'excite. Au début, il n'arrive même pas à contrôler l'excitation. C'est l'éjaculation, toujours trop hâtive parce qu'elle annonce la honte, le mépris de soi. Car une fois l'orgasme passé, le travesti redevient un garçon conscient du ridicule de cette image que lui renvoie désormais le miroir. Le charme est rompu.

Pour expliquer cette pulsion déroutante, c'est du côté du mythe de Narcisse qu'il faudra chercher. Le jeune homme se prend pour objet sexuel. Mais au lieu de trouver excitation dans le regard de son propre corps, il se crée un objet fantasmatique, une femme imaginaire avec laquelle il apprend à découvrir l'excitation sexuelle. Dans une société qui ne favorise pas (avec raison peut-être, là n'est pas la question) une expression libre de la sexualité chez l'adolescent trop jeune, cet objet fantasmatique a l'avantage d'être facilement disponible. C'est, comme la masturbation, une activité d'éveil à caractère auto-érotique; mais le jeune travesti, celui qui n'est pas homosexuel du moins, peut se rassurer en se disant que ce qui l'attire, ce n'est pas son propre corps mâle mais les attributs féminins qu'il y superpose.

Pendant toute mon adolescence, je me rassurais en me disant que ce fantasme allait disparaître de lui-même dès que j'aurais la chance de partager mes nuits avec une vraie femme. J'étais fasciné par une image fictive, objectivement ridicule peut-être, mais mon érotisme était «normal» par ailleurs, puisque dirigé vers l'autre sexe. Or cette conviction que «tout est sous contrôle», qu'il suffira de le vouloir un jour pour que disparaisse le double, je l'ai retrouvée dans la quasi totalité des récits que les travestis font de leur jeunesse. Et c'est aussi pourquoi, lorsqu'ils se marient, les travestis vont presque toujours jeter aux vidanges leurs sous-vêtements et leurs robes de nuit, leurs bas de nylons et trousses de maquillage, croyant laisser définitivement derrière eux cette féminité d'emprunt, perçue alors comme une errance passagère. Je l'ai fait, moi aussi!

Le problème, c'est que le pairage établi très tôt entre l'excitation sexuelle et le fétichisme du vêtement féminin (ou plus généralement le mimétisme de l'attitude féminine) survit à ces guérisons illusoires, et même à une sexualité normale et pleinement satisfaisante. Tôt où tard, le désir de devenir femme, de se voir en femme, reprend le dessus. La tension devient de plus en plus obsédante au fil des jours, jusqu'à perturber notre capacité de nous concentrer. Le travesti se convainc alors qu'après tout, ça ne fait de mal à personne si ça se vit dans le secret. Que ce n'est qu'un élément d'érotisme comme un autre. Et qu'il ne s'agit de toute façon que d'un court moment à passer. Il suffit alors d'une occasion où il se retrouve seul à la maison pour qu'il emprunte discrètement quelques pièces de vêtement, assouvisse sa pulsion, et range tout au plus vite. Ni vu ni connu.

...à l'équilibre dans la dualité

On finit par s'habituer à ce double jeu occasionnel et par le dédramatiser, tant au point de vue de l'excitation sexuelle que de la détresse psychologique qui l'accompagne souvent. Au cours de cette phase de normalisation, l'excitation devient peu à peu moins primitive et cette domestication du comportement s'accompagne d'une certaine forme de désinvestissement sexuel.

Dans mon cas, cela s'est fait très progressivement, au fil d'une démarche où je cherchais à mieux me comprendre, à cerner cet aspect déroutant de ma personnalité. En effet, lorsque j'ai compris que ce «travers» ne passerait pas tout seul, j'ai entrepris une recherche, d'abord du côté des ouvrages savants, très rares et très mal documentés, puis du côté de la littérature commerciale offerte dans les sex-shops.

De qualité très inégale, cette littérature offre à la fois de simples «galeries de portraits» de travestis professionnels, des magazines de pornographie plus ou moins dure, des «récits de fantasme», mais aussi certains magazines à contenu éditorial plus consistant. Ce sont ces derniers que je cherchais surtout; ils me prouvaient que je n'étais pas seul dans mon cas, et ont servi ainsi comme outils efficaces d'acceptation de mon double. Grâce à ces magazines, je suis sorti de l'isolement bien avant d'avoir osé partager mon secret.

De plus en plus convaincu par ces lectures qu'il n'y avait en somme rien de coupable à vivre cette dualité, aussi bizarre fût elle, j'ai voulu «normaliser» cette vie secrète. J'y suis parvenu vers l'âge de 25 ans environ. Le scénario compulsif du mon travestisme adolescent (une montée rapide de l'excitation suivie de l'éjaculation et de la honte) a fait place à des épisodes où je pouvais passer de longues soirées complètement «en femme», sans même rechercher l'aboutissement éjaculatoire jusque là inévitable. Lorsque je bénéficiais d'une soirée seul à la maison, il m'arrivait donc d'emprunter le maquillage et les vêtements de mon épouse, à son insu bien sûr, et de passer ces quelques heures de solitude à lire ou écouter de la musique, détendu, en essayant d'oublier pour une brève période que je n'étais pas une femme. Puis, bien avant qu'elle ne revienne, je rangeais tout ça ...sans avoir eu besoin de l'orgasme.

