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« », une petite histoire imaginée par marietherese2

1 Chateau T jeanne jeanne.claude@femme.net 14-10-2004, 6:55 "MADELEINE" partie 8 de 12

"Chateau T"

Après l'enterrement de Quentin, j'ai mis quelques affaires en ordre. Je suis passée entre autres à ma banque. Contre toute attente, les titres "BELCUISININOX" baissaient. J'en avais parlé avec Geneviève. Elle n'était pas inquiète. J'en ai racheté encore quelques centaines.

J'avais besoin de m'éloigner quelque peu. Alcina était libre. Nous sommes parties toutes les deux en Andalousie, avec la Jaguar. Nous sommes parties à l'aventure, munies chacune d'une bonne carte de crédit. Nous avons commencé par nous reposer quelque peu sur la côte, du côté de Malaga. Ensuite nous avons visité cette région contrastée et chaleureuse, au climat agréable. Il y avait des villes en bord de mer, mais aussi de petits villages de montagne. Il y avait aussi la Sierra Nevada, chaîne de montagnes couverte de neige toute l'année. Nous y avons passé quelques semaines. Alcina m'a initiée aux joies des sports d'hiver en plein été. Il y avait aussi les trois grandes villes : Cordoue, Séville et Grenade, chargées d'un patrimoine culturel de grande valeur. Il y avait également dans ces villes beaucoup de magasins très intéressants. Nous en avons largement profités. Nous y avons acheté quelques tenues d'allure plus jeune et plus adaptée au climat que celles que nous portions en partant. Alcina était une compagne de vacances très agréable. Elle était douce et prévenante, toujours de bonne humeur, s'amusant d'un rien. C'était très agréable de pouvoir parler avec elle de tout et de rien, sans retenue. Nous avons envoyé quelques cartes postales à nos amies, sans oublier Madeleine.

Nous avons apprécié les hôtels andalous. Alcina, à plusieurs reprises en a contacté le directeur et a demandé à visiter les cuisines. Elle le demandait de façon si charmante que le directeur, flatté, s'empressait de satisfaire son désir. Nous avons ainsi vu de près quelques cuisines "BELCUISININOX" et pu parler avec le personnel qui les employait et surtout les entretenait. Voyant que ce n'était pas un caprice, pris au jeu, le personnel parlait avec nous en toute franchise. Nous examinions ensemble les points faibles, difficiles à nettoyer. Nous trouvions dommage que les rainures destinées à récupérer les condensats de graisse ne soient pas plus larges, et que les arrêtes de coin de hotte ne soient pas plus arrondis.

Nous sommes rentrées chez nous juste à temps pour aller prendre le thé chez madame la comtesse d'Archambauld. Celle-ci allait bien. , mais ce n'était pas le cas du colonel. Il traînait la jambe et avait un peu de mal à respirer. Il ne but pas de whisky mais prit du thé cette fois-ci. Madeleine et Nathalie étaient venues elles aussi. Louise avait beaucoup d'allure dans son bel uniforme. Geneviève nous en dit beaucoup de bien. Elle avait toutes les qualités requises pour faire une excellente femme de chambre. Elle devrait encore apprendre à surmonter sa nervosité naturelle et à éviter ses crises de fou rire.
La maladie du colonel fut de courte durée. Il est mort sans souffrance, dans son sommeil, trois jours plus tard. Nous ne lui connaissions pas de famille proche. Nous avons donc organisé son enterrement. Nous avions prévu une cérémonie discrète et chaleureuse, propice au recueillement.