J'avais dépassé la honte. Je pouvais désormais me sentir bien en robe et en talons hauts, maquillé, parfumé, me sentir «belle» même, sans cette tension érotique qui avait toujours accompagné mon fantasme. C'est du reste vers cette époque que j'ai cessé de trouver ridicule l'image que me renvoyait mon miroir.

Certes, comme homme, j'ai longtemps porté la barbe. Maquillé, en jupe et en blouse légère, je ne fais pas du tout femme. Mais pourquoi un homme ne pourrait-il pas être perçu comme beau, dans une superbe jupe de cuir, ou dans un «jump suit» soyeux? Et pourquoi n'aurait-il pas le droit de mettre ses yeux en valeur par un subtil jeu d'ombres? En d'autres termes, il y a quelque chose de culturel dans notre façon de juger de ce qui est ridicule et de ce qui ne l'est pas. Depuis que j'ai appris à accepter cette personne féminine qui m'habite, jusqu'à m'envahir complètement parfois, je me suis aussi mis à trouver beaux (ou belles, devrais-je plutôt écrire) les autres travesti(e)s, du moins celles qui savent se vêtir avec goût et se maquiller avec discrétion. Et quand je rencontre un homme qui ose souligner son regard d'un trait noir ou de reflets chatoyants, je suis très facilement envoûté par la beauté de ses yeux.

Alors que j'apprenais à dépouiller peu à peu mon fantasme de sa trop forte composante érotique et à accepter mon image de travesti, j'ai aussi commencé à porter, pour des des journées entières, des sous-vêtements féminins que «j'apprivoisais» de la sorte. J'essayais en somme de vivre mon fantasme au lieu de le subir simplement.

Aujourd'hui, il y a certes encore une importante composante érotique dans mon travestisme, mais elle est devenue secondaire. Narcisse, en train de s'admirer dans le miroir, a fait place à Janus, personnage au double visage, qui choisit simplement d'être l'autre, de manière occasionnelle. Plus tard, je découvrirai que, dans mes rapports érotiques avec les femmes, ces épisodes travestis ont un effet dynamisant. Ils contribuent à activer ma sensibilité, à me rendre plus facilement excitable. Mais c'est un rôle indirect que je ne comprends pas pleinement.

Ce que je sais, et c'est la troisième généralisation que je voudrais faire, c'est que chez la plupart des travestis, le comportement, d'origine sexuelle, devient bientôt une partie intégrante de leur personnalité, et dépasse le strict niveau de l'auto-érotisme pour devenir une partie intégrante de leur personnalité. C'est ce qui rend problématique la coexistence intime du travesti avec une conjointe qui ignore souvent cet aspect de la personnalité de l'homme qu'elle a épousé.

Le travesti et sa conjointe

Pour les travestis homosexuels, l'expression de leur marginalité est peut-être plus facile, car le milieu est, dans son ensemble, plus tolérant face à la «différence» (quoique pas toujours...) Pour les hétérosexuels, cela pose certes plus de problèmes encore, et rares sont ceux qui oseront dès leur jeunesse afficher leur «vice».

Résultat: le travestisme est un secret que les hommes ne partageront presque jamais avec la femme qu'ils choisiront comme conjointe. Les conséquences ne sont pas toujours dramatiques. J'ai entendu parler de travestis qui avaient vécu dans le secret toute leur vie, pour ne laisser place à leur double qu'après la mort de l'épouse, après 20, 30 ou 40 ans de vie commune.

Mais c'est bien sûr l'exception. Dans la majorité des cas, la normalisation qui s'opère progressivement entre les deux versants de la personnalité du travesti va aboutir à un désir de partager ce secret, ou alors une frustration de plus en plus grande de ne pas pouvoir en parler.

Je ne me sens pas très compétent pour parler de la réaction de l'épouse qui découvre le «secret» de son conjoint. C'est ma compagne qui devrait le faire. Mentionnons tout de même que cette réaction peut aller de l'incapacité d'accepter un comportement aussi irrationnel à l'acceptation totale de ce travers qui ne dérange personne. Cela peut même, dans les cas extrêmes, être perçu comme un point positif, une vulnérabilité qui rend l'homme plus attachant, et une ouverture vers un partage plus intime des émotions. Mais en général, le couple passe par une période très difficile. L'«autre», la femme imaginaire, est perçue comme une menace, une étrangère d'autant plus dangereuse qu'elle est immatérielle. Elle devient le signe que l'épouse n'est pas à la hauteur, incapable de satisfaire son mari, puisqu'il doit sans cesse retourner à sa sexualité fantasmatique.

Peu de gens parviennent à vivre confortablement avec une personne dont les motivations sont incompréhensibles. Le fantasme, passe encore! On peut accepter un fétichisme, perçu comme pigment à l'activité érotique. Mais quand le mari décide de se raser le corps et les jambes, quand il s'affiche avec faux cils et sourcils épilés, quand «elle» apparaît dans la chambre conjugale en robe et en talons hauts, il y a comme une limite que toute épouse a peine à franchir. Et quand «elle» s'achète des robes, des robes de nuit, des dessous, des souliers, des bijoux, des perruques ou des faux seins, toutes ces dépenses futiles que l'épouse légitime n'oserait même pas se permettre, alors l'irrationnel devient carrément insupportable. C'est comme de vivre avec un alcoolique; sauf qu'avec l'alcool, on peut comprendre qu'après un premier verre, le buveur ne soit plus en contrôle. Le travesti, au contraire, a l'air si sûr de lui-même lorsqu'il proclame son droit de vivre ce qu'il est que l'épouse se sent presque coupable d'être si «conventionnelle», de ne pas tolérer un comportement aussi anodin!