Son notaire nous a convoquées peu après. Il nous a lu le testament du colonel. Celui-ci laissait quelques souvenirs militaires à d'anciens compagnons d'arme. Il léguait à Daniel des bijoux anciens et à Louise une magnifique paire de boucles d'oreille. Il avait réparti son patrimoine immobilier entre nous cinq. La comtesse recevait son bel appartement donnant sur le parc. Madame la vicomtesse Sidonie de Vrakliere, Françoise et Alcina recevaient trois autres appartements donnant sur ce même parc ou sur le joli quartier de "La Petite France". Il me laissait un bien étrange legs : le château T. Le notaire me remit les clefs ainsi qu'une chemise remplie de papiers. Il me précisa que le bien était actuellement inoccupé.

La chemise contenait différents papiers intéressants. L'un d'eux était un petit essai concernant l'histoire du château. C'était un travail de fin d'études réalisé par un étudiant en histoire. Il mentionnait les différentes familles propriétaires du château et citait les personnages célèbres qui y avaient séjournés. Je notai au passage le nom de Ronsard. Il précisait que le château, ainsi que d'autres dans la région, avait servi d'hôpital pendant la guerre de 1914-18. Le colonel avait noté à la main, dans la marge :"A compléter !" Je me souvins alors des deux clefs que le colonel m'avait offertes et de son étrange promesse. J'avais soigneusement rangé ces clefs dans mon bureau.
Je proposai à Alcina d'aller voir le château. Elle fut d'accord. Sa curiosité était piquée.

Le château était en fait une grosse gentilhommière. Il y avait un corps de logis avec une tourelle centrale. Deux ailes contenant des écuries et des locaux agricoles flanquaient le corps principal. J'ai parqué la Jaguar au milieu de la cour d'honneur. Il n'y avait en effet personne à voir. Tout était calme. Grâce à la grosse clef, fournie par le notaire, j'ai pu ouvrir la porte principale, en haut du petit escalier d'honneur. Tout était tranquille et bien rangé. Nous avons ouvert quelques fenêtres. Tout semblait en bon état. A en juger par la couche de poussière, il y avait déjà un certain temps que plus personne n'était passé par ici. Nous avons visité les différentes pièces d'habitation du château. Toutes les portes intérieures étaient ouvertes, probablement pour laisser circuler l'air. Au premier étage, dans la tourelle, nous avons trouvé une porte fermée. Elle était d'ailleurs fermée à clef. J'eus l'intuition que c'était là que j'allais trouver les choses étranges dont le colonel m'avait parlé. J'en dis un mot à Alcina qui hocha la tête. Un examen attentif de la porte révéla une ancienne inscription peinte à la main : "BUREAU DU MEDECIN". Je sortis les clefs du colonel. La plus grande fit fonctionner la serrure de la porte. J'ouvris celle-ci. C'était une grande pièce bien éclairée par trois fenêtres. Il y avait peu de meubles dans la pièce. Deux chaises, un bureau en bois et une armoire métallique constituaient l'ameublement. Le tout était ancien et de style militaire. La deuxième clef ouvrit l'armoire. Elle était presque vide. Une seule pile de dossiers et de chemises se trouvait sur la seule planche occupée. Je la sortis et la plaçai sur le bureau. Je m'assis ainsi qu'Alcina et nous commençâmes notre lecture.

Il y avait beaucoup de papiers militaires, des rapports, des notes, des dossiers individuels. Ils étaient datés des années 1915 à 18. Ils concernaient tous de près ou de loin la médecine militaire. Un seul dossier était récent. Il contenait des notes manuscrites écrites par le colonel lui-même. Sur le dossier il avait écrit de sa belle écriture : "A mes amies". Il y détaillait ses souvenirs marquants de la première guerre mondiale.

Voici ces notes :

Mes chères amies, j'espère qu'après ma mort ces notes arriveront entre vos mains. Je les ai écrites à votre intention. J'ai beaucoup apprécié votre charmante compagnie, ceci pour différentes raisons. La plus importante est que vous raviviez le souvenir très doux que j'ai gardé d'un épisode important de ma jeunesse qui s'est passé ici même, au château T.

En tant qu'étudiant en dernière année de médecine, je n'avais pas été appelé sous les drapeaux en 1914. En 1915, mes études terminées, j'ai suivi une formation accélérée d'élève officier. J'ai été affecté au château de Chenonceceaux, non loin d'ici. Le colonel médecin qui commandait le château transformé en hôpital de campagne était un brave homme. Il se prénommait Jules. Il avait un regard fatigué et plein d'humanité. Il était chirurgien dans le civil, dans une petite ville de province. Il a fait avec moi le tour des blessés entassés dans la grande galerie. Il avait une petite conversation avec chaque blessé. Avec bonté et respect, il leur posait quelques questions et les laissait parler, observant leurs réactions et prenant quelques notes dans son petit carnet noir. Arrivé devant certains blessés, qu'il avait rassemblés dans un coin de la salle, il restait immobile au pied de leur lit, en regardant le blessé. Il s'agissait de malades plongés dans un état profond d'hébétude. Intéressé, je lui demandai la permission de les examiner. Il parut soulagé et m'encouragea d'un geste. J'en ai ausculté plusieurs. Ils étaient tous à peu près dans le même état. Ils n'avaient aucune blessure apparente, du moins qui pourrait expliquer leur état. Ils étaient prostrés, figés, paralysés. Ils avaient un regard fixe, comme halluciné. Certains n'avaient presque plus de réaction aux stimulis classiques. Certains n'en avaient plus aucune. Après cette première visite générale, le colonel me conduisit à son bureau. Nous avons examiné les dossiers médicaux. Nous avons laissé pour la fin ceux des blessés du groupe A, ceux que le colonel avait classés comme "Amorphes". Le colonel me confia son embarras concernant le traitement de ces soldats.
"Je suis chirurgien. Si je trouve une balle dans un bras, je l'extrais. Si j'ai des éclats de grenade dans un abdomen, je les enlève en suturant les déchirures internes, si j'ai un bras déchiqueté, je l'ampute proprement. Dans des cas pareils, je sais ce qu'il convient de faire. Mais devant ces gens là je me sens désarmé. Il y a certainement quelque chose à faire, mais je ne sais pas quoi. D'après les manuels militaires je devrais les renvoyer au front tels quels, mais je ne pense pas que cela soit une bonne solution. Avez vous une idée ?"

J'avais hérité de ma mère une grande sensibilité émotive. Ce défaut m'avait déjà bien embarrassé dans ma vie. Au cours de mes études de médecine notamment. Je les avais menées avec difficulté. Lors de mon stage comme interne, vu mes notes, j'avais dû me contenter du stage dont personne d'autre n'avait voulu : le stage en médecine psychiatrique. J'y avais été confronté avec des malades souffrant de troubles profonds. A leur contact, j'ai réalisé que je pouvais communiquer avec eux bien mieux que les autres médecins. Mon défaut devenait ici une qualité rare. Je parvenais à comprendre certains malades jugés incurables. J'ai enregistré quelques succès.
J'ai proposé au colonel de m'occuper plus particulièrement du groupe A, et de le tenir au courant de mes progrès, s'il y en avait. Soulagé, il acquiesça aussitôt.

Il m'indiqua la grande armoire métallique qui contenait les dossiers médicaux. C'était un homme d'ordre, très organisé. Il tenait à ce que les dossiers soient convenablement tenus à jour. J'ai trouvé facilement les dossiers des malades du groupe A. J'ai passé l'après midi à les lire et à prendre des notes. Assez vite j'ai trouvé un point commun. C'étaient tous des officiers ou des sous-officiers qui avaient mené leurs camarades lors d'une attaque meurtrière contre l'ennemi. Souvent ils en étaient les seuls survivants. Certains avaient passé de longues journées entre les lignes de feu, attendant de rentrer par leurs propres moyens ou d'être secouru par leurs camarades. Il me semblait évident que cette expérience atroce les marquait psychologiquement.