Une réflexion de Priscilla sur le travestisme
Partie 3

Mon ex-épouse n'a jamais su, à propos de mon travestisme; elle ne l'aurait pas accepté, j'en suis certain. S'il n'y a pourtant pas de lien direct entre ma double vie secrète et l'échec de mon mariage, j'ai quand même compris, avec le recul, que nos conventions de départ nous menaient tôt ou tard à un échec affectif. Or ces conventions n'étaient pas étrangères à mon fantasme inavouable.

Je m'explique. Quand nous avons commencé à nous fréquenter, elle et moi, il nous semblait très important de respecter notre indépendance mutuelle. Non pas sur le plan sexuel (nous étions tous deux du genre fidèle), mais sur le plan affectif et intellectuel. Elle se sentait vulnérable et craignait l'envahissement. Je me savais hanté par une double personnalité que je voulais tenir à l'écart de notre relation. Il y avait donc, non écrite mais profondément ressentie, une entente de respect du territoire de l'autre, une limite imprécise à notre désir d'intimité partagée. Pendant plusieurs années, cela ne nous a pas empêché de mettre beaucoup de choses en commun, de s'aimer beaucoup. Mais sexuellement, nous n'arrivions pas à nous rejoindre.

Je n'y accordais pas beaucoup d'importance, en fait. Cela peut paraître étrange, après tout ce que je viens d'écrire sur ma vie fantasmatique; mais celle-ci était de moins en moins sexualisée, comme je l'ai déjà mentionné. Quant à mes ébats amoureux avec mon épouse, je les considérais comme un beau moment de partage, de tendresse, de caresses mutuelles, mais l'orgasme n'était toujours qu'un bref moment à passer, décevant dans l'ensemble, parce qu'il marquait la fin de l'excitation. Était-ce là un vestige de mes cycles auto-érotiques d'autrefois? Peut-être!

Toujours est-il que dans cet espace de tendresse sans passion, d'amour presque fraternel qui nous unissait, des malentendus se sont accumulés; et quand il aurait été nécessaire de remettre nos rapports en question pour traverser ces difficultés et trouver satisfaction mutuelle dans la sexualité, il était trop tard. Trop de non-dit. Trop d'espace inviolable qui nous isolait l'une de l'autre.

La tentation homosexuelle

Peu avant mes 30 ans, après une année de naufrage sexuel avec mon épouse, alors qu'elle avait, par dépit, choisi de prendre un amant, j'ai sérieusement cru que ma sexualité bizarre me rendait incompétent avec les femmes. Comme bien des travestis, je me suis demandé si je n'étais pas, au fond, un homosexuel qui se refusait. Pendant quelques semaines, c'est devenu une obsession. N'avais-je pas souvent rêvé que j'étais, comme femme, en train de séduire un homme?

Pourtant, je ne considérais ces scènes que comme fantasme. Je n'avais jamais été sexuellement attiré par un homme réel croisé dans un bar ou dans la rue. Pas la moindre excitation. Pas le moindre désir. Mes rêves homosexuels pouvaient du reste s'expliquer autrement: puisque je me créais une «elle» mythique, il était normal que je la projette comme femme fatale, aux bras ou dans le lit de quelque bel homme irrésistible, sans que j'aie envie de vivre réellement la scène imaginée.

Mentionnons en passant que j'ai retrouvé, dans le témoignage de nombreux travestis «hétérosexuels», une véritable ambiguïté face à ce fantasme de l'amour avec un autre homme. Puisque le travestissement s'accompagne du désir d'être belle, de séduire, l'attraction qu'un homme peut ressentir envers nous est toujours gratifiante. Elle prouve notre réussite. Certains travestis se contentent de la séduction et se retirent avant l'acte, ce qui devient parfois un jeu dangereux. Mais d'autres choisissent de vivre la scène de séduction jusqu'au bout. Dans ce cas, ce n'est pas le corps du partenaire qui excite alors le travesti hétérosexuel, mais son propre corps, devenu objet du désir d'un autre. C'est Narcisse, poussé à son comble. Même dans le partage passionnel, c'est la contemplation de son propre corps et de son propre rôle «féminin» qui excite ces travestis bissexuels!

À la veille de mes trente ans, devant mon incapacité de satisfaire sexuellement mon épouse, j'ai donc voulu vérifier moi aussi où j'en étais, côté orientation sexuelle. J'aurais pu, bien sûr, commencer par tester dans les bars de rencontre ma performance avec d'autres femmes. Mais j'avais peur de l'échec, je crois. Et c'est tellement plus facile dans le milieu gai!

Je n'osais pourtant pas encore me montrer en femme à quelqu'un d'autre. J'ai répondu plutôt à une annonce où un jeune homosexuel recherchait un gars soumis, pour des jeux érotiques sans violence, précisait-il. C'était pour moi une façon de laisser à l'autre toute l'initiative. Cette expérience isolée m'a plutôt rassuré: si j'ai sans doute donné à mon partenaire le plaisir qu'il cherchait, je ne me suis pas senti très attiré par lui, et n'ai jamais eu l'envie de relancer un autre homme. En aurait-il été autrement si j'avais été habillé et maquillé en femme? Peut-être, mais je n'en suis pas convaincu.

Vers un partage du secret

Ce n'est que six mois plus tard, environ, que j'ai eu mes premières aventures hétérosexuelles extra-maritales. Quelle libération ce fut! Je me découvrais soudainement non seulement attiré, mais aussi compétent, et désirable je crois. Mais surtout, je découvrais enfin, à 30 ans, l'orgasme véritable. Pour la première fois, je jouissais d'une sexualité pleine et entière. C'est l'époque de ma seconde «purge»: j'ai jeté à la poubelle toutes mes revues et accessoires. J'étais guéri!

Quelques semaines plus tard, dans une boutique de lingerie érotique, je recommençais ma collection avec un corselet de lycra noir et des bas! C'est aussi ce même hiver que j'ai passé mes premières (et seules) vacances «en femme». Trois jours dans un chalet, à dormir en robe de nuit, à porter la jupe du matin jusqu'au soir à l'intérieur, et même sous mon manteau long lorsque j'osais sortir. La «guérison» n'aura été qu'une brève illusion et j'ai compris depuis que j'allais toujours vivre avec cette étrange dichotomie au coeur même de ce que je suis.

Lorsque j'ai finalement quitté mon épouse, quelques années plus tard, je savais que je ne voudrais entreprendre d'autre relation durable qu'avec une femme qui partagerait mon secret. Mais comment oser parler ouvertement de ce que je tenais si soigneusement caché depuis 25 ans! J'avais résolu de me donner du temps pour explorer cette femme en moi, pour l'apprivoiser, lui donner plus d'espace dans ma vie. Je ne savais pas jusqu'où je voudrais aller dans le travestisme et j'y avançais avec prudence. Tout juste ai-je laissé paraître quelques indices: j'ai commencé à me maquiller les yeux et à acheter des vêtements féminins que je ne faisais pas exprès pour cacher complètement.

Quand je suis remonté en amour, il n'a fallu que quelques mois pour que ma nouvelle compagne, à qui je n'avais pas encore eu le courage de parler, ne me surprenne en petites culottes, camisole et bas de nylon. Elle avait sonné à la porte, un soir où je ne l'attendais pas. Aux fenêtres, les toiles étaient baissées et je me suis précipité pour enlever à la hâte mes défroques compromettantes. Mais par une fente de lumière, elle a pu entrevoir ce qui se passait, de l'autre côté de la toile. J'étais mal à l'aise. Elle aussi bien sûr. Mais c'est elle qui a eu le courage d'aborder à nouveau la question, ce soir-là, après qu'on eut fait l'amour.

C'est sans doute la meilleure chose qui pouvait nous arriver. Non pas que nous ayons pu par la suite partager activement mon fantasme. Bien des travestis ont cette chance de pouvoir vivre «en femme» avec leur épouse. Mais ce n'est pas ça l'essentiel. Après tout, si je veux qu'on tolère mon univers fantasmatique, ma compagne est en droit de réclamer la pareille. Et c'est un homme qu'elle aime en moi. Si mon image féminine devait lui paraître ridicule, pourquoi devrais-je la lui imposer?

Non! L'important, ce n'est pas qu'elle participe, mais qu'elle connaisse ce double de moi, qu'elle l'accepte, qu'on puisse en parler librement. Et qu'elle l'aime, aussi, dans une certaine mesure. Et surtout que cette connaissance de l'autre femme en moi nous ait permis de lever tous les obstacles à une intimité partagée. Je pense que c'est là la condition à une vie à deux pleinement réussie. C'est la quatrième généralisation que je propose: un travesti ne peut pas s'ouvrir complètement à sa conjointe, développer une relation pleinement satisfaisante à long terme, si elle ne partage pas son secret, cette partie importante de ce qu'il est.

Vivre en femme, en public

Si ma compagne actuelle a su accepter ce double au féminin, cette vulnérabilité qu'elle me découvrait avec un certain plaisir même, il y a un aspect de mon travestisme qui l'inquiète: jusqu'à quel point cette étrangère en moi prendra-t-elle de plus en plus de place, jusqu'à chasser complètement, un jour, l'homme qu'elle aime?

J'ai souvent réfléchi à ce problème, avec un peu d'angoisse, je l'avoue. Surtout quand j'ai compris, au fil de mes recherches, que le travestisme est un déviance dont on ne guérit pas. Certes, il se peut que les individus qui ont connu des épisodes travestis dans leur jeunesse puis ont réglé seuls ce problème de comportement, n'en parlent tout simplement pas. Cela expliquerait leur absence dans la communauté des travestis et dans la littérature scientifique. Mais ce qui est sûr, c'est que toutes les thérapies proposées sur le tard semblent impuissantes à régler ce problème de cohérence entre sexe et genre.

Dès lors qu'on n'en guérit pas, il reste deux évolutions possibles. La première, c'est le refoulement. C'est le cas de nombreux travestis qui ne franchiront jamais la porte de leur chambre à coucher, sauf peut-être pour de rares excursions nocturnes, et chercheront toute leur vie à camoufler aux autres cet aspect dérangeant de leur psychologie. C'est peut-être la majorité des cas; comment savoir, puisque, par définition, ces « travestis du silence » refusent en général d'en parler? Mais une vie entière à refouler une partie de ce que nous sommes n'est pas la meilleure recette de l'épanouissement. Il reste alors l'autre solution: l'acceptation de soi, et l'affirmation de ce qu'on est.