Chaque matin, avec le colonel, nous passions ensemble en revue tous les malades et blessés. Il me laissait le soin de visiter seul ceux du groupe A. j'ai commencé à essayer de rentrer en contact avec ces malades. J'ai essayé différentes intonations de voix, différents mots, différents rythmes. J'ai aussi essayé la musique. Le colonel m'a prêté son gramophone pour ces expériences. La musique militaire, même les marches les plus entraînantes, ne favorisait aucune réaction. Seule la musique douce, comme celle que l'on entend dans les salons de thé, semblait atténuer la tétanisation de leurs muscles. J'ai essayé de communiquer physiquement avec eux en les touchant de différentes façons, à différents endroits de leur corps, avec mes mains ou des objets divers.

Je commençais à entrevoir une ébauche de solution. C'est par hasard que mon intuition se confirma. L'infirmier militaire qui m'assistait régulièrement lors de mes visites était parti en permission. Ce fut une infirmière qui le remplaça. C'était une personne très douce et réservée. Elle écouta avec patience et attention mes explications longues et complexes. Puis nous avons été auprès de mes malades. Les couvertures enlevées, les jambes, les bras et la poitrine du malade dénudé, elle devait frotter doucement les différentes parties du corps, surtout les bras, les mains, les jambes et les pieds, avec différents objets, dans un ordre bien précis. Moi j'observais le malade, guettant une éventuelle réaction. Dès le premier malade, je vis que la situation évoluait favorablement. Le regard s'animait et les yeux ne fixaient plus un endroit quelconque. J'ai fait changer le rythme des frottements, je les ai fait arrêter, recommencer, cherchant à comprendre ce qui se passait. Ce fut en passant d'un malade à l'autre que je notai que le regard du malade tentait de suivre le déplacement de l'infirmière.
Le colonel était un fin observateur. Il était ce jour là en train de rédiger un rapport, et me voyant entrer dans son bureau, il posa sa plume et me fit signe de m'asseoir. Il joignit les mains et me dit :
"Mon cher, je crois que vous avez quelque chose à me raconter. Cela m'a l'air d'être une bonne nouvelle. Cela concerne-t-il votre groupe de malades ?"

Je lui racontai mes expériences du matin. Je commençais à voir quelque chose qui ressemblait à une solution. J'avais besoin de continuer mes expériences. Je demandai à pouvoir choisir deux infirmiers pour ma prochaine visite, demain matin. Le colonel me dit que c'était en effet une excellente nouvelle. Il était en train de rédiger un rapport sur les effectifs de son hôpital. L'état major avait besoin de beaucoup d'hommes valides pour mener de nombreuses attaques prévues prochainement. Ils exigeaient que l'on envoie au front tous les hommes en état de porter les armes. Le colonel allait arranger les choses et laisser à ma disposition le groupe A. Je pourrais ainsi continuer mes expériences. De toutes façons, ces pauvres gens seraient complètement inutiles au front, me dit-il.

Le lendemain je fis ma visite quotidienne au groupe A, accompagné par un infirmier et une infirmière. L'infirmier était un brave garçon, fort et puissant comme un taureau. Il était valet de ferme dans le civil. L'infirmière était la douce jeune fille au visage de madone qui, je le croyais, avait provoqué les premiers signes perceptibles d'éveil. Nous allions bien voir. Je m'étais muni de quelques nouveaux objets destinés aux glissements. Je m'étais adressé à l'infirmière en chef. Cette vieille dame fort digne avait fouillé pour moi dans les vieux tissus destinés à former la charpie des pansements. Elle m'avait trouvé un mouchoir en fine dentelle et quelques morceaux d'un ancien vêtement de nuit en soie.