Ce choix ne peut être que progressif puisque le travestisme se vit toujours dans la honte au début de l'adolescence. Sauf dans les milieux homosexuels où l'expression libre de soi est plus ouvertement tolérée et pour quelques artistes qui vont très tôt fréquenter les scènes de cabaret et rentabiliser en quelque sorte cet autre versant d'eux-mêmes, la majorité continuera de tenir secret ce double difficile à comprendre et à accepter.

Mais d'un épisode à l'autre, au fil des achats furtifs qui vont bientôt constituer une garde-robe complète, à mesure que s'acquiert la maîtrise des techniques de maquillage et l'art de l'illusion, le travesti se sent de plus en plus capable de sortir de son isolement, de se montrer tel qu'il se sent au plus intime de son être.

J'ose une autre généralisation ici: même lorsqu'ils le nient, tous les travestis rêvent du jour où ils pourront marcher courageusement dans la rue, en femme. Dans les meilleurs cas, ils peuvent rêver du jour où l'apparence sera si parfaite que des hommes se laisseront séduire. Mais le plus souvent, ils ne se font pas d'illusion: tout ce qu'ils demandent, c'est de pouvoir passer inaperçus, comme ces milliers d'autres femmes qui vivent au grand jour, sans craindre d'être dénoncées.

Ce rêve, on peut l'assouvir d'abord en secret, en portant par exemple des dessous féminins sous ses défroques d'homme, pour aller travailler. Mais tôt ou tard, on veut aller plus loin dans l'ouverture, en risquant de brèves excursions en femme, la nuit.

Combien de fois ai-je ainsi quitté ma demeure en jupe courte, bas de Nylon et talons hauts, l'été, pour de brèves promenades dans les ruelles, aux heures où tout le monde dort! Jamais très loin de chez moi, avec toujours une retraite possible, mais conscient malgré tout que la rencontre fatidique pourrait devenir inévitable.

L'hiver, c'est encore plus facile: sous un long manteau de suède, ma tenue féminine ne parait guère et seules les bottes aux genoux peuvent sembler étranges avec leurs talons un peu étroits. Mais qui regarde les talons des promeneurs rencontrés? Il m'est donc arrivé souvent de faire de longues promenades en solitaire, la nuit, et de croiser des gens qui n'ont jamais su que l'homme en face d'eux était vêtu en femme sous son manteau.

Mais c'est là, j'en conviens, un jeu périlleux. Ne serait-il pas plus sage, s'il faut s'aventurer en public, de le faire adéquatement? Raser ma barbe, me maquiller soigneusement le visage, porter une perruque, ajuster mes formes avec les accessoires qu'il faut et sortir en plein jour? C'est en tout cas beaucoup moins périlleux qu'en pleine nuit dans les endroits sombres, ce que toute femme sait fort bien!

Cette réflexion, je me la suis faite à plusieurs reprises. Et si je n'ai jamais eu le courage d'agir en conséquence, c'est plus par peur de moi-même que des autres. Certes, je n'aurai jamais des formes féminines enviables. Mais je sais que, sans barbe, maquillé et habillé sans outrance, je pourrais déambuler dans les rues sans trop attirer les regards, si j'y mettais quelques efforts. Dès lors, qu'est-ce qui m'empêcherait de donner à ma portion féminine cette place de plus en plus grande qu'elle réclame sans cesse? C'est un peu pour me défendre d'elle que je la maintiens aujourd'hui si étroitement surveillée.

De plus en plus «elle»

Cette lutte contre moi-même, ne suis-je pas condamné à la perdre? Tout espace additionnel que je consens à cette femme en moi, n'aura-t-elle pas tendance à l'occuper de manière irréversible? C'est en tout cas ce qu'ont vécu beaucoup de travestis lorsque, après un premier mariage vécu dans le secret, ils ont choisi de vivre seuls, ou ont trouvé une compagne complice. Ils ont alors pu laisser libre cours à leur personnalité féminine, quelques heures par semaines, ou par jour, et de plus en plus souvent en public, avec leur épouse, avec des amies. Mais «elle» veut alors être de plus en plus femme. Il faut enlever ces poils trop abondants qui nuisent à l'illusion. Il faut épiler ces sourcils en broussaille, laisser pousser les ongles pour donner aux mains une apparence plus effilée. Et puis il y a les soins de beauté, les crèmes qu'il faut utiliser tous les soirs pour conserver cette peau de jeune fille. Et surtout les seins! Il serait tellement plus agréable d'avoir de vrais seins, au lieu de ces prothèses de caoutchouc qui imitent si mal l'organe véritable.

Tous les travestis, bien sûr, ne vont pas jusqu'aux hormones. Le fardeau médical est lourd et la perte de libido inévitable. Mais bon nombre de travestis qui ont décidé de «sortir en public», en viennent à vivre en femme pour des périodes de plus en plus longues, jusqu'à le faire à temps plein. Alors ils y songent forcément, surtout avec l'âge, quand l'appétit sexuel s'étiole de toute façon.

Pour ma part, je n'ai pas encore eu assez envie d'avoir de vrais seins. Et encore moins de sacrifier ma libido. J'aime trop mon sexe mâle et l'épanouissement qu'il m'apporte pour accepter de les sacrifier à mon genre d'emprunt. Mais je constate qu'avec l'acceptation de ma personnalité féminine, mon travestisme, bien que toujours «en privé», a pris une place beaucoup plus grande dans ma vie (et dans ma garde-robe), depuis 5 ou 6 ans.

Ainsi, j'ai commencé à porter les talons aiguilles vers l'âge de 35 ans. Je le fais aujourd'hui avec une régularité suffisante pour ne pas perdre l'habitude, pour m'y sentir à l'aise, comme ces jeunes femmes qui peuvent affronter le monde avec élégance sur ces talons de 4 ou 5 pouces. Quand je travaille seul à mon ordinateur, j'en profite souvent pour revêtir quelque tenue plus confortable à mes yeux: jupe et blouse ample, robe légère ou peignoir. J'achète toutes mes culottes dans les comptoirs de lingerie féminine. Je porte souvent des bas de Nylon, des porte-jarretelles ou d'autres dessous féminins sous mes vêtements d'homme. Et quand je dors seul, ce qui est plutôt rare j'en conviens, je le fais presque toujours en tenue de nuit féminine.

Rien de plus normal que cette apparente progression. Une partie de moi était jusqu'ici refoulée. J'ai choisi de la laisser vivre, de lui donner plus d'espace. Nous avons donc établi un nouvel équilibre qui semble pour l'instant plutôt stable. Mais dans 5 ans, dans 10 ans, Priscilla ne voudra-t-elle pas avoir droit, elle aussi, au grand air ?

Le travestisme, comme qualité humaine

Cette perspective inquiète certes ma compagne actuelle. Est-il possible, par contre, que cette «présence» qui remet en question l'essence même de l'homme qu'elle aime comporte par ailleurs certains avantages?

Beaucoup de travestis le soutiennent. Selon leur hypothèse, tous les humains partageraient, à l'origine, les traits de caractères des deux genres, et c'est le moule de la société qui nous enfermerait progressivement dans une personnalité féminine ou masculine. Une personnalité restreinte. Les travestis seraient les seules personnes à rouvrir ce carcan, à intégrer les deux faces de l'âme humaine.

Cette vision est trop idyllique. Rappelons d'abord que, pour la majorité des travestis, les deux personnalités se vivent en opposition, et non en intégration. Lorsqu'ils sont «en femme», ils adhèrent à outrance aux stéréotypes du genre: ils sont émotifs, vulnérables, serviables mais frivoles. Dès qu'ils redeviennent homme, ils reprennent souvent leur personnalité secrète, renfermée, froide, «macho» même. Loin d'être des androgynes, les travestis sont bien plus souvent des schizophrènes, déchirés entre deux caricatures de l'homme et de la femme qui se disputent la place, en eux. On pourra lire là dessus l'excellente enquête d'Annie Woodhouse auprès de travestis d'Angleterre, publiée sous le titre «Fantastic Women ».

Mais il y a aussi, dans la communauté des travestis, d'authentiques androgynes. Et même chez ceux qui n'en sont pas, on peut supposer que l'acceptation progressive de son double, le partage de vie dans l'harmonie et non plus dans le déchirement, pourrait conduire peu à peu à cette idéale intégration des deux genres et à un épanouissement de la personne dans sa totalité. Est-il possible, comme l'affirment certains militants du «trans-gendrisme», que le travestisme devienne alors, pour l'homme, une façon de connaître l'envers des stéréotypes, d'explorer l'autre versant du clivage social, de mieux comprendre les femmes et la féminité? Est-il possible que les travestis qui s'acceptent deviennent ainsi, à cause de cette double conscience, de meilleurs amants, de meilleurs maris?

Cela peut être vrai dans certains cas, mais pas nécessairement pour des raisons aussi simplistes que ce prétendu partage de la féminité. Ne nous faisons pas d'illusion. Sauf pour les transsexuels qui deviennent pleinement femmes et doivent porter tout le poids de la condition féminine, la plupart des travestis, même les androgynes, ne font que «jouer» aux dames. Ils revendiquent certes leur droit d'exprimer une part importante de leur personnalité, mais ils n'adoptent toujours qu'une parcelle de la réalité féminine. On n'est pas femme parce qu'on porte la robe et les cotillons et qu'on parle de soi au féminin, mais parce qu'on a été éduquée en femme, avec tout ce que cela comporte de conditionnement culturel et d'oppression, dans une société où les pouvoirs demeurent en général dans les mains des hommes.

Or les travestis adoptent, en même temps que le vêtement et l'apparence, les comportements stéréotypés que les femmes conscientisées dénoncent justement. Analysé objectivement, leur discours est même anti-féministe: en réclamant le droit de jouir de la liberté de vêtement, d'apparence et de comportement, Ils affirment que cette liberté est refusée aux hommes parce que la société est oppressive pour eux; que les femmes jouissent au contraire d'un droit d'expression beaucoup plus large. Bref, dans le discours politique des travestis, c'est souvent l'oppression de l'homme qui est dénoncée, et en ce sens, on pourrait y voir une autre manière, pour l'homme, d'affirmer son pouvoir.