J'ai commencé par le malade qui me semblait le moins atteint. C'était celui qui avait le mieux réagi la veille. Je fis procéder par l'infirmier à une série complète de frottements avec les anciens et les nouveaux objets. Je lui fis également occuper quatre positions autour du lit du malade. Je ne notai aucune réaction. Les mêmes manipulations furent exécutées par la jeune fille, de façon identique et en respectant le même rythme. Elles eurent plus d'effet. Le malade parut quelque peu reprendre conscience. Son regard, de vague devint fixe. Il chercha à suivre du regard la jeune infirmière. Il tenta même de redresser le torse lorsqu'en se déplaçant comme je l'avais demandé, elle fut cachée par moi qui m'étais assis sur le lit, à la droite du malade. Je fis recommencer les glissements des dentelles et de la soie sur le bout des doigts du malade.
C'était clair et net. C'était concluant.

Je passai alors au malade qui était le plus atteint et inversai l'ordre des infirmiers. Celui-ci était particulièrement amorphe. A part un léger souffle, aucune vie n'était plus décelable. Je fis signe discrètement à l'infirmière de commencer la série de glissements. Petit à petit, une paupière se souleva. Le regard s'éclaircissait. Celui ci se mit à chercher dans la direction où se trouvait l'infirmière. Puis les paupières se refermèrent lentement. L'infirmier n'obtint, lui, aucun résultat. J'en avais vu assez pour proposer mon plan au colonel.
"Je pense" lui dis-je, "que ces hommes souffrent. Ils ont obéi aux ordres et ont entraîné leurs hommes, leurs camarades, dans la mort et l'anéantissement. Ils les ont vus tomber tout autour d'eux. Ils se sentent coupables de la mort de ces jeunes gens. Toute leur éducation virile et masculine les portait à accomplir cette action. Je crois que c'est cette partie d'eux qui est anéantie ou au moins grandement fragilisée."
Le colonel m'écoutait attentivement en lissant sa moustache.
"C'est une brillante analyse. Je vous félicite. Sincèrement, je suis très content que vous compreniez ce phénomène étrange, et que vous entrevoyez une solution, car, je le sens, vous allez m'en proposer une, n'est ce pas ?" Il avait raison. "Que faisons-nous lorsqu'une jambe est cassée ? Nous rapprochons le mieux possible les morceaux cassés et faisons en sorte que le malade puisse se mouvoir grâce à son autre jambe. Je propose de faire de même dans ce cas ci. La personnalité masculine et virile de mes malades est cassée. Je vais développer leur personnalité féminine afin de les reconstruire et d'en faire à nouveau des êtres vivants." Je lui proposai d'éloigner le groupe A dans un endroit calme et tranquille, et d'entourer mes malades d'un environnement purement féminin, tout en grâce et douceur. Le colonel hochait la tête. J'avais préparé une liste des objets et accessoires dont j'aurais besoin. Il chargea le capitaine Théophile, responsable administratif, de me les trouver. Le capitaine était un négociant en vin. Il venait du bordelais. Il était rond et jovial. Dès mon arrivée à l'hôpital, il m'avait pris sous sa bienveillante protection. Il était très cultivé et curieux de tout. Il manifestait son intérêt en posant beaucoup de questions. Ses questions étaient intelligentes, bien posées et ne recevaient pas toujours de réponse adéquate. Avec bonhomie il éludait alors et classait l'individu. Il m'avait apparemment classé dans une bonne catégorie, peut être parce que je prenais le temps de réfléchir avant de répondre, peut être car je n'émettais pas systématiquement des certitudes. Il avait suivi avec intérêt l'histoire du groupe A, et mes premières investigations. Il m'avait écouté exposer ma théorie. Il voulait m'aider pour le traitement que je proposais en me trouvant un local, du personnel, et comme il disait, du matériel adéquat. Il est vrai que ce matériel ne serait pas du tout militaire.