Si le travesti est souvent, malgré tout, une meilleure personne, c'est pour d'autres raisons que ce prétendu partage des deux genres. C'est parce qu'il a dû vivre avec un blessure intérieure, une frange d’irrationnel au fond de lui-même, et que cette étrangeté assumée peut devenir un ferment de tolérance. Je considère en tout cas pour ma part que mon travestisme m'a conduit à éviter souvent les jugements hâtifs sur les personnes, à remettre en question beaucoup d'idées reçues, de stéréotypes sociaux, en matière de division sexuelle mais aussi dans bien d'autres domaines. Et c'est cette grande tolérance qui me semble être, à ce jour, le plus beau «cadeau» que m'ait apporté Priscilla.

Cela vaut bien que je lui achète quelques dentelles, non?

Première vraie sortie

J'ai déjà, de nombreuses fois, osé m'aventurer dans la rue en jupe ou en pantalons amples et souliers à talons, maquillée et parée, mais il s'agissait toujours de marches solitaires, tard la nuit. Je me donne souvent dans ces occasions des "défis", comme d'aller porter du courrier à la boîte aux lettres ou d'aller au guichet bancaire, une aventure plus risquée parce que c'est plus loin, plus éclairé, et qu'une fois à l'intérieur du cubicule, on ne peut guère s'achapper si quelqu'un d'autre surgit... Il faut finir ses transactions et partir en douce, l'air de rien, sans pouvoir esquiver les regards. Je n'ai pas eu de mauvaises expériences. J'ai croisé des gens, à quelques reprises, sans qu'ils ne semblent me remarquer. Une seule fois, quelqu'un m'a suivi et adressé la parole. Je n'ai pas répondu, et il n'a pas insisté. Quitte pour ma peur!

Plus souvent, je me suis rendue de chez moi jusqu'à mon auto et ai fait de courtes randonnées dans la ville, en femme. Sans grand mérite, du reste, parce qu'assise dans son auto, même une femme à deux têtes ne se ferait guère remarquer.

Puis il y a eu les soirées d'Halloween. Une fois, nous nous sommes promenées, ma copine et moi, deux femmes libres dans le village gai. Mais j'étais masquée d'un loup. L'autre fois, je suis allée seule danser à l'Entre-Peau, en femme à barbe ce soir là (mon alter ego portait la barbe, à l'époque). J'avais eu beaucoup de plaisir à danser avec des gens que je ne connais pas, sans que cela ne les choque. Merveilleux Hallowween!

Mais hier, je me suis décidée à sortir, sans autre prétexte que d'aller dans un bar (le Café Cléopatra, quand même... j'aurais pas osé le Ritz, pour la première sortie!) Je ne donnerai pas tous les détails, mais tu imagines la tension qui se crée quand, pour la première fois, j'ai du remonter quelques centaines de mètres de la rue St-Laurent, plutôt peuplée à cette heure (un peu avant 23 heures). Moi qui pensais que ça serait moins achalandé le lundi!

À l'intérieur du bar, oui, c'était plutôt tranquille. J'ai pris la première demi-heure pour relaxer, puis je suis allée danser avec Daniella, une (fort belle) habituée de la place qui m'a invitée à me joindre à elle. Elle m'a présentée ensuite à une de ses amies, avec qui j'ai parlé jusqu'au début du spectacle. Rien de transcendant comme première vraie sortie, comme tu peux le constater. Mais c'est quand même émouvant de savoir qu'on peut le faire. Juste de briser une barrière. Je ne suis pas restée très tard : je travaillais le lendemain. Mais à la sortie, vers minuit 45, j'ai pris tout mon temps pour retourner à l'auto.

Et dans le quartier où j'habite, je n'ai trouvé de stationnement qu'à une rue de chez moi. Au lieu de passer par la ruelle sombre, j'ai choisi de franchir les 500 mètres qui me séparaient de ma porte en marchant sur Mont-Royal, en pleine lumière et en passant devant deux bars encore animés. Mais je savais qu'à défaut d'être crédible, vue de près, je pouvais passer inapercue, à condition de demeurer furtive! En tournant le coin, à 30 mètres de chez moi, un automobiliste s'est arrêté et m'a demandé, en anglais, si je voulais lui tenir compagnie. J'ai fait la sourde. Avait-il "lu" mon identité. Il n'a rien laissé voir, en tout cas, en insistant avec son "Why don't you want to talk with me?" Puis il est parti.

Pour cette sortie, j'avais emprunté la perruque (cheap) d'une autre consoeur. Assez efficace pour ne pas qu'on me reconnaisse, mais définitivement pas très naturelle. Alors c'est décidé : demain, je m'achète une perruque mieux adaptée à ma tête, plus "bon chic bon genre".


À visage découvert

Je suis sortie vendredi soir dernier avec un(e) ami(e). Au programme : petite bouffe à un restaurant de la rue Sainte Catherine, puis folle nuit au Café Cléopâtre.

Je ne me faisais pas d'illusions au départ. Quiconque me regarde avec un peu d'attention sais sans doute immédiatement que je suis un travesti, surtout dans un endroit comme le Cléopatre, où on s'attend à ça.