C'est ainsi, mes chères amies, que j'ai débarqué deux semaines plus tard dans ce château T. Il avait été réquisitionné il y a plusieurs mois déjà, mais l'armée n'en avait pas encore eu l'usage. Le capitaine l'avait fait classer lieu de repos privilégié. Il avait aussi pu se procurer du matériel de théâtre qui attendait patiemment dans un dépôt une hypothétique troupe de théâtre militaire. Il avait également contacté sa famille bordelaise et commencé à collecter des accessoires qu'il lui serait très difficile de trouver dans un cadre militaire, si près du front.

Le colonel avait placé à ma disposition deux infirmières que j'avais pu désigner moi-même. L'une était celle au visage de madone, grâce à laquelle j'avais obtenu les premiers succès. Amélie, la deuxième, était assez différente. Elle était de corpulence plus forte, notamment sa carrure. Mais son visage, son sourire, sa grâce naturelle, sa douceur valaient celle d'Huguette, sa compagne. J'aimais à les observer lorsqu'elles s'affairaient avec dextérité et célérité. Ce spectacle était charmant.

Grâce à quelques hommes de troupe envoyés par le capitaine Théophile, j'ai fait aménager notre cantonnement comme je l'entendais. Le dortoir des malades fut établi dans les écuries. Dans une pièce attenante, j'ai fait installer une salle de bain. La baignoire trônait au beau milieu de la pièce. Elle était ainsi accessible de tous côtés. J'ai fait aménager le salon et la salle à manger pour que tout y soit calme, tranquille, confortable, doux et gracieux. J'ai installé le gramophone dans le salon. Le capitaine m'avait fourni une grande quantité de disques. J'ai choisi ceux dont la musique était appropriée à l'ambiance douce et feutrée que je voulais créer.
J'avais fait évacuer les hommes de troupe. J'étais le seul élément masculin présent dans le château. Pour atténuer cet effet négatif, j'avais revêtu des vêtements civils.
Aussitôt que tout fut prêt, je fis venir les deux premiers malades. J'avais désigné les deux malades du groupe A qui réagissaient le mieux à mon traitement expérimental.

Nous avons commencé par leur donner un bon bain chaud qui eut un effet relaxant. Puis nous les avons installés dans deux lits du dortoir. La chaleur du local le permettant, ils étaient nus. Je me positionnai au pied du lit, comme observateur. Huguette était à gauche, Amélie à droite. En alternance, suivant mes ordres, elles faisaient glisser lentement sur les bras et les jambes, suivant un rythme convenu, des dentelles, des tissus soyeux, et un postiche confectionné avec de vrais cheveux. Je m'occupais aussi du gramophone et lui faisait diffuser des musiques douces et agréables. Je guettais les réactions des deux malades. Nous n'avons pas dû attendre longtemps. Visiblement une communication s'établissait. Dès que l'on employait des tissus plus rugueux, surtout de genre militaire, dès que l'on passait à une musique plus martiale, la communication se détériorait et la léthargie se réinstallait.

Après quelques jours nous avons pu asseoir nos malades dans leurs lits. Ensuite nous avons pu les asseoir au salon, dans des fauteuils confortables. Ils y recevaient une musique propice à de longues rêveries. Amélie, qui avait une belle voix, leur lisait parfois avec grâce de charmantes poésies.

Vu les progrès des deux premiers malades, j'en ai fait venir d'autres qui suivirent le même traitement. Le salon se remplit. Nous fonctionnions comme des membres d'une famille, qui se rencontreraient au mariage d'un lointain cousin et qui étaient appelés à vivre ensemble quelques jours. Nous employions le terme général de cousin, de cousine pour nous saluer, un peu comme le font les francophones d'Europe qui saluent les francophones du Québec.