Cela étant dit, je devais passer par un guichet automatique, en début de soirée. Nous avons stationné devant la caisse populaire de la rue Rachel. Ça avait l'air tranquille. Il fallait que je traverse la rue en croisant quelques jeunes qui faisaient le pied-de-grue à l'arrêt d'autobus, mais dans l'éclairage du soir, ils ne m'ont pas remarquée. Au guichet, par contre, j'ai découvert en entrant qu'il y avait un gars à un des guichets. Et là, c'était plein éclairage. Et je portais un haut fortement décolleté qui devait bien révéler un peu trop de la supercherie, sous les néons. J'ai foncé. Il a semblé ne pas me remarquer. Je me suis quand même placée légèrement de biais, de façon qu'il ne puisse voir ni mon visage, ni la raie artificiellement ombragée entre mes faux seins. Puis deux filles sont entrées et ont occupé le guichet du milieu, en discutant à voix haute, sans qu'une modulation de ton ou de débit ne révèle le moindre étonnement. Puis un homme est entré et s'est mis en attente derrière.

Décidément, il y avait foule! Le premier client est sorti et je l'ai suivi de peu. L'homme en attente est venu prendre ma place au guichet sans jeter de second regard en ma direction. Quand je suis arrivée à la porte, je me suis retrouvée face à face avec un cinquième client qui s'est légèrement esquivé pour me laisser passer, sans laisser paraître quoique ce soit, lui non plus. Je me suis dit que je suis sans doute rendu à cet âge où l'on dit que les femmes deviennent invisibles! Mais tout cela ne m'a pas étonnée, en fin de compte. Les gens occupés ne dévisagent pas ceux et celles qu'ils croisent, sauf s'il s'agit de très très belles filles... Ce que je ne suis pas, hélas ! [:-(]

Au restaurant Le Crystal, juste en face de l'Entre-Peaux, les travestis font partie du décor. Alors le serveur s'est naturellement adressé à nous au féminin : «Êtes vous prêtes ?» Bien sûr, qu'il n'était pas dupe, mais ça fait plaisir quand même.

Rue Saint-Laurent, entre le stationnement et le Cléo, personne, absolument personne ne fait de cas des passants et des passantes. J'aurais été une martienne mauve aux yeux de mouche... alors là, peut-être qu'ils auraient tourné le regard. Mais une travestie? Bof!

Chez Cléo, j'ai dansé presque sans interruption de 22 heures jusqu'à 2 h 15, sauf pour les deux demi-heures de spectacle, et un autre 15 minutes où je suis allée me rafraichir dehors. J'aime beaucoup cet endroit. Le week-ens surtout, parce que, sur semaine, on n'y trouve presque uniquement des travesties et transexuelles et quelques hommes attirés par le troisième sexe, et pas toujours très subtils. À ma visite précédente, l'un d'entre eux m'avait assez fortement sollicitée, en vantant mes belles jambes, me complimentant pour mes bas et mes souliers, me trouvant belle, m'avouant son excitation... puis m'offrant de me sucer, de m'entrer son pénis entre mes fesses, et autres propositions aussi directes. Pas très romantique, le mec. J'avais eu beau lui dire que cela ne m'intéressait pas, il ne m'a pas lachée d'un talon, me suivant en fin de compte jusqu'à ma voiture.

Vendredi, par contre, la foule était beaucoup plus dense, et beaucoup moins louche. Beaucoup de TV et de TS, encore (et quelles belles femmes!) mais au moins autant de femmes génétiques, et les gars qui dansaient avec les unes et les autres. Un climat de fraternisation simple et de tolérance. Je suis comme je veux être ou paraître. Sois comme tu veux. Et dansons!

J'imagine que, après cette soirée, je pouvais dire que je «passe». Mais j'au voulu en avoir le coeur net. Dimanche soir, j'ai récidivé, habillée plus sobrement, cette fois. Une jupe très courte, soit, mais une blouse blanche assez neutre, et pas très décolletée et une veste par dessus le tout. Je suis allée dans cette tenue arpenter le boulevard Mont-Royal, un dimanche soir donc. J'y ai rencontré entre 50 et 100 personnes, dont je n'ai fait aucun effort pour éviter le regard. Je suis passée devant une trerrasse, ai pris le temps de regarder les gens, comme si j'y cherchais quelqu'un. J'ai fait un peu de «window shopping». Je suis retournée dans un guichet de caisse, au moment où un homme n'arrivait pas à actionner le mécanisme de lecture de sa carte. J'ai tendu la mienne, la porte s'est ouverte, il m'a gentiment remerciée en me laissant passer. Je suis allée à un des guichets, lui à l'autre, sans la moindre expression d'étonnement dans son regard.

Alors voilà! C'est fait. La ligne est franchie. Je m'étais promenée dehors bien souvent, mais toujours dans le noir, en évitant autant que possible les passants. Ou l'hiver, quand je pouvais cacher mon corps dans un manteau, et une partie de mon visage dans une écharpe. Ou à l'halloween, quand tout est permis. Ou plus récemment au Cléo, avec sa grande marge de tolérance. Maintenant, je sais que je peux sortir à visage découvert, le soir du moins (et maquillée, tout de même... n'exagérons pas!)

Ce que j'aimerais, maintenant, c'est de pouvoir, à l'occasion, sortir de la sorte avec des copines de TVQ ou d'ailleurs, pas uniquement pour se terrer jusqu'aux petites heures chez Cléo, mais pour magasiner, aller au cinéma, au resto, dans des cafés. Me sentir libre de mes mouvements en quelque sorte. Je crois que j'y arriverais sans peine.

Voilà où j'en suis. Merci d'accueillir ainsi mes confidences.

Je vous embrasse,
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Priscilla


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