Nous les avions habillés de la façon la plus féminine possible. Au début, c'était moi qui décidais, assisté par Amélie et Huguette, du rôle qu'allait jouer le malade dans notre famille. Nous nous basions sur notre bon sens et notre observation de la morphologie de l'individu, ainsi que sur les tenues et les accessoires disponibles. Nous l'habillions alors en conséquence. Nous avons ainsi reçu la visite de tantes lointaines, d'une bonne de curé, d'une poissonnière, de plusieurs jeunes cousines et de nombreuses soubrettes. Nous n'imposions rien. Au début, l'individu se laissait faire. Puis, après un temps variable, le caractère s'affirmait, le malade voulait choisir lui-même sa tenue, ses vêtements, ses accessoires, sa place dans notre famille. La guérison était alors proche.

Nous passions des soirées très agréables au coin du feu. J'avais fait disposer deux larges canapés face à celui-ci. Le feu de bois éclairait seul la pièce. Quelques verres de bon vin, une douce musique, venant du gramophone ou de la douce voix d'Amélie, et la fatigue de la convalescence précipitaient bien vite les malades dans un sommeil profond. Je notais l'effet bénéfique de ce sommeil en groupe. Lorsqu'un malade se réveillait en sursaut en pleine nuit, il avait devant les yeux un tableau charmant, propice à l'apaiser.

En journée, les malades devaient bien sûr se reposer. Si leur état de santé le leur permettait, je tolérais la lecture de magazines féminins, et des promenades dans le parc. Le capitaine, grâce à sa famille, nous approvisionnait en magazines. Certains malades, en fin de convalescence, nous aidaient dans le fonctionnement de notre dispensaire. Nous avons ainsi eu tante Alberte qui nous a aidés pour la cuisine. Elle nous mitonnait avec amour de petits plats délicats. Elle aimait nettoyer à fond notre cuisine. Nous l'avons regrettée. Je me souviens aussi de ce jeune sergent tout fluet qui nous est arrivé un soir de bataille. Il était encore en uniforme, tout maculé de la boue du champ de bataille. Comme il n'avait pas de blessure apparente, l'hôpital nous l'avait envoyé. Grâce à nos soins, il s'est rétabli très vite. Il devint la jeune fille de la maison et organisait tout comme le ferait une excellente gouvernante expérimentée. Un de ses camarades se révéla une infirmière particulièrement douée. Elle était très douce et a enregistré de beaux succès dans le traitement des malades. Elle soulagea Amélie et Huguette, parfois débordées. Car les combats faisaient rage, l'hôpital nous envoyait beaucoup de malades à traiter. Je devais donc renvoyer dans les rangs les malades de plus en plus vite. Parfois eux-même se sentaient capables de retourner au combat. Ce fut le cas de notre douce infirmière supplémentaire. Un soir, elle me déclara vouloir retourner parmi ses camarades de combat. La mort dans l'âme je signai ses papiers de sortie. Tôt le matin, il partit. Dans la cour, il me salua impeccablement et me dit:
"Merci", puis tourna les talons.

J'ai su par le capitaine qu'aussitôt après avoir rejoint son corps d 'armée, il avait mené son groupe d'hommes à l'assaut. Il n'en était pas revenu. Il a été porté disparu. Peut être est-il maintenant dans un de ces nombreux ossuaires qui parsèment la région des combats, ou bien traîne-t-il encore quelque part sous les champs de bataille, comme tant d'autres ? Je me posais des questions sur mon action dans cette guerre. Bien sûr, emporté par l'élan général et les ordres de mes chefs, mon devoir était évident : je devais guérir au plus vite les malades qui m'étaient envoyés. Pourtant je me posais des questions. Je me rendais bien compte que j'envoyais au combat, donc à la mort, mes malades guéris. L'exemple de ce soldat ainsi que quelques autres m'aidèrent à continuer.

La méthode était bonne. La thérapie fonctionnait. Je l'améliorais régulièrement grâce à mes observations, mon esprit analytique et mes déductions judicieuses. J'écoutais aussi mes deux collaboratrices, ainsi que les malades en convalescence. Je tenais le colonel au courant en lui faisant rapport à l'hôpital. Généralement, le capitaine Théophile, intéressé par la nouveauté du traitement, tenait à être présent. Un jour le colonel me dit son intention de venir inspecter mon dispensaire. Le capitaine voulut l'accompagner. Je leur rappelai une de mes règles : à par moi, je ne voulais voir personne d'apparence masculine dans le château T. C'est ainsi que nous avons eu la visite de deux charmantes dames : tante Théophilie et tante Julie. Elles se sont intéressées à nos travaux de couture, à nos magazines et surtout à notre cuisine. Nous avons passé une très agréable soirée près du feu en leur charmante compagnie. Elles nous ont raconté les derniers petits potins de l'hôpital.

Lors de ma visite suivante à l'hôpital, j'ai rencontré le général. Il était en tournée d'inspection. Le colonel venait de lui parler de mes expériences. Le général était intéressé, il m'a posé plusieurs questions. Il m'a félicité pour mes résultats qu'il a jugés très intéressants. Il m'a promis un rapport très favorable et m'a fait part de son intention de m'accompagner à mon dispensaire afin de se rendre compte par lui-même de l'état d'avancement de mes recherches. Je lui ai exposé mes règles de visite. Il a paru contrarié, a mâchouillé un peu son cigare et m'a dit qu'il remettait son projet à une prochaine tournée d'inspection.
Le général n'est jamais venu visiter mon dispensaire.

J'appréciais la présence d'Amélie. J'appréciais sa douceur, sa compassion devant la souffrance des malades, sa bonne volonté. Elle était attentive et infatigable. Ses gestes mesurés et précis étaient élégants. Elle n'était pas vraiment belle, mais son sourire et son regard avaient quelque chose de lumineux. Elle avait l'art de demander sans exiger, d'encourager sans lasser. Elle obtenait beaucoup des malades grâce à ses seuls sourires.

Nous avions peu de temps pour parler entre nous. Tout au plus, vers la fin de la guerre, un jour en prenant le thé, je lui ai fait comprendre que j'aimerais la retrouver après la guerre. C'était une des rares fois ou nous étions seuls. Je me souviens encore de son sourire, qui fut sa seule réponse et qui reste mon plus doux souvenir d'elle.
C'est lorsqu'elle est partie que j'ai mesuré toute la place qu'elle avait prise en moi.

J'ai été surchargé de paperasses importantes à remplir lors de la démobilisation. Il y avait des tas de rapports et de formulaires à compléter. Il fallait recevoir des gens intéressés par ma méthode, tout leur expliquer. Tout le monde voulait tout savoir sur tout. Peu semblaient comprendre. Dès que je l'ai pu, j'ai cherché à retrouver Amélie. J'ai retrouvé sa trace à Paris. Elle y était morte, victime de la grippe espagnole, au début de 1919.
Cette femme était la femme de ma vie. Je l'ai côtoyée à deux reprises : lors de ma jeunesse, dans des conditions très dures, et lors de ma vieillesse, dans des conditions bien plus douces, dans les circonstances que vous connaissez.
Mes chères amies, à présent que vous avez lu mon récit, vous comprendrez mieux pourquoi j'ai apprécié votre charmante compagnie, et les raisons qui m'ont poussé à vous aider dans vos cheminements, dans la mesure de mes modestes possibilités.
Oscar de la Strotche
Colonel en retraite

Alcina et moi sommes restées longtemps silencieuses après cette lecture. Nous comprenions en effet bien mieux le colonel. Nous avons rêvé longtemps en regardant le paysage, depuis la fenêtre de l'ancien bureau que celui-ci avait occupé. Nous rêvions de tout ce qui s'était passé ici, dans le château T., dans mon château.
Nous avons ramené le récit du colonel afin de le faire lire à nos amies.
Nous avons expliqué avec délicatesse à Daniel que ce n'était pas à lui à lire ces notes, mais que cette lecture devait être faite par Amélie.

* marie therese le 12/01/2005


Responsable du site : Lucie Sobek


